mercredi 7 avril 2021

Stéphane Garneau

Celui qui reste : lettre à une amie disparue

Montréal, Libre Expression, 2021, 136 p., 22,95 $.

L’ironie de soi

Quand la mort vous a-t-elle rejoint? Moi, ce fut le 16 juillet 1959. J’avais douze ans et m’esbaudissais dans une colonie de vacances quand mon père est venu me chercher : grand-papa Paul, le père de maman, venait de décéder. Depuis, je n’ai jamais oublié l’idole de ma petite enfance.

C’est l’histoire de morts, toujours vivants dans le souvenir, que raconte le journaliste et auteur Stéphane Garneau dans Celui qui reste : lettre à une amie disparue. Rien de triste ici, à peine un peu de nostalgie en se remémorant des moments précis ou, plus simplement, de la présence affective de gens qu’il a connus. Il y a aussi ceux dont le décès fut irrévérencieux, parce que trop brutal, et dont il a voulu connaître l’état des survivants dans lequel la Faucheuse les a laissés ou abandonnés.



« La mort a eu la bonne idée de me foutre la paix pendant une grande partie de ma vie adulte. Puis vint la décennie 2010. La série noire. Comme pour rattraper le temps perdu, elle allait emporter plusieurs membres de mon entourage proche. Fin 2012, on comptait cinq hommes dans ma famille immédiate. Depuis l’été 2018, je suis le seul qui est encore debout. » (4e de couverture)

L’exercice auquel Stéphane Garneau se livre consiste à partager diverses façons de vivre l’après-décès, ce deuil dont on parle tant et qui est bien plus que de lâcher prise et de laisser le temps faire son œuvre. C’est pourquoi il suggère de noter rapidement des détails qui finiront par s’évanouir sans qu’on y puisse quoi que ce soit.

L’auteur a choisi de faire ce pèlerinage au pays des défunts en écrivant une « lettre à une amie disparue », « Beauté ». Il relate leur relation dès le début de sa quête, ce qui atténue l’aspect dramatique de son récit. Cette « Beauté des îles » devient sa partenaire de narration dont il emprunte les mots pour mettre son discours en perspective.

Ce que j’apprécie de ces 9 instantanés, auquel s’ajoute une mise en perspective du vivre un deuil, c’est la distance de ton qu’il s’efforce de conserver du début à la fin, même dans les passages nettement plus émouvants. Jamais de pathos, mais toujours cette bouée si utile qu’est l’ironie par-devers lui-même ou par-devers des situations relatives à ses rapports ou ses liens avec tel ou tel défunt. D’ailleurs, il identifie uniquement les gens connus de la sphère publique, comme son père ou les parents de Dominique Anglade; l’important n’est pas le nom des défunts, mais les conséquences que leur disparition a eues sur leur entourage.

Y a-t-il une différence entre un décès médicalement « programmé » – ce glas sonné par l’oncologiste ou quel qu’autre soignant et une mort subite? Et ces gens avec qui on a partagé de bons moments ou une certaine intimité dont on a perdu la trace et qui nous reviennent sur le pas d’un mausolée imaginaire?

Perdre une amie, un frère, un neveu ou même son père sont des situations distinctes selon l’intensité des relations entretenues avec chacun. Notre âge, comme celui de la défunte ou du défunt, joue aussi sur notre appropriation du décès, car la mort gagne une forme d’acceptation de plus en plus raisonnée avec le vieillissement puisque nous savons que nous allons y passer tôt ou tard.

De tels contextes sont relatés quand l’auteur parle de son neveu ou de la conversation avec l’homme d’affaires Alexandre Taillefer dont le fils adolescent s’est suicidé. Le mythe voulant que le décès d’un enfant ne doive jamais se produire avant celui des parents a la vie dure. Hélas! cela se produit de plus en plus fréquemment et cause tous les dommages moraux qu’on peut imaginer.

Le récit intitulé "Mon frère" est fort émouvant. Il exige une mise en contexte pour bien comprendre la relation entre les deux frères et leur famille, pour mesurer les conséquences de ce décès sur leur entourage. On peut croire qu’il y a eu une relation amour-haine entre les frères et une relation toxique pour le reste de la famille. Et le voilà qu’après s’être sorti de la rue, au sens propre et au figuré, ce frère meurt des années plus tard sans que leur relation soit complètement rétablie.

Qu'en est-il du décès de Richard Garneau, le "Papa" de l’auteur? Celui-ci brosse une fresque des relations père-fils à différentes époques et il exprime sa fierté, son admiration pour son père en relatant quelques anecdotes, dont cette dernière émission de « Samedi et rien d’autre » à laquelle ils ont participé.

Stéphane Garneau fait œuvre utile en publiant cette lettre à une amie, son témoignage permettant de mettre en perspective diverses réactions au moment du décès d’une personne qui nous est ou nous fut chère. Cela permet, entre autres, de mesurer le poids des relations familiales et celui des amitiés, ces liens que l’éducation judéo-chrétienne donne à croire éternels.

Quand il écrit que, lorsque les familles Garneau réunies au chevet du papa pour décider de mettre fin ou non au traitement devenu inutile, son père était déjà décédé dans son for intérieur. Pour avoir pris semblable décision après avoir accompagné mon propre père durant ses dernières semaines sur terre, je crois que le moment final est venu de lui-même, un apaisement profond comme une porte d’entrée du deuil.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire