mercredi 30 août 2017

Victor-Lévy Beaulieu
Monsieur Melville
Montréal, Boréal, coll. « Boréal compact », 2011, 576 p. et 72 p. hors-texte, 19,95 $.

Autour d’une lecture-fiction

En septembre 1978, Victor-Lévy Beaulieu célèbre ses 33 ans en publiant Monsieur Melville, lecture-fiction, lui qui a déjà écrit sur Hugo et Kerouac, et consacrera des ouvrages à Ferron, Tolstoï, Voltaire, Thériault et, bien sûr, à James Joyce. Je profite de la réédition du Melville pour revisiter cette lecture-fiction et pour évaluer son importance dans l’ensemble de l’œuvre actuelle de Victor-Lévy Beaulieu.
D’abord, qu’est-ce qu’une « lecture-fiction », sinon un compte rendu des livres écrits par Melville, ainsi que des biographies et des études qui lui ont été consacrées. L’ouvrage de Beaulieu se distingue en ce qu’il fait graviter tous ces ouvrages autour de son propre imaginaire, mettant en perspective de façon originale l’homme et l’écrivain Melville.

Abel chez Melville
Pour réaliser ce projet, Beaulieu convoque Abel Beauchemin, son alter ego littéraire, et lui confie la narration du livre. La vie d’Abel se confond alors à celle de Melville, laquelle se nourrit des expériences de son quotidien et de son monde imaginaire. Ainsi, la première partie du livre, intitulée « Dans les aveilles de Moby Dick », nous permet d’observer jusque dans le détail la vie familiale des Melville.
À l’âge de 21 ans, Melville part en mer et, quand il revient, il écrit Taïpi et Omoo, romans inspirés par ses voyages. Ces récits deviennent des succès populaires, les seuls qu’il obtiendra de son vivant, et la renommée ainsi acquise exercera sur lui une pression supplémentaire.
La parade des livres continue avec Mardi, « une allégorie fondée sur l’expérience acquise de Taïpi et d’Omoo… échappant à toutes les lois romanesques, à toutes les conventions d’écriture, autant celle de la psychologie des personnages que celles de leur discours même. »




Vie de famille
L’écrivain états-unien épouse Elizabeth Shaw, fille d’un juge bostonnais lequel supportera constamment les problèmes financiers de Melville, et sa mère et ses quatre sœurs rejoignent le couple quelques mois plus tard.
Vient Moby Dick, l’œuvre majeure de Melville reconnue tardivement. Par la suite, il y a Pierre ou les ambiguïtés, Bartleby le scribe et des contes. Melville ne connaît aucun succès littéraire comme celui de ses premiers récits. On comprend que l’écrivain  en vienne à abandonner la prose et à se consacrer à la poésie.
Abel Beauchemin passe de la « lecture » des événements littéraires et personnels qui ont marqué l’existence de Melville, à la « fiction » qu’il écrit. Il ne se gêne pas pour commenter le pourquoi et le comment des propos de Melville, insistant constamment sur sa façon particulière d’exercer son art. Il me semble même qu’à fréquenter Melville de la sorte, l’écrivain de Trois-Pistoles en retienne d’importantes leçons, lesquelles ont marqué son écriture.

Un livre phare
Je retiens deux passages de Monsieur Melville qui opèrent la fusion entre « lecture » et « fiction ». Cela se produit quand Abel va à la rencontre de son héros, d’abord en rêvant de s’embarquer avec lui dans un ultime voyage en mer, puis lorsqu’il le ramenant chez lui en Mattavinie.
Monsieur Melville, lecture-fiction est assurément un livre déterminant dans le cheminement de l’œuvre de Victor-Lévy Beaulieu. Je crois qu’il lui a permis d’explorer une nouvelle façon d’appréhender la vie et l’œuvre des auteurs qu’il adule et d’en rendre compte de façon originale. Nul doute que cette « lecture-fiction » est toujours une œuvre phare dans l’univers beaulieusien, cependant je crois que James Joyce, l’Irlande, le Québec, les mots (essai hilare) pousse encore plus loin l’expérience du dialogue entre un écrivain, sa vie et son œuvre, et l’imaginaire de VLB, cette fusion de la réalité de la fiction hors de l’ordinaire.


Paru dans Lettres québécoises, no 143, automne 2011

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