mercredi 1 mars 2017

Michèle Plomer
Étincelle
Montréal, Marchand de feuilles, 2016, 312 p., 24,95 $.

Quand Michèo raconte Shen Song

On dit d’une écrivaine qu’elle a du style quand elle empreint sa prose ou ses vers de sa personnalité littéraire, affirmant ainsi son appropriation des outils d’écriture. Michèle Plomer a ainsi développé sa facture romanesque à travers ses cinq premiers romans, surtout dans la suite Dragonville où elle a fait voyager le lecteur de l’Estrie à la Chine, d’une époque à l’autre. Elle nous propose aujourd’hui Étincelle, une autofiction dont seul les élans de fiction modèrent la fulgurance autrement troublante.
Nous voilà à Shenzhen, ville de Chine non loin de Hong Kong devenue un pôle économique dans les années 1980. Michèo, comme la nomment ses amis chinois, enseigne l’anglais, à l’université locale, à des professeurs souhaitant améliorer leurs connaissances et leurs habiletés de la langue de Shakespeare. Elle s’est liée d’amitié avec Shen Song, une étudiante avec qui elle découvre le quotidien des Chinois, dont les règles austères imposées par le régime s’étendent jusque dans l’intimité des individus.

Un jour, Song invite Michèo pour son anniversaire, ce qui lui permettra de visiter le logement que l’Université lui a accordé. À la dernière minute, la Magogoise annule le rendez-vous. Song prépare quand même les plats qu’elle voulait servir à son amie et, au moment où elle allume la gazinière, tout saute.
Le tragique événement nous est raconté avec sobriété, créant ainsi l’atmosphère lourde dans lequel baigne la trame du roman. Les spectateurs impuissants de la tragédie ignorent si l’appartement était occupé et ils craignent le pire, surtout que le gardien des lieux refuse l’entrée des secours tant qu’on ne l’y a pas autorisé. Soudainement surgit de l’espace enfumé un corps qui n’est que plaies. On l’amène enfin dans un hôpital éloigné, là où personne ne songera à enquêter sur l’incident.
La romancière traduit avec justesse un événement dont les conséquences sont indicibles, cela sans tomber dans le pathos. Faire de telles circonstances une histoire où seules les relations entre un nombre limité de personnages, dans des conditions abjectes, est le défi qu’elle a bien relevé. Ainsi, la tension des premières heures après que Song soit devenue une grande brûlée est palpable; la jeune femme est entre la vie et la mort, une fin que souhaitent les autorités pour couper court aux accusations. L’atmosphère s’alourdit quand les parents de Shan Song arrivent de leur lointaine campagne et que le père exige des explications et des soins appropriés pour sa fille. N’oublions pas ici que c’est l’époque où l’État limite le nombre d’enfants par famille, et que les filles ne sont pas bienvenues.
Pendant des mois, l’espace réservé à la famille Shan devient un camp de résistance. Il faut du temps avant qu’on puisse communiquer avec Song, puis qu’on la voit. Cette incommunicabilité pèse lourd et génère les plus improbables scénarios. Seule, l’infirmière Wang sert de messagère ou d’interprète entre Song et les siens. Il faudra l’arrivée d’un médecin japonais pour assainir le climat de tension, parfois extrême, le spécialiste prenant en charge la malade en faisant fi des dictats de l’État. Plus tard, ce sera la venue de « Lemon », stagiaire en médecine traditionnelle chinoise, dont les soins et l’affection qu’il voue à la patiente accompagneront sa guérison, toute relative fut-elle.
Ce qui touche jusqu’à l’émoi de cette aventure, c’est que Michèle Plomer réussit à créer de la beauté d’une tragédie qui engendre des drames personnels pour toutes ces gens en relation avec Shen Song. Leur empathie et leur dévouement extrême soutiennent le pari de vivre que la jeune femme a pris et remporté. Cet humanisme en vient même à avoir raison du Pouvoir qui ne peut rien contre la bonté fraternelle dont fait preuve l’entourage de la grande brûlée.

Oui, Étincelle est un grand roman en cette ère d’individualisme dans lequel baigne la planète.

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