mercredi 29 avril 2020

Alfred DesRochers
Élégies pour l’épouse en-allée
Montréal, Bq, 2020, 64 p., 8,95 $.

Icône de l’amour

Il y a longtemps mon ami Jean Royer et moi discutions poésie québécoise, celle écrite entre Nelligan et la génération de Saint-Denys-Garneau, Hébert et Lasnier. J’évoquais le nom d’Alfred DesRochers dont les sonnets en vernaculaire d’À l’ombre de l’Orford ravissaient mes étudiants qui constataient, certains pour la première fois, que la langue avait une musicalité en elle-même. Jean me parla ce jour-là d’un recueil paru aux éditions Parti Pris, en 1967, intitulé Élégies pour l’épouse en-allée, qui était devenu rarissime, sinon dans Œuvres poétiques I paru dans la collection « Le Nénuphar » des éditions Fides, en 1977, également introuvable.



À la recherche de ce livre, j’ai emprunté l’exemplaire sur les rayons de la bibliothèque du cégep où j’enseignais pour lire ces élégies. Qu’est-ce qu’une élégie, me demanderez-vous? C’est un « poème lyrique tendre et triste qui communique les sentiments de l’auteur par des images et des rythmes très évocateurs, ayant souvent pour thème le malheur en amour ». Quant au sonnet, c’est une forme fixe de versification constituée de quatorze vers, deux quatrains suivis de deux tercets, dont DesRochers est passé maître, les 49 élégies d’Élégies pour l’épouse en-allée étant autant d’exemples de son talent.
J’en fus tout chamboulé, car, non seulement y retrouvais-je les sonnets comme seul DesRochers savait en écrire, mais devant un homme démuni suite au décès de sa compagne des quarante dernières années. Depuis, j’ai trouvé un exemplaire du livre, me le suis procuré et j’ai pris l’habitude de relire quelques fois par année les vers du vieux Alfred. Ces sonnets me font penser à mon propre père, à son désarroi devant la mort lente de son épouse, ma mère, dont il ne pouvait accepter le dépérissement à petit feu.
Il y a quelque temps, dans un échange de correspondances avec Pierre Filion, PDG des éditions Leméac et éditeur aux éditions Bibliothèque québécoise, je lui suggérai de publier le recueil. Il a semblé adhérer à mon idée et il allait relire le recueil. Il m’a rappelé qu’il avait publié Clémence DesRochers, fille du poète, et qu’il allait la contacter pour voir son intérêt à la réédition.
Quelle joie ressentie lorsque j’appris la parution prochaine d’Élégies pour l’épouse en-allée! Je vous fais partager ce bonheur qu’une œuvre littéraire nous apporte non seulement par l’esthétique du texte, mais aussi par la simple matérialité de ce qui supporte l’intelligence des mots et leur habillement graphique. Que dire de l’émoi qu’elle suscite, un trouble intangible qu’on peut renouveler à volonté?
Le poète et éditeur Paul Bélanger écrit en avant-propos : « Rédigé après le décès de son épouse en 1964, ce recueil se veut un hommage à quarante ans de vie commune. Dédié à nos enfants, le court ensemble évoque la forte présence de l’être aimée récemment disparue, source de vie et d’inspiration poétique, cette Rose-Alma au rire d’hirondelle. La forme canonique du sonnet, si familière au poète, demeure toujours empreinte d’une émouvante affection, imprégnée du réalisme et du naturalisme propres au chantre de l’Orford, une des très grandes voix de la littérature québécoise. […] La lecture de ces élégies à la défunte demeure toujours aussi vibrante qu’à sa publication il y a cinquante ans. La forme canonique du sonnet et l’allure classique des poèmes en vers réguliers et rimés, toujours liés au langage familier, en font une œuvre envoûtante. »
Qu’ajouter, sinon d’accompagner le poète dans cette quête de l’image fugace des instants de vie amoureuse avec sa compagne de tant d’années qu’il ne veut pas effacer, mais bien illustrer par cette fresque aux puissantes couleurs des mots.

Hugues Corriveau
Et là, mon père suivi de Et là, ma mère
Montréal, du passage, coll. « Poésie », 2020

Icônes de l’enfance

Les vers d’Alfred DesRochers me sont parvenus au même moment qu’Et là, mon père suivi de Et là, ma mère, recueil de Hugues Corriveau proposant deux suites de sept élégies, l’une adressée à son père et l’autre à sa mère.



Corriveau y joue de l’espace plus que de la strophe, tout en laissant de côté la rigidité de la forme fixe et en intégrant, ici et là, des élans de prose poétique pour nous donner le temps de respirer entre les images fortes. Si DesRochers écrit sa passion de sa regrettée compagne, Corriveau pose son regard d’enfant adulte sur son père et sa mère sans abuser de nostalgie, les animant du regard qu’il a d’eux sans les magnifier de sentiments inutilement laudateurs.
Connaît-on vraiment notre père et notre mère? La parentalité ne se multiplie-t-elle pas selon le nombre d’enfants que compte la famille, chacune chacun ayant des images qui ne correspondent pas tout à fait? L’enfant unique n’a qu’une image, une projection inexorablement fausse.
En entrevue, le poète Corriveau explique que la différence entre les poèmes consacrés au père et ceux à sa mère tient au fait qu’elle est toujours vivante alors que lui est décédé. Les souvenirs de fin de la vie du paternel et du rude combat qu’il a livré avant que la mort ennemie l’emporte en font un héros à ses yeux. Quant à Et là, ma mère, il s’en dégage une sérénité presque naïve insufflée par l’image que l’écrivain a d’elle d’aussi loin qu’au temps de l’enfance. « J’ai appris chaque pas de ma marche, la souplesse de mes larmes, la misère même de la pitié, si lente mère. »
Le père, la mère, l’amante et l’amant sont au cœur de discours poétiques illustrant l’énergie de toute une vie. Que ce soit les élégies d’A. DesRochers ou celles de Hugues Corriveau, elles réfléchissent l’essence même de la vie humaine à tous les âges que seule la poésie peut réverbérer.

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