mercredi 31 mars 2021

Jacques Ferron

Contes, édition intégrale

Montréal, Bq, 2021, 304 p., 12,95 $.

La chimie de récits brefs

Jacques Ferron aurait eu 100 ans le 20 janvier dernier. Pour commémorer l’événement, Bibliothèque québécoise, la maison d’édition administrée conjointement par Hurtubise et Leméac, reprend l’intégrale des Contes de Ferron et la biographie écrite par Marcel Olscamp, parue en 1997 et mise à jour depuis, Le fils du notaire. Jacques Ferron : genèse intellectuelle d’un écrivain. Bref, l’homme et l’œuvre en deux volumes fort passionnants. 


Cette intégrale a été préparée par Marcel Olscamp et Jean-Olivier Ferron, fils de l’écrivain médecin; ils ont fait une ultime révision des textes et de leur ordre d’écriture ou d’édition. L’ouvrage rassemble ainsi Contes du pays incertain (1962) et Contes anglais (1964) auxquels furent ajoutés quatre récits sous le titre de Contes inédits (1968).

Il allait de soi, à mon avis, de reprendre la présentation qu’en a fait Victor Lévy-Beaulieu intitulée « Jacques Ferron ou la magie retorse » puisque ce dernier s’est souvent réclamé du médecin écrivain, lui consacrant commentaires et ouvrages dont l’incontournable Docteur Ferron (1991). Comme le Pistolois ajoute fréquemment un descriptif aux ouvrages consacrés à un écrivain, il considère celui sur Ferron comme un « pèlerinage ». Dans sa manière, l’ouvrage n’est pas banal : il s’agit de dialogues qu’entretiennent des personnages de Ferron et de VLB. Ils nous font ainsi entrer par la voie royale dans l’œuvre du docteur telle que comprise, aimée et admirée par un de ses plus fervents lecteurs. On pourra s’interroger sur la façon de lire cet essai : je crois que la meilleure consiste à se laisser prendre au fil du récit en croyant dur comme fer à tout ce que les personnages racontent, la passion de VLB n’étant rien d’autre qu’une force éclatant en manifestations d’enthousiasme et d’affection. Nous sommes témoins de l’osmose entre la fiction et la réalité.

Revenons aux Contes. « Qu’ils soient fantaisistes ou drôles, magiques ou politiques, tous parlent du Québec, de ceux et celles qui l’habitent, le tout dans une langue truculente et un style incisif… Peu d’écrivains contemporains ont pratiqué ce genre littéraire exigeant qu’est le conte. Pour sa part, Ferron y a trouvé une forme qui convenait le mieux à son propos. Par la finesse de son écriture et l’imaginaire unique qu’il déploie, Ferron s’impose comme l’un des plus grands écrivains d’expression française. » (p. 1)

Les contes, souvent associés à l’enfance, peuvent intéresser les adultes. J. Ferron explique : « J’ai écrit des contes pour au moins deux raisons : la première, parce que j’ai assisté à des réunions de beaux conteurs, issus de toutes les classes , de tous les milieux, les uns, bacheliers, les autres analphabètes, qui, pourvu que leur hôte leur donnât à boire, pouvaient se relancer d’un crépuscule à l’autre… la seconde, parce que le conte, comme le pamphlet et le libelle, est, par définition, assez court et qu’il se trouvait à convenir au temps dont je disposais pour écrire. » (Du fond de mon arrière-cuisine. Les salicaires, Bq, 2015, p. 37)

Ne perdons pas de vue que le médecin écrivain a aussi pratiquée l’historiette, « petit récit d’une aventure de peu d’importance », dont une douzaine dans Du fond de mon arrière-cuisine. Les salicaires (Bq, 2015), un recueil de 37 textes.

Quels contes retenir parmi les 44 que compte le recueil? Ce serait mal avisé de faire un tel choix, car chacun de ces récits brefs éveille une image, une émotion, une réflexion ou un rire qui lui est propre. Par exemple, dans "L’enfant", tiré des Contes du pays incertain, la vie et la mort s’affrontent dans une bagarre imaginaire entre les derniers jours et la fin d’une vie, l’une remplaçant inexorablement l’autre selon les cycles de l’existence. Il faut dire que "L’enfant" fait écho à "La mort du bonhomme", un conte où le rire franc l’emporte sur une certaine tristesse.

Que dire de "Mélie et le bœuf" ou de "La Mi-Carême", sinon que l’écrivain emploie un ton drolatique pour souligner des traits d’une société ancienne et nous instruire de façon légère à des réalités ayant pourtant leur part de sérieux.

Un dernier exemple de conte tiré des Contes inédits et intitulé "Chronique de l’Anse Saint-Roch". En 17 tableaux, cette « chronique rapporte des faits qui ne sont pas toujours convenables, c’est que la vie est souvent inconvenante. Le principal est que tout s’arrange et qu’autour de la baie sauvage, peu à peu, les mœurs des vieux pays triomphent de leur peur barbare, adoucissant le cri des oiseaux qui passent par rafales au-dessus des maisons de l’anse avec le vent de terre. » (p. 276) Un des plus longs contes du livre, ce récit me semble un des exemples les plus frappants de l’étendue du talent de l’écrivain, de la maîtrise de son art, de ce qui fait son style et des registres de son imaginaire.

Que vous connaissiez l’œuvre de Jacques Ferron ou que vous en fassiez la découverte, je vous suggère, avec insistance, de voyager dans son univers profondément ancré dans le Québec, qu’il appelle d’ailleurs un pays incertain, et d’apprécier son regard ironique porté sur les personnages comme sur les situations, parfois équivoques, qui l’inspirent.

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