mercredi 6 mai 2020

Catherine Voyer-Léger
Métier critique, nouvelle édition
Trois-Rivières, Septentrion, 2020, 234 p., 24,95 $ (papier), 18,99 $ (numérique).

Cent fois sur le métier (Boileau)

Il est rare au Québec qu’un éditeur publie une nouvelle édition d’un livre paru cinq ans plus tôt. C’est d’autant plus étonnant quand il s’agit d’un essai de niche, traitant d’un sujet pointu s’adressant, à priori, à un public restreint. Or voilà que le Septentrion a récemment lancé Métier critique, l’essai de Catherine Voyer-Léger, paru en 2014, qui s’intéresse à la critique culturelle dans les médias.



Je n’allais pas gâter mon plaisir de constater où en était la réflexion que l’autrice a développée, d’autant plus que la situation de la presse écrite, nationale ou régionale, connaît actuellement son lot de difficultés. Il y a aussi que la presse spécialisée, dont les revues à vocation culturelle, a vécu des changements de garde à leur direction et à leur politique éditoriale au cours des dernières années. Tout ces bouleversements ont eu et continuent d’avoir des effets immédiats sur le métier de critique et le point de vue de Mme Voyer-Léger sur cette situation retient mon attention.
J’ai d’abord fait une lecture parallèle des deux éditions afin de constater ce qui avait changé d’un livre à l’autre. Cet exercice m’a permis d’observer où et comment l’essayiste a revu l’état du métier de critique, en précisant, ajoutant ou biffant. J’ai entre autres noté qu’elle a inséré ici un article qu’elle a publié sur d’autres plateformes, prolongé la discussion sur un aspect de son analyse, ou encore modifié son point de vue en tenant compte de nouvelles données ou de nouveaux contextes.
Ainsi, le contenu du chapitre 6 a changé totalement : dans l’édition de 2014, il portait sur la critique en ligne, aujourd’hui il demande « que fait la critique de la morale et de l’éthique? » Avec le recul, la première édition prend les teintes d’un « work in progress », l’évolution de la réflexion de l’autrice sur le métier de critique qui, on peut espérer, se poursuivra pour connaître cycliquement où il en est.
Ce serait un truisme de justifier mon intérêt pour cet essai. Cela dit, je ne partage pas nécessairement tous les aspects de l’analyse de Mme Voyer-Léger, bien que de nouveaux éléments de sa réflexion m’ont permis de mieux comprendre son point de vue et même d’y adhérer. Par exemple, l’autorité que peut représenter le critique sur la discipline culturelle dont il est un spécialiste. Qui dit autorité dit référence en la matière et, autant que cela soit toujours vrai, autant le critique, spécialisé dans une discipline, exprime son seul point de vue sur les œuvres qu’il recense ou commente. À ceux qui consulte le média où il s’exprime de faire l’usage qu’ils veulent de son propos. Aucun critique n’est un prophète ni une autorité suprême en sa matière.
Un exemple à ce sujet. Je consulte régulièrement des recensions de film; avec les années, j’ai développé une grande confiance en Odile Tremblay et Marc-André Lussier en apprenant à décoder leur discours critique. Il en va de même de Sylvain Cormier en ce qui a trait à la musique populaire. Jadis, je décodais bien Jean Éthier-Blais, Réginald Martel, Gilles Marcotte, André Brochu, Lise Gauvin, Aurélien Boivin, et j’en passe.
Que dire de la critique où on fait appel aux vedettes de l’heure pour s’exprimer sur un spectacle, un livre ou un film? Un point de vue qui en vaut bien un autre, direz-vous. Hélas non, car c’est la popularité de l’artiste qui donne généralement du poids à son commentaire, non pas une compétence en la matière. Comme Voyer-Léger, je suis d’avis que c’est la pratique du métier et le bagage culturel acquis qui fait le sérieux de la critique. Chose certaine, notre passion pour une activité ne fait pas de nous des professionnels.
Un autre élément de Métier critique que je retiens : ce n’est pas parce qu’une œuvre est populaire qu’elle mérite l’attention des critiques. Un exemple personnel: on me reproche parfois de recenser des livres que « personne ne lira ». J’ignore si, effectivement, ces livres seront lus; cependant, je crois qu’ils méritent d’être connus tant pour leur valeur esthétique que leur intérêt culturel. Comme l’écrit l’essayiste, je tente d’établir un dialogue entre les livres et un éventuel lectorat. En ce sens, oui je suis un passeur culturel.
Je constate aussi, comme Catherine Voyer-Léger, que l’espace critique s’amenuise comme peau de chagrin dans la sphère médiatique. Un des effets pervers de cette situation, c’est que les critiques sont redevenus d’éternels pigistes et qu’ils ont de plus en plus de difficulté à se concentrer sur un seul champ d’intérêt, une seule spécialité. Un samedi de 2019, j’ai constaté qu’un même journaliste culturel couvrait la majorité des sujets abordés dans le Cahier D du Devoir, allant de l’entrevue d’une créatrice à l’article préproduction d’une pièce de théâtre, en passant par la recension d’un nouveau roman. Je ne mets pas ici en doute la compétence du journaliste, mais le manque de diversité de points de vue.
Un dernier commentaire : s’il semble y avoir beaucoup d’improvisation dans le milieu de la critique culturel, un métier qui ne s’improvise pas, l’apparition des influenceurs pas toujours avertis pullulent, pérorant sur tout et sur rien, proposant des suggestions prémâchées. Je suis de peu de foi par-devers eux.
Comme je m’interroge à nouveau sur le rôle de critique littéraire de la revue Les libraires. Qu’on me comprenne bien : je n’ai absolument rien contre ce périodique que je consulte numéro après numéro, ma librairie faisant partie des Librairies indépendantes du Québec. Je m’interroge sur le mélange des genres, entre publicité et commentaire. Je m’inquiète que sa gratuité devienne le vecteur principal de la critique littéraire.
Catherine Voyer-Léger analyse et discute sérieusement « notre rapport à la critique pour entreprendre une discussion de société qui dépasse les procès d’intention, les blessures d’orgueil ou les querelles de clocher. » Métier critique met en perspective une profession essentielle à l’ensemble des composantes de la culture, son discours accompagnant les diverses productions ou en suggérant de nouvelles.

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