Victor-Lévy Beaulieu
Monsieur Melville
Montréal, Boréal, coll. « Boréal compact », 2011,
576 p. et 72 p. hors-texte, 19,95 $.
Autour d’une
lecture-fiction
En septembre 1978, Victor-Lévy
Beaulieu célèbre ses 33 ans en publiant Monsieur
Melville, lecture-fiction, lui qui a déjà écrit sur Hugo et Kerouac, et
consacrera des ouvrages à Ferron,
Tolstoï, Voltaire, Thériault et, bien sûr, à James Joyce. Je profite de
la réédition du Melville pour revisiter cette lecture-fiction et pour évaluer
son importance dans l’ensemble de
l’œuvre actuelle de Victor-Lévy Beaulieu.
D’abord, qu’est-ce qu’une « lecture-fiction »,
sinon un compte rendu des livres écrits par Melville, ainsi que des biographies
et des études qui lui ont été consacrées. L’ouvrage de Beaulieu se distingue en
ce qu’il fait graviter tous ces ouvrages autour de son propre imaginaire,
mettant en perspective de façon originale l’homme et l’écrivain Melville.
Abel chez Melville
Pour réaliser ce projet, Beaulieu
convoque Abel Beauchemin, son alter ego littéraire, et lui confie la narration
du livre. La vie d’Abel se confond alors à celle de Melville, laquelle se
nourrit des expériences de son quotidien et de son monde imaginaire. Ainsi, la
première partie du livre, intitulée « Dans les aveilles de Moby Dick », nous permet d’observer
jusque dans le détail la vie familiale des Melville.
À l’âge de 21 ans, Melville part
en mer et, quand il revient, il écrit Taïpi
et Omoo, romans inspirés par ses
voyages. Ces récits deviennent des succès populaires, les seuls qu’il obtiendra
de son vivant, et la renommée ainsi acquise exercera sur lui une pression supplémentaire.
La parade des livres continue
avec Mardi, « une allégorie
fondée sur l’expérience acquise de Taïpi
et d’Omoo… échappant à toutes les
lois romanesques, à toutes les conventions d’écriture, autant celle de la
psychologie des personnages que celles de leur discours même. »
Vie de famille
L’écrivain états-unien épouse
Elizabeth Shaw, fille d’un juge bostonnais lequel supportera constamment les
problèmes financiers de Melville, et sa mère et ses quatre sœurs rejoignent le
couple quelques mois plus tard.
Vient Moby Dick, l’œuvre majeure de Melville reconnue tardivement. Par la
suite, il y a Pierre ou les ambiguïtés,
Bartleby le scribe et des contes. Melville ne connaît aucun succès littéraire
comme celui de ses premiers récits. On comprend que l’écrivain en vienne à abandonner la prose et à se
consacrer à la poésie.
Abel Beauchemin passe de la
« lecture » des événements littéraires et personnels qui ont marqué
l’existence de Melville, à la « fiction » qu’il écrit. Il ne se gêne
pas pour commenter le pourquoi et le comment des propos de Melville, insistant
constamment sur sa façon particulière d’exercer son art. Il me semble même qu’à
fréquenter Melville de la sorte, l’écrivain de Trois-Pistoles en retienne
d’importantes leçons, lesquelles ont marqué son écriture.
Un livre phare
Je retiens deux passages de Monsieur Melville qui opèrent la fusion entre « lecture »
et « fiction ». Cela se produit quand Abel va à la rencontre de son
héros, d’abord en rêvant de s’embarquer avec lui dans un ultime voyage en mer,
puis lorsqu’il le ramenant chez lui en Mattavinie.
Monsieur Melville,
lecture-fiction est assurément un livre déterminant dans le cheminement de l’œuvre
de Victor-Lévy Beaulieu. Je crois qu’il lui a permis d’explorer une nouvelle
façon d’appréhender la vie et l’œuvre des auteurs qu’il adule et d’en rendre
compte de façon originale. Nul doute que cette « lecture-fiction »
est toujours une œuvre phare dans l’univers beaulieusien, cependant je crois
que James Joyce, l’Irlande, le Québec, les mots (essai hilare) pousse
encore plus loin l’expérience du dialogue entre un écrivain, sa vie et son
œuvre, et l’imaginaire de VLB, cette fusion de la réalité de la fiction hors de
l’ordinaire.
Paru dans Lettres
québécoises, no 143, automne 2011
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