Marie-Ève Lacasse
Peggy dans les phares
Montréal, Flammarion Québec, 2017, 248 p. 26,95 $.
Vivre avec toi et tes
autres vies
Adolescent, je m’intéressais aux classiques
de la littérature française, et à ceux et celles qui allaient le devenir. Ainsi
en 1964, j’ai lu, en rafale, Bonjour
tristesse et Un certain sourire,
premiers romans de Françoise Quoirez, alias François Sagan. J’ai ensuite suivi
distraitement sa carrière et ses folles équipées. En 2008, lorsque parut Sagan, le film de Diane Kurys dans
lequel Sylvie Testud est criante de vérité, j’ai fait une visite guidée de son univers
et j’ai appris que, pendant une vingtaine d’années, Sagan avait eu à ses côtés un
ange gardien et une amoureuse souvent éconduite.
Je découvre maintenant qui était
cette amie fidèle et quasi inconditionnelle : Peggy Roche. C’est la
romancière québécoise, Marie-Ève Lacasse, qui est l’auteure de Peggy dans les phares. Installée à
Paris, l’écrivaine, à l’époque où elle signait Clara Ness a publié deux livres,
Ainsi font-elles (XYZ, 2005) et Genèse de l’oubli (XYZ, 2006), qui annonçaient
l’arrivée d’un talent dont il fallait observer l’évolution de la carrière.
Peggy Roche a bel et bien existé
et fut effectivement la compagne silencieuse de Françoise Sagan. Cela ne résume
pas sa vie, car Peggy, comme l’appelait son entourage, n’a pas attendu, au
propre comme au figuré, de partager le quotidien de ce « charmant petit
monstre » qu’était, selon François Mauriac, l’auteure d’Un profil perdu, une fiction parue en
1974 et qu’elle lui dédicacera.
Notons au passage que la femme
dont la photo paraît en couverture du roman n’est autre que Peggy Roche.
M.-È. Lacasse imagine la première
rencontre de Sagan et Roche dans le bureau d’Hélène Lazareff au magazine Elle, en 1955. « Tu étais l’être
humain le plus timide et tremblotant que j’aie jamais rencontré… », se
souvient-elle. Quoirez n’est pas encore tout à fait Sagan, bien que le récit
décrive par petites touches, comme le ferait une peintre pour donner du
caractère, de l’intensité au personnage qui prend forme sur la toile. C’est, me
semble-t-il, une des forces du roman que d’illustrer la création d’une
écrivaine qui en vient à imaginer son existence plutôt que de la vivre comme
elle le ferait d’un personnage : « Françoise réalise d’ailleurs que
sa vie se déroule souvent comme elle l’a précédemment désiré, par le biais
puissant de la littérature. »
L’auteure n’oublie jamais que c’est
Peggy qui est au cœur de l’histoire, tantôt comme narratrice et, parfois, comme
sujet du récit. Or, ce qu’il y a d’envoûtant dans la trame, c’est l’équilibre
qu’elle crée entre celle qui a un second rôle, sinon un rôle secondaire, dans
la vie de Sagan et le fait qu’elle soit au centre de Peggy dans les phares. C’est d’autant plus « magique »
que Sagan a une cour parasitaire comme un roi de France et que certaines de ces
gens considèrent Peggy comme un banal faire-valoir.
Pourtant, la vie de Peggy Roche
n’a rien d’ordinaire. Mannequin et passionnée de mode sa vie durant, elle se
mariera plus d’une fois, entre autres avec le comédien Claude Brasseur en 1961,
et elle n’aura pas que Sagan comme amante. Elle signera même sa propre
collection de vêtements et vivra d’autres expériences d’affaires qui n’auront
pas toujours le succès escompté.
M.-È. Lacasse a choisi de ne pas
raconter une histoire linéaire, mais de brasser les cartes des unités de temps
et de lieux en se concentrant sur le mariage des atmosphères que provoquent les
protagonistes. Je note ici sa façon d’énumérer une suite d’actions, sans point
ni virgule, produisant ainsi une essoufflante séquence, comme ce qu’elle met en
mots. Puis-je parler d’une mise en abyme où une série de petits et de grands
événements s’imbriquent les uns dans les autres pour tracer, en fin de compte, une
large fresque d’une liaison autrement impossible? Je crois que c’est là le
talent de l’auteure de Peggy dans les
phares auquel se greffe une appropriation réussie de l’air du temps des
intellectuels et du jet set des années 1950 à 1990, particulièrement des 20
dernières que Roche et Sagan ont partagées.
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