mercredi 22 mars 2017

Marie-Ève Lacasse
Peggy dans les phares
Montréal, Flammarion Québec, 2017, 248 p. 26,95 $.

Vivre avec toi et tes autres vies

Adolescent, je m’intéressais aux classiques de la littérature française, et à ceux et celles qui allaient le devenir. Ainsi en 1964, j’ai lu, en rafale, Bonjour tristesse et Un certain sourire, premiers romans de Françoise Quoirez, alias François Sagan. J’ai ensuite suivi distraitement sa carrière et ses folles équipées. En 2008, lorsque parut Sagan, le film de Diane Kurys dans lequel Sylvie Testud est criante de vérité, j’ai fait une visite guidée de son univers et j’ai appris que, pendant une vingtaine d’années, Sagan avait eu à ses côtés un ange gardien et une amoureuse souvent éconduite.
Je découvre maintenant qui était cette amie fidèle et quasi inconditionnelle : Peggy Roche. C’est la romancière québécoise, Marie-Ève Lacasse, qui est l’auteure de Peggy dans les phares. Installée à Paris, l’écrivaine, à l’époque où elle signait Clara Ness a publié deux livres, Ainsi font-elles (XYZ, 2005) et Genèse de l’oubli (XYZ, 2006), qui annonçaient l’arrivée d’un talent dont il fallait observer l’évolution de la carrière.
Peggy Roche a bel et bien existé et fut effectivement la compagne silencieuse de Françoise Sagan. Cela ne résume pas sa vie, car Peggy, comme l’appelait son entourage, n’a pas attendu, au propre comme au figuré, de partager le quotidien de ce « charmant petit monstre » qu’était, selon François Mauriac, l’auteure d’Un profil perdu, une fiction parue en 1974 et qu’elle lui dédicacera.
Notons au passage que la femme dont la photo paraît en couverture du roman n’est autre que Peggy Roche.
  


M.-È. Lacasse imagine la première rencontre de Sagan et Roche dans le bureau d’Hélène Lazareff au magazine Elle, en 1955. « Tu étais l’être humain le plus timide et tremblotant que j’aie jamais rencontré… », se souvient-elle. Quoirez n’est pas encore tout à fait Sagan, bien que le récit décrive par petites touches, comme le ferait une peintre pour donner du caractère, de l’intensité au personnage qui prend forme sur la toile. C’est, me semble-t-il, une des forces du roman que d’illustrer la création d’une écrivaine qui en vient à imaginer son existence plutôt que de la vivre comme elle le ferait d’un personnage : « Françoise réalise d’ailleurs que sa vie se déroule souvent comme elle l’a précédemment désiré, par le biais puissant de la littérature. »
L’auteure n’oublie jamais que c’est Peggy qui est au cœur de l’histoire, tantôt comme narratrice et, parfois, comme sujet du récit. Or, ce qu’il y a d’envoûtant dans la trame, c’est l’équilibre qu’elle crée entre celle qui a un second rôle, sinon un rôle secondaire, dans la vie de Sagan et le fait qu’elle soit au centre de Peggy dans les phares. C’est d’autant plus « magique » que Sagan a une cour parasitaire comme un roi de France et que certaines de ces gens considèrent Peggy comme un banal faire-valoir.
Pourtant, la vie de Peggy Roche n’a rien d’ordinaire. Mannequin et passionnée de mode sa vie durant, elle se mariera plus d’une fois, entre autres avec le comédien Claude Brasseur en 1961, et elle n’aura pas que Sagan comme amante. Elle signera même sa propre collection de vêtements et vivra d’autres expériences d’affaires qui n’auront pas toujours le succès escompté.

M.-È. Lacasse a choisi de ne pas raconter une histoire linéaire, mais de brasser les cartes des unités de temps et de lieux en se concentrant sur le mariage des atmosphères que provoquent les protagonistes. Je note ici sa façon d’énumérer une suite d’actions, sans point ni virgule, produisant ainsi une essoufflante séquence, comme ce qu’elle met en mots. Puis-je parler d’une mise en abyme où une série de petits et de grands événements s’imbriquent les uns dans les autres pour tracer, en fin de compte, une large fresque d’une liaison autrement impossible? Je crois que c’est là le talent de l’auteure de Peggy dans les phares auquel se greffe une appropriation réussie de l’air du temps des intellectuels et du jet set des années 1950 à 1990, particulièrement des 20 dernières que Roche et Sagan ont partagées.

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