Aki Shimazaki
Sémi
Arles, Actes Sud, 2019, 168 p., 19,95 $.
Quand le temps et l’espace s’effacent
L’écrivaine Aki Shimazaki a entrepris une quatrième suite de récits en cinq volets avec Suzuran (2019). On y rencontre Anzu, trentenaire et mère célibataire, indépendante, pourvue d’une douceur forte, elle semble imperméable à la cruauté du monde. « Ce nouveau cycle s’entame, avec ses personnages intrigants, ses retournements, ses contrastes entre la surface lisse et ce qui se trame dans les entrailles du récit. Suzuran (nom d’une fleur délicate) nous invite à connaître Anzu, son fils, ses parents vieillissants… »
Ces derniers – Tetsuo Niré et Fujiko Kajiyama – sont au cœur de Sémi, le second récit de cette nouvelle pentalogie. Âgé, le couple a longtemps espéré que leur fils Nobuki s’installe avec sa famille dans la maison familiale, selon la tradition. Le jeune homme avait d’autres projets et Tetsuo a donc décidé de vendre la propriété pour s’installer dans une maison de retraite, surtout que la santé de son épouse Fujiko se détériore de jour en jour, la maladie d’Alzheimer envahissant leur univers.
Comment gérer cette situation? Tetsuo
se sent de plus en plus seul, mais, heureusement, l’infirmière de la résidence,
bien au fait des aléas qu’entraîne la maladie, le conseille et l’aide dans ce
curieux apprentissage qu’est de négocier avec une vie fragmentée.
À brûle-pourpoint, Fujiko ne
reconnaît plus son époux, mais plutôt son fiancé de jadis, le prénommant Tetsuo-san,
suffixe indiquant son statut de prétendant. De plus en plus désemparé, Tetsuo
suit les conseils de l’infirmière et d’un nouveau pensionnaire de l’établissent
dont l’épouse décédée a souffert de démence; par exemple, il ne contredit jamais
son épouse et adapte leurs échanges au diapason d’un univers incertain.
Deux événements s’ajoutent à la
tourmente du vieil homme : Fujiko exige qu’on divise leur chambre pour qu’elle
garde son intimité jusqu’à ce qu’elle se marie et, après avoir entendu un
récital de musique classique – un couple de la résidence forme un excellent duo
amateur –, elle se souvient de Rei Miwa, chef d’orchestre réputé, et veut lui
rendre l’argent qu’il lui a donné autrefois. Tout cela est bien compliqué pour
Tetsuo qui n’a d’autre choix que tenter de mettre en ordre les pièces de ce puzzle.
Le mystère s’épaissit quand une amie
de son épouse lui confirme qu’elle a bel et bien assisté à un concert dirigé
par Miwa et que Fujiko a bien rencontré le maestro ce jour-là. La date de l’événement
laisse le vieillard pantois, car le couple était marié à cette époque, que lui-même
voyageait beaucoup pour son travail et qu’il entretenait une relation adultérine
avec une amoureuse d’avant leur union.
L’inquiétude est à son comble
quand son fils lui raconte que sa mère lui a un jour confié n’avoir rien en
commun avec son père et que leur mariage arrangé, comme c’était alors souvent le
cas au Japon, n’avait été sauvé du naufrage que par la présence des parents de
Tetsuo et la naissance tardive de Kyôka, l’aînée maintenant décédée.
Tetsuo se rappelle parfaitement
de cette époque où son épouse se dépensait corps et âme pour le bien-être de
ses beaux-parents et de leurs enfants, et qu’il n’était, en somme, que leur
pourvoyeur. Inutile de dire qu’il n’avait fait aucun projet pour la retraite et
que le refus de Nobuki, leur fils, d’habiter avec eux l’a complètement désarçonné.
Puis, l’état de santé de Fujiko s’est mis à se détériorer et le mystère de
cette dette à l’endroit de M. Miwa est un nouveau nuage au-dessus de leur
existence.
Fujiko en vient à lui expliquer
que l’argent reçu du chef d’orchestre était pour qu’elle se fasse avorter – le récit
de cette nuit auprès de lui est aussi bref que leur relation amoureuse – ce qu’elle
n’a pas fait. Est-il possible alors qu’un de leurs trois enfants soit celui de
Miwa? Tetsuo croit d’abord que c’est leur fils, compte tenu d’une certaine
ressemblance physique avec le musicien, mais la soirée où Fujiko a assisté au
concert du maestro correspond plus au moment de sa première grossesse.
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