mercredi 16 août 2017

Louis-Philippe Hébert
Un homme discret
Montréal, Lévesque, coll. « Réverbération », 2017, 164 p., 25 $.

L’angle mort du destin

Chaque cataclysme naturel, tel un tremblement de terre ou un tsunami, ou causé par les humains, comme les guerres ou les attentats, a pour conséquence qu’il y a des individus qui en profitent pour disparaître. Ces derniers renaissent dans un monde qu’ils ont choisi, loin de leur vie antérieure, pour que cette nouvelle existence corresponde le plus possible à leurs rêves ou aux scénarios qu’ils ont élaborés en se donnant le beau rôle.




Ces départs ne sont pas de la fiction, mais une réalité fort bien documentée. L’écrivain Louis-Philippe Hébert a choisi de raconter un tel virage existentiel et il lui a donné vie à travers le personnage de Jean Loiselle, un détective privé en fin de carrière et au bout de sa vie sentimentale.
Pour camper cet antihéros et son univers, c’est-à-dire son avant, et pour échafauder un après approximatif, le romancier a organisé Un homme discret en quatre parties, chacune comptant dix séquences de deux à quatre pages. Cette structure narrative n’a rien de rigide en soi, mais, en balisant ainsi sa fiction, l’écrivain lui confère tous les aspects de la réalité.
Ainsi, Jean Loiselle mène une existence zombique tant dans sa vie personnelle que professionnelle. Il aimerait en changer, mais n’en a ni l’élan ni l’énergie. La toile de fond de l’univers dans lequel il évolue met en perspective la morosité de son existence, son horizon en forme de cul-de-sac et l’incontournable mur qui se dresse devant lui en bout de piste.
Un jour, un job de filature lui échappe, car il croit que la cliente sur laquelle il enquête l’a facilement reconnu. Cet échec le trouble. Un jour suivant, le voilà à l’aéroport où il est témoin involontaire d’un attentat terroriste dont il sort intact, au milieu d’un enchevêtrement de membres et de corps ensanglantés. Jean Loiselle profite de la situation : désormais, il est un mort vivant ayant pour nom Octave Damphousse, un personnage dont il élabore la vie future depuis très longtemps, sans savoir si cet Octave existera bel et bien.
Adieu veau, vache, cochon, couvée : ni son épouse ni son employeur ne pourront prouver sa mort parmi les corps et gravats de l’explosion. Le vrai Loiselle devenu le Damphousse imaginé, il lui faut incarner ce personnage en lui conférant une personnalité à mille lieues de la sienne. La première étape de cette transformation consiste à s’éloigner des lieux où il avait ses habitudes, puis à créer son Nouveau Monde en le nimbant d’un mystère qu’il doit entretenir sans relâche, jour après jour.
Le plus difficile, ce ne sont pas les artifices dont il s’entoure, entre autres ses vêtements sombres ou ce chapeau trop visible, contraire à toute forme de camouflage, mais de rompre avec toutes les rituels qui tissaient son existence. Cela n’est pas trop difficile au début de sa nouvelle vie, mais, au fur et à mesure qu’il s’accoutume à sa seconde nature, il relâche sa vigilance.
Or, Loiselle devenu Damphousse a oublié que l’agence qui l’employait n’allait pas le laisser partir dans la nature sans tenter de savoir ce qui lui était vraiment arrivé. Il est donc devenu un de leurs clients. Vite repéré, le détective qui suit sa trace raconte ce qu’il observe du personnage derrière lequel Loiselle se cache. Cela donne lieu à un chassé-croisé où qui croit prendre est pris jusqu’au moment où la vérité le rattrape. Que faire alors, sinon de rejouer le drame, de se faire sauter et, en même temps, de faire disparaître l’agent dont il était devenu le client?
Un homme discret est une métaphore qui illustre qu’une existence médiocre peut mener à imaginer se réincarner, puis de découvrir qu’une nouvelle vie n’est autre chose que ce qu’elle a déjà été, l’avant et l’après n’étant pas plus satisfaisant l’un que l’autre.

Qui d’autre que Louis-Philippe Hébert pouvait nous entraîner dans un tel dédale existentiel et nous y faire croire? Chapeau, monsieur l’Écrivain!

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