Michèle Plomer
Étincelle
Montréal, Marchand de feuilles, 2016, 312 p., 24,95 $.
Quand Michèo raconte
Shen Song
On dit d’une écrivaine qu’elle a
du style quand elle empreint sa prose ou ses vers de sa personnalité littéraire,
affirmant ainsi son appropriation des outils d’écriture. Michèle Plomer a ainsi
développé sa facture romanesque à travers ses cinq premiers romans, surtout
dans la suite Dragonville où elle a
fait voyager le lecteur de l’Estrie à la Chine, d’une époque à l’autre. Elle
nous propose aujourd’hui Étincelle,
une autofiction dont seul les élans de fiction modèrent la
fulgurance autrement
troublante.
Nous voilà à Shenzhen, ville de
Chine non loin de Hong Kong devenue un pôle économique dans les années 1980.
Michèo, comme la nomment ses amis chinois, enseigne l’anglais, à l’université
locale, à des professeurs souhaitant améliorer leurs connaissances et leurs habiletés
de la langue de Shakespeare. Elle s’est liée d’amitié avec Shen Song, une
étudiante avec qui elle découvre le quotidien des Chinois, dont les règles austères
imposées par le régime s’étendent jusque dans l’intimité des individus.
Un jour, Song invite Michèo pour son
anniversaire, ce qui lui permettra de visiter le logement que l’Université lui a
accordé. À la dernière minute, la Magogoise annule le rendez-vous. Song prépare
quand même les plats qu’elle voulait servir à son amie et, au moment où elle
allume la gazinière, tout saute.
Le tragique événement nous est
raconté avec sobriété, créant ainsi l’atmosphère lourde dans lequel baigne la
trame du roman. Les spectateurs impuissants de la tragédie ignorent si l’appartement
était occupé et ils craignent le pire, surtout que le gardien des lieux refuse l’entrée
des secours tant qu’on ne l’y a pas autorisé. Soudainement surgit de l’espace
enfumé un corps qui n’est que plaies. On l’amène enfin dans un hôpital éloigné,
là où personne ne songera à enquêter sur l’incident.
La romancière traduit avec
justesse un événement dont les conséquences sont indicibles, cela sans tomber
dans le pathos. Faire de telles circonstances une histoire où seules les
relations entre un nombre limité de personnages, dans des conditions abjectes,
est le défi qu’elle a bien relevé. Ainsi, la tension des premières heures après
que Song soit devenue une grande brûlée est palpable; la jeune femme est entre
la vie et la mort, une fin que souhaitent les autorités pour couper court aux
accusations. L’atmosphère s’alourdit quand les parents de Shan Song arrivent de
leur lointaine campagne et que le père exige des explications et des soins
appropriés pour sa fille. N’oublions pas ici que c’est l’époque où l’État
limite le nombre d’enfants par famille, et que les filles ne sont pas
bienvenues.
Pendant des mois, l’espace
réservé à la famille Shan devient un camp de résistance. Il faut du temps avant
qu’on puisse communiquer avec Song, puis qu’on la voit. Cette incommunicabilité
pèse lourd et génère les plus improbables scénarios. Seule, l’infirmière Wang
sert de messagère ou d’interprète entre Song et les siens. Il faudra l’arrivée
d’un médecin japonais pour assainir le climat de tension, parfois extrême, le
spécialiste prenant en charge la malade en faisant fi des dictats de l’État. Plus
tard, ce sera la venue de « Lemon », stagiaire en médecine
traditionnelle chinoise, dont les soins et l’affection qu’il voue à la patiente
accompagneront sa guérison, toute relative fut-elle.
Ce qui touche jusqu’à l’émoi de
cette aventure, c’est que Michèle Plomer réussit à créer de la beauté d’une
tragédie qui engendre des drames personnels pour toutes ces gens en relation
avec Shen Song. Leur empathie et leur dévouement extrême soutiennent le pari de
vivre que la jeune femme a pris et remporté. Cet humanisme en vient même à
avoir raison du Pouvoir qui ne peut rien contre la bonté fraternelle dont fait preuve
l’entourage de la grande brûlée.
Oui, Étincelle est un grand roman en cette ère d’individualisme dans
lequel baigne la planète.
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