mercredi 15 avril 2020

Régine Robin
Ces lampes qu’on a oublié d’éteindre
Montréal, Boréal, coll. « Liberté grande », 2019, 266 p., 27,95 $.

Qui êtes-vous Patrick Modiano?

J’ai lu Patrick Modiano sans voir dans ses romans autre chose que des ballades dans Paris, ses rues sombres où on croise des habitants inquiets, parfois inquiétants. Les histoires du prix Nobel de littérature 2014 se déroulent généralement au lendemain de la guerre 1939-1945, l’année de sa naissance, et nous entraînent dans un univers incertain où le bien et le mal se croisent sans avoir à poser des jugements de valeur sur l’un ou l’autre des personnages.



La sortie de l’essai de Régine Robin, Ces lampes qu’on a oublié d’éteindre, a piqué ma curiosité, car la « Parisienne autant que l’historienne se penche sur les romans de Patrick Modiano, la sociologue autant que la piétonne traverse l’œuvre en parcourant comme autant de rues et de passages les leitmotive et les obsessions de l’auteur de Rue des Boutiques obscures et de Dora Bruder. »
L’ouvrage, en quatre parties, m’a appris à comprendre différemment les sujets et les points de vue du romancier de divers aspects d’une époque révolue qui m’ont échappé. Il y a l’après-guerre en France et les procès d’intention qu’on a faits à celles et ceux qui furent des acteurs d’un scénario différent de ce qu’ils avaient imaginé sous les feux de l’action ou distinct du reflet que leur image avait projeté dans l’esprit de leurs contemporains : ni tout à fait maquisards ni tout à fait collaborateurs, ni tout à fait héros ni tout à fait lâches.
Il y a aussi l’intérêt que porte Modiano à la question juive du point de vue des Juifs eux-mêmes, autant ceux qui niaient leur judéité pour éviter l’envahisseur que ceux qui en faisaient presque le commerce auprès du même occupant.
Régine Robin, née au début de la guerre, a ainsi une mémoire sensorielle de ce que vivait son entourage et des souvenirs, de plus en plus réels, de ce qu’elle a vu. Cela lui permet, l’autorise même à mettre en perspective la toile de fond historique sur laquelle Modiano tisse la trame atmosphérique de ses romans.
C’est ainsi qu’elle interroge tant les acteurs la Résistance que ceux du régime de Vichy. Elle fait de même avec des Juifs qui, sans savoir ce qui se passait dans les camps de concentration dont l’existence des fours crématoires, surfaient littéralement sur le territoire parisien pour éviter d’avoir à faire face à l’occupant. Je résume ainsi l’analyse de ces pages d’Histoire où tout n’était pas noir ou blanc, bien ou mal, l’individualisme ayant été la seule solution à la survie des hommes et des femmes, victimes collatérales du conflit comme on voit aujourd’hui, dans les bulletins de nouvelles télévisées, des populations en fuite.
Le titre de l’essai, Ces lampes qu’on a oublié d’éteindre, me semble une métaphore du décor dans lequel le romancier plante l’action de ses histoires. Un décor tout en nuance, plein de non-dits, plein de ces silences plus bavards que de longs dialogues où chacun n’écoute pas l’autre en préparant son propre monologue. Bref, des dialogues de sourds entre plusieurs des personnages de l’auteur de Rue des boutiques obscures, chacun se retranchant dans sa vérité.
Outre de relater sa lecture de l’œuvre de Modiano, Régine Robin met en perspective divers aspects de l’univers français de la Deuxième Guerre mondiale. Cela m’a rappelé une longue discussion avec de vieux amis, l’un Français, l’autre Suisse qui ont vécu ce conflit alors qu’ils étaient de jeunes hommes. Le premier a expliqué que, n’eût été la passion des soldats allemands pour les vins de sa région, sa production ne serait pas aujourd’hui aussi florissante tout comme celle de son coin de pays. Le second, jeune clerc vivant en France à l’époque, a vu et entendu Hitler à Lyon, la foule hypnotiser par la seule voix de l’orateur dont on ne comprenait peu ou pas le propos.
Régine Robin analyse les histoires de Patrick Modiano à partir des faits bien réels qui se sont produits en France de 1940 à 1945, durant l’Occupation et la Résistance comme durant la Collaboration de Vichy. Les actions des uns et des autres ne sont ni tout à fait bien ni tout à fait mal.
Pour les Nord-Américains que nous sommes, l’essai consacré à l’œuvre de Modiano non seulement nous fournit un angle particulier de lecture de ses histoires, mais il nous oblige à considérer d’un autre point de vue ce que nous apprend l’Histoire de la guerre 1939-1945. Si bien que Ces lampes qu’on a oublié d’éteindre doit intéresser un plus large lectorat que les seuls passionnés de Patrick Modiano, un lectorat qui comprendra que ces lampes oubliées font de l’ombre aux histoires comme à l’Histoire.

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