Jacques Ferron
Contes, édition intégrale
Montréal, Bq, 2021, 304 p., 12,95 $.
La chimie de récits brefs
Jacques Ferron aurait eu 100 ans le 20 janvier dernier. Pour commémorer l’événement, Bibliothèque québécoise, la maison d’édition administrée conjointement par Hurtubise et Leméac, reprend l’intégrale des Contes de Ferron et la biographie écrite par Marcel Olscamp, parue en 1997 et mise à jour depuis, Le fils du notaire. Jacques Ferron : genèse intellectuelle d’un écrivain. Bref, l’homme et l’œuvre en deux volumes fort passionnants.
Cette intégrale a été préparée par Marcel Olscamp et Jean-Olivier Ferron, fils de l’écrivain médecin; ils ont fait une ultime révision des textes et de leur ordre d’écriture ou d’édition. L’ouvrage rassemble ainsi Contes du pays incertain (1962) et Contes anglais (1964) auxquels furent ajoutés quatre récits sous le titre de Contes inédits (1968).
Il allait de soi, à mon avis, de
reprendre la présentation qu’en a fait Victor Lévy-Beaulieu intitulée « Jacques
Ferron ou la magie retorse » puisque ce dernier s’est souvent réclamé du
médecin écrivain, lui consacrant commentaires et ouvrages dont l’incontournable
Docteur Ferron (1991). Comme le
Pistolois ajoute fréquemment un descriptif aux ouvrages consacrés à un écrivain,
il considère celui sur Ferron comme un « pèlerinage ». Dans sa
manière, l’ouvrage n’est pas banal : il s’agit de dialogues
qu’entretiennent des personnages de Ferron et de VLB. Ils nous font ainsi
entrer par la voie royale dans l’œuvre du docteur telle que comprise, aimée et
admirée par un de ses plus fervents lecteurs. On pourra s’interroger sur la
façon de lire cet essai : je crois que la meilleure consiste à se laisser
prendre au fil du récit en croyant dur comme fer à tout ce que les personnages
racontent, la passion de VLB n’étant rien d’autre qu’une force éclatant en
manifestations d’enthousiasme et d’affection. Nous sommes témoins de l’osmose entre
la fiction et la réalité.
Revenons aux Contes. « Qu’ils
soient fantaisistes ou drôles, magiques ou politiques, tous parlent du Québec, de
ceux et celles qui l’habitent, le tout dans une langue truculente et un style
incisif… Peu d’écrivains contemporains ont pratiqué ce genre littéraire
exigeant qu’est le conte. Pour sa part, Ferron y a trouvé une forme qui convenait
le mieux à son propos. Par la finesse de son écriture et l’imaginaire unique
qu’il déploie, Ferron s’impose comme l’un des plus grands écrivains
d’expression française. » (p. 1)
Les contes, souvent associés à l’enfance,
peuvent intéresser les adultes. J. Ferron explique : « J’ai écrit des
contes pour au moins deux raisons : la première, parce que j’ai assisté à
des réunions de beaux conteurs, issus de toutes les classes , de tous les
milieux, les uns, bacheliers, les autres analphabètes, qui, pourvu que leur
hôte leur donnât à boire, pouvaient se relancer d’un crépuscule à l’autre… la
seconde, parce que le conte, comme le pamphlet et le libelle, est, par
définition, assez court et qu’il se trouvait à convenir au temps dont je
disposais pour écrire. » (Du fond de
mon arrière-cuisine. Les salicaires, Bq, 2015, p. 37)
Ne perdons pas de vue que le médecin
écrivain a aussi pratiquée l’historiette, « petit récit d’une aventure de
peu d’importance », dont une douzaine dans Du fond de mon arrière-cuisine.
Les salicaires (Bq, 2015), un recueil de 37 textes.
Quels contes retenir parmi les 44
que compte le recueil? Ce serait mal avisé de faire un tel choix, car chacun de
ces récits brefs éveille une image, une émotion, une réflexion ou un rire qui
lui est propre. Par exemple, dans "L’enfant", tiré des Contes du
pays incertain, la vie et la mort s’affrontent dans une bagarre imaginaire entre
les derniers jours et la fin d’une vie, l’une remplaçant inexorablement l’autre
selon les cycles de l’existence. Il faut dire que "L’enfant" fait
écho à "La mort du bonhomme", un conte où le rire franc l’emporte sur
une certaine tristesse.
Que dire de "Mélie et le bœuf"
ou de "La Mi-Carême", sinon que l’écrivain emploie un ton drolatique
pour souligner des traits d’une société ancienne et nous instruire de façon
légère à des réalités ayant pourtant leur part de sérieux.
Un dernier exemple de conte tiré des
Contes inédits et intitulé "Chronique de l’Anse Saint-Roch". En
17 tableaux, cette « chronique rapporte des faits qui ne sont pas toujours
convenables, c’est que la vie est souvent inconvenante. Le principal est que
tout s’arrange et qu’autour de la baie sauvage, peu à peu, les mœurs des vieux
pays triomphent de leur peur barbare, adoucissant le cri des oiseaux qui
passent par rafales au-dessus des maisons de l’anse avec le vent de terre. »
(p. 276) Un des plus longs contes du livre, ce récit me semble un des exemples
les plus frappants de l’étendue du talent de l’écrivain, de la maîtrise de son
art, de ce qui fait son style et des registres de son imaginaire.
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