Stéphane Garneau
Celui qui reste :
lettre à une amie disparue
Montréal, Libre
Expression, 2021, 136 p., 22,95 $.
L’ironie de soi
Quand la mort vous a-t-elle rejoint? Moi, ce fut le 16 juillet 1959. J’avais douze ans et m’esbaudissais dans une colonie de vacances quand mon père est venu me chercher : grand-papa Paul, le père de maman, venait de décéder. Depuis, je n’ai jamais oublié l’idole de ma petite enfance.
C’est l’histoire de morts, toujours
vivants dans le souvenir, que raconte le journaliste et auteur Stéphane Garneau
dans Celui qui reste : lettre à une amie disparue. Rien de triste
ici, à peine un peu de nostalgie en se remémorant des moments précis ou, plus
simplement, de la présence affective de gens qu’il a connus. Il y a aussi ceux dont
le décès fut irrévérencieux, parce que trop brutal, et dont il a voulu connaître
l’état des survivants dans lequel la Faucheuse les a laissés ou abandonnés.
« La mort a eu la bonne idée de me foutre la paix pendant une grande partie de ma vie adulte. Puis vint la décennie 2010. La série noire. Comme pour rattraper le temps perdu, elle allait emporter plusieurs membres de mon entourage proche. Fin 2012, on comptait cinq hommes dans ma famille immédiate. Depuis l’été 2018, je suis le seul qui est encore debout. » (4e de couverture)
L’exercice auquel Stéphane Garneau
se livre consiste à partager diverses façons de vivre l’après-décès, ce deuil
dont on parle tant et qui est bien plus que de lâcher prise et de laisser le
temps faire son œuvre. C’est pourquoi il suggère de noter rapidement des
détails qui finiront par s’évanouir sans qu’on y puisse quoi que ce soit.
L’auteur a choisi de faire ce pèlerinage
au pays des défunts en écrivant une « lettre à une amie disparue », « Beauté ».
Il relate leur relation dès le début de sa quête, ce qui atténue l’aspect dramatique
de son récit. Cette « Beauté des îles » devient sa partenaire de
narration dont il emprunte les mots pour mettre son discours en perspective.
Ce que j’apprécie de ces 9 instantanés,
auquel s’ajoute une mise en perspective du vivre un deuil, c’est la distance de
ton qu’il s’efforce de conserver du début à la fin, même dans les passages
nettement plus émouvants. Jamais de pathos, mais toujours cette bouée si utile
qu’est l’ironie par-devers lui-même ou par-devers des situations relatives à
ses rapports ou ses liens avec tel ou tel défunt. D’ailleurs, il identifie
uniquement les gens connus de la sphère publique, comme son père ou les parents
de Dominique Anglade; l’important n’est pas le nom des défunts, mais les conséquences
que leur disparition a eues sur leur entourage.
Y a-t-il une différence entre un
décès médicalement « programmé » – ce glas sonné par l’oncologiste ou
quel qu’autre soignant – et une mort subite? Et ces gens
avec qui on a partagé de bons moments ou une certaine intimité dont on a perdu
la trace et qui nous reviennent sur le pas d’un mausolée imaginaire?
Perdre une amie, un frère, un
neveu ou même son père sont des situations distinctes selon l’intensité des
relations entretenues avec chacun. Notre âge, comme celui de la défunte ou du
défunt, joue aussi sur notre appropriation du décès, car la mort gagne une forme
d’acceptation de plus en plus raisonnée avec le vieillissement puisque nous
savons que nous allons y passer tôt ou tard.
De tels contextes sont relatés
quand l’auteur parle de son neveu ou de la conversation avec l’homme d’affaires
Alexandre Taillefer dont le fils adolescent s’est suicidé. Le mythe voulant que
le décès d’un enfant ne doive jamais se produire avant celui des parents a la
vie dure. Hélas! cela se produit de plus en plus fréquemment et cause tous les
dommages moraux qu’on peut imaginer.
Le récit intitulé "Mon frère"
est fort émouvant. Il exige une mise en contexte pour bien comprendre la
relation entre les deux frères et leur famille, pour mesurer les conséquences
de ce décès sur leur entourage. On peut croire qu’il y a eu une relation
amour-haine entre les frères et une relation toxique pour le reste de la
famille. Et le voilà qu’après s’être sorti de la rue, au sens propre et au figuré,
ce frère meurt des années plus tard sans que leur relation soit complètement rétablie.
Qu'en est-il du décès de Richard
Garneau, le "Papa" de l’auteur? Celui-ci brosse une fresque des relations
père-fils à différentes époques et il exprime sa fierté, son admiration pour
son père en relatant quelques anecdotes, dont cette dernière émission de « Samedi
et rien d’autre » à laquelle ils ont participé.
Stéphane Garneau fait œuvre utile
en publiant cette lettre à une amie, son témoignage permettant de mettre en perspective
diverses réactions au moment du décès d’une personne qui nous est ou nous fut
chère. Cela permet, entre autres, de mesurer le poids des relations familiales et
celui des amitiés, ces liens que l’éducation judéo-chrétienne donne à croire éternels.
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