Aki Shimazaki
Urushi
Arles, Actes Sud, 2024, 144 p.,
29,95 $.
Au pays de l’adolescence de Suzuko
Aki Shimazaki, née au Japon et vivant à Montréal depuis 1991, a publié son premier roman, Tsubaki, en 1999 et n’a cessé depuis de faire paraître en continu une vingtaine de récits, regroupés en quatre suites – aussi appelées pentalogies – de cinq histoires indépendantes l’une de l’autre. Cela permet aux lectrices et lecteurs de choisir l’un ou l’autre de ces romans sans se préoccuper de ceux d’avant ou d’après. Celles et ceux qui aiment les romans-fleuves peuvent s’offrir une suite complète où ils retrouveront le même noyau de personnages, l’un d’eux devenant le narrateur d’un épisode.
Suzuran, paru en 2020,
débutait la séquence intitulée « Une clochette sans battant », Anzu
Niré, céramiste et mère célibataire, assurant la narratrice. Arrive en mai 2024,
le dernier volet intitulé Urushi, ce qui signifie « laquier, arbre
à laque, vernis du Japon, la laque elle-même » qui a pour usage de souder
ou de coller deux ou plusieurs pièces d’un article en poterie ou en verre
brisé.
La jeune narratrice ressent un
grand amour pour Tôru, devenu son frère par la force des choses. Il y a un grand
écart d’âge entre eux, si bien qu’il a souvent gardé Suzuko quand leurs parents
s’absentaient. Qu’importe, elle cherche à lui avouer ses sentiments, ce qui la
trouble profondément. Il faut savoir qu’au Japon le mariage entre cousins et cousines
est permis, ce qui est le véritable lien entre elle et Tôru.
Il y a aussi ce moineau à l’aile
brisée qu’elle a recueilli et dont elle prend soin tout en tentant de lui
apprendre à dire quelques noms, dont le sien et celui de son frère. Que dire
des études de Suzuko qui la préoccupe presque autant que son amour pour Tôru,
car elle ignore dans quelle discipline poursuivre ses études universitaires,
une décision qu’elle doit prendre bientôt. Elle aimerait bien aller dans une
université sise dans la ville où habite Tôru, mais ce dernier et leurs parents
lui conseillent de choisir une université de la ville où la famille habite, ce
qui faciliterait son intégration à l’éducation supérieure.
Suzuko est solitaire et elle ne
fréquente pas ses consœurs ou confrères en dehors de l’école. Il y a bien
Yoshio Katô qui lui a laissé un message dans lequel il lui avoue son béguin,
mais l’adolescente ne veut pas fréquenter un garçon de son âge et laisser
naître un sentiment amoureux, réservant cet espoir à son propre frère.
Suzuko ne vit pas reclus pour
autant. Outre sa vie familiale très active – ses parents étant très présents
dans sa vie quotidienne, malgré le travail de chacun, et lui permettant
généralement de s’inscrire aux activités parascolaires de son choix, voyant là
des sources du développement de sa personnalité –, il y a ses cousines Miyoko
et Namiko, les filles de Nobuki, le frère de sa défunte mère et d’Anzu, sa mère
adoptive. Mais, il y a une ombre au tableau :Namiko rêve d’épouser Tôru,
ce qui contrarie Suzuko.
Au début du roman, Tôru est en
voyage à Hawaï et il doit passer quelques jours dans sa famille avant de
rentrer chez lui à Nagoya. Suzuko croit que c’est le temps ou jamais de lui
faire sa déclaration d’amour. Aki Shimazaki nous donne à nouveau l’occasion
d’observer la dynamique d’une famille japonaise éduquée, financièrement à
l’aise – le père, jamais nommé dans le texte, est chimiste pour une grande
société et Anzu est une céramiste réputée – et dont les liens familiaux sont tissés
serrer.
Toujours à la recherche de
nouvelles activités parascolaires susceptibles de l’aider à choisir un métier
ou une profession qui lui conviendrait, ses parents l’encouragent à suivre des
cours de "kintsugi", la « réparation de céramiques avec la laque
"urushi" et de la poudre d’or, un art japonais remontant à plus de
quatre siècles aussi appelé art de la résilience. » Ils lui proposent même
des objets auxquels ils tiennent et qui méritent d’être réparés, dont une
clochette achetée lors d’un voyage important.
Au premier atelier, Suzuko se
croit la plus jeune du groupe jusqu’à ce qu’un garçon de son âge arrive juste à
temps pour le début de la leçon. Elle croit le reconnaître, mais préfère se
concentrer sur ce qu’on lui apprend, car, perfectionniste, elle veut mener à
bien les travaux qu’on lui a confiés. À la fin de l’atelier, Yoshio Katô lui
confie qu’il est le dernier à s’être inscrit à l’atelier, surtout parce qu’on
lui a dit qu’il ferait un bon compagnon pour la plus jeune inscrite, Suzuko.
Or, c’est Yoshio qui lui a laissé une lettre d’amour à laquelle elle n’a pas
donné suite, même si cela l’a troublé.
Tôru est rentré de voyage, son
bref séjour chez les siens est fort occupé, au point où Suzuko ne parvient
qu’in extremis à lui avouer son amour. La réaction de Tôru blesse
l’adolescente, car, si son frère ressent un amour fraternel à son endroit, il
ne deviendra jamais son époux. Dépitée, elle se promet bien de revenir à la
charge. D’ici là, les activités de chacun, chacune se déroulent dans une
atmosphère de quiétude familiale : sortie à la mer, visite du père d’Anzu –
Tetsuo Niré –, travail des parents, études et ateliers de l’adolescente.
Cette dernière a enfin une
nouvelle occasion pour relancer son frère et lui redire tout l’amour qu’elle a
pour lui. Devant tant d’insistance, Tôru lui fait une confidence que même leurs
parents ignorent : il a un amoureux depuis cinq ans. Inutile de dire que
Suzuko est d’abord dépitée, mais elle en vient à comprendre que, si elle aime
vraiment son frère, elle doit respecter son choix qui le rend heureux.
La vie de famille ne cesse pas
pour autant, pas plus que la vie personnelle de chacune et chacun. Ainsi,
Suzuko continue les ateliers de "kintsugi" et répare les pièces que
ses parents lui ont confiées. Elle pense même approfondir ses connaissances et
ses habiletés pour en faire carrière. Elle se rapproche aussi de son jeune
prétendant et découvre chez lui des intérêts communs ou complémentaires à la personnalité
de chacun d’eux. Bref, une histoire d’amour naît entre eux.
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