Aki
Shimazaki
Yamabuki
Montréal, Leméac, coll. « Nomades»» », 2017, 128
p., 7,95 $.
Voyage, voyage
Je me souviens de tous ces livres
qui m’ont fait voyager, depuis mon enfance, dans des contrées lointaines. Le
Paris de Zola, l’Istanbul des mille et une nuits, le Saint-Pétersbourg des
auteurs russes, l’Algérie de Camus, nos coins de pays explorés par Yves
Thériault, Anne Hébert, Madeleine Gagnon, Rachel Leclerc, sans oublier mon ami
VLB.
Ces mirages littéraires, parfois
lointains ou de très grandes proximités, entrent chez nous par le truchement du
cinéma, de la télé et, bien sûr, d’Internet. Malgré cela, il manque généralement
l’essentiel, c’est-à-dire l’âme de celles et ceux qui les habitent.
C’est ce qui m’a d’abord intéressé
des histoires racontées par Aki Shimazaki, cet Orient évoquant l’éloignement
ultime. Dès la lecture de Tsubaki en
1999, j’ai apprécié le style personnel, minimaliste de l’écrivaine au talent de
peindre ses compatriotes et de les animer à travers leurs us et coutumes millénaires.
Yamabuki est le 10e roman de la romancière et il termine
la deuxième suite de ses récits intitulée « Au cœur du Yamamoto ».
Nous y retrouvons Aïko Sugihara et Tsuyoshi Toda, son époux, héros d’un
précédent roman. Âgé de plus de 80 ans, le couple mène une retraite paisible,
selon ce qu’Aïko raconte, insistant sur la quiétude de leurs occupations journalières.
C’est aussi le temps des souvenirs, ceux qui lui permettent de mettre en relief
les 53 ans de vie passés auprès de Tsuyoshi.
La nature est toujours omni
présente comme dans les précédents livres d’Aki Shimazaki, le titre même, Yamabuki, évoque un arbuste appelé
corète du Japon, une variété de rosacées aux fleurs jaunes. La légende veut que
cette plante soit stérile mais, en réalité, il n’y a qu’une variété qui est ainsi.
Ne l’oublions pas, car Aïko a longtemps cru être semblable à la yamabuki, d’être
elle-même stérile. Ce fut d’ailleurs la raison invoquée par son premier mari
pour divorcer.
La vieillesse d’Aïko et de
Tsuyoshi n’est pas le temps des mauvais souvenirs. Au contraire, nous
accompagnons la narratrice, notamment dans la deuxième partie du récit, dans un
voyage initiatique qui fut déterminant pour son avenir. Ayant divorcé, elle est
partie s’installer à Tokyo chez une tante, son unique parente. Dans le train
qui l’amène, elle aperçoit un jeune homme dont la silhouette la séduit instantanément.
Ce coup de foudre suscite chez elle, pour la première fois de sa vie, le désir
profond de connaître un homme et de faire sa vie auprès de lui.
Lorsque le mystérieux garçon
descend du train, elle ne réalise pas dans le brouhaha des passagers qu’il a
laissé en passant une correspondance sur ses genoux dans laquelle il lui avoue
les sentiments qui l’ont envahi, lui aussi, en la voyant et il lui demande de
communiquer avec lui le plus rapidement possible. La jeune femme hésite à donner
suite à ce message, il lui faut d’abord prendre le temps de s’installer dans sa
ville d’adoption, de trouver un emploi de professeure de la cérémonie du thé et
de s’adapter à sa nouvelle existence.
Aïko finit par retrouver Tsuyoshi.
Ce qui ressemble à un conte de fées se réalise et dure encore après toutes ces
années passées ensemble. C’est l’occasion pour la romancière d’illustrer les
aléas de la vie maritale d’autres couples connus des Toda et de souligner des
différences entre le modèle oriental et occidental de vie familiale.
J’ai retrouvé le plaisir ressenti,
dès les premiers romans, à lire la prose d’Aki Shimazaki à travers la trame et
les péripéties de Yamabuki. La nature,
vivante et luxuriante, et l’expression des sentiments, des plus simples aux plus
nobles, s’entrecroisent d’une page à l’autre, distillant une forme de bonheur
de vivre bien différent de celui faisant vibrer l’Amérique. Comme si la plume de
l’auteure était trempée dans l’encre du bien-être ressenti.
Si vous ne connaissez pas l’œuvre
d’Aki Shimazaki, courez chez votre libraire vous procurer ce roman ou un des
douze autres parus à ce jour, dont plusieurs disponibles en format de poche, et
voyagez avec ses personnages sur ce lointain continent où se trouve le Japon.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire