Louis-Philippe Hébert
Un homme discret
Montréal, Lévesque, coll. « Réverbération », 2017,
164 p., 25 $.
L’angle mort du
destin
Chaque cataclysme naturel, tel un
tremblement de terre ou un tsunami, ou causé par les humains, comme les guerres
ou les attentats, a pour conséquence qu’il y a des individus qui en profitent
pour disparaître. Ces derniers renaissent dans un monde qu’ils ont choisi, loin
de leur vie antérieure, pour que cette nouvelle existence corresponde le plus
possible à leurs rêves ou aux scénarios qu’ils ont élaborés en se donnant le
beau rôle.
Ces départs ne sont pas de la fiction,
mais une réalité fort bien documentée. L’écrivain Louis-Philippe Hébert a
choisi de raconter un tel virage existentiel et il lui a donné vie à travers le
personnage de Jean Loiselle, un détective privé en fin de carrière et au bout
de sa vie sentimentale.
Pour camper cet antihéros et son
univers, c’est-à-dire son avant, et pour échafauder un après approximatif, le
romancier a organisé Un homme discret
en quatre parties, chacune comptant dix séquences de deux à quatre pages. Cette
structure narrative n’a rien de rigide en soi, mais, en balisant ainsi sa
fiction, l’écrivain lui confère tous les aspects de la réalité.
Ainsi, Jean Loiselle mène une existence
zombique tant dans sa vie personnelle que professionnelle. Il aimerait en
changer, mais n’en a ni l’élan ni l’énergie. La toile de fond de l’univers dans
lequel il évolue met en perspective la morosité de son existence, son horizon
en forme de cul-de-sac et l’incontournable mur qui se dresse devant lui en bout
de piste.
Un jour, un job de filature lui
échappe, car il croit que la cliente sur laquelle il enquête l’a facilement
reconnu. Cet échec le trouble. Un jour suivant, le voilà à l’aéroport où il est
témoin involontaire d’un attentat terroriste dont il sort intact, au milieu
d’un enchevêtrement de membres et de corps ensanglantés. Jean Loiselle profite
de la situation : désormais, il est un mort vivant ayant pour nom Octave
Damphousse, un personnage dont il élabore la vie future depuis très longtemps,
sans savoir si cet Octave existera bel et bien.
Adieu veau, vache, cochon, couvée :
ni son épouse ni son employeur ne pourront prouver sa mort parmi les corps et
gravats de l’explosion. Le vrai Loiselle devenu le Damphousse imaginé, il lui
faut incarner ce personnage en lui conférant une personnalité à mille lieues de
la sienne. La première étape de cette transformation consiste à s’éloigner des
lieux où il avait ses habitudes, puis à créer son Nouveau Monde en le nimbant
d’un mystère qu’il doit entretenir sans relâche, jour après jour.
Le plus difficile, ce ne sont pas
les artifices dont il s’entoure, entre autres ses vêtements sombres ou ce
chapeau trop visible, contraire à toute forme de camouflage, mais de rompre
avec toutes les rituels qui tissaient son existence. Cela n’est pas trop
difficile au début de sa nouvelle vie, mais, au fur et à mesure qu’il s’accoutume
à sa seconde nature, il relâche sa vigilance.
Or, Loiselle devenu Damphousse a
oublié que l’agence qui l’employait n’allait pas le laisser partir dans la
nature sans tenter de savoir ce qui lui était vraiment arrivé. Il est donc
devenu un de leurs clients. Vite repéré, le détective qui suit sa trace raconte
ce qu’il observe du personnage derrière lequel Loiselle se cache. Cela donne
lieu à un chassé-croisé où qui croit prendre est pris jusqu’au moment où la
vérité le rattrape. Que faire alors, sinon de rejouer le drame, de se faire
sauter et, en même temps, de faire disparaître l’agent dont il était devenu le
client?
Un homme discret est une métaphore qui illustre qu’une existence
médiocre peut mener à imaginer se réincarner, puis de découvrir qu’une nouvelle
vie n’est autre chose que ce qu’elle a déjà été, l’avant et l’après n’étant pas
plus satisfaisant l’un que l’autre.
Qui d’autre que Louis-Philippe
Hébert pouvait nous entraîner dans un tel dédale existentiel et nous y faire croire?
Chapeau, monsieur l’Écrivain!
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