Yves P. Pelletier
Me suivez-vous?
Montréal, VLB éditeur, 2024, 272
p., 24,95 $.
L’art de faire des choix, bons ou mauvais
Il y a d’abord eu, en 2022, Déboussolé, à la fois journal intime et récit de ses voyages, dans lequel Yves P Pelletier raconte les faits saillants de sa vie de jeune adulte, de 1981 à 1993. On y découvrait un personnage quasi insaisissable malgré l’image « d’adulescent » cabotin qu’il projetait dans l’espace public, héritée des divers personnages qu’il interpréta avec ses complices du groupe RBO.
S’il a continué d’écrire depuis –
entre autres, les textes de Valentin, roman graphique illustré par
Pascal Girard, et ceux du recueil Le pouvoir de l’amour illustré par
Iris (La Pastèque) –, il a aussi participé à divers projets avec ses amis humoristes,
réalisé des films de fictions remarqués et quelques documentaires saisissant, sans
oublier qu’il a continué de voyager en Europe et en Asie. C’est ce qu’il
raconte dans Me suivez-vous?, utilisant la même formule mixte de journal
intime et de récit de ses voyages, se déroulant cette fois de mai 1993 à
décembre 2004.
Lisons ce que son éditeur dit de ce nouvel opus : « Dans Déboussolé, on avait rencontré un jeune homme dégingandé et romantique qui s’apprêtait à quitter sa chambre d’ado attardé à Laval pour partir la découverte du monde, et de l’amour. Dans Me suivez-vous?, on retrouve un adulte au sommet de sa gloire au sein du groupe d’humour qui l’a fait connaître, toujours aussi voyageur, toujours aussi romantique. Toujours aussi… perdu?
Sans doute pas. Il a beaucoup
travaillé sur lui-même : quand le rythme de travail de RBO ne lui convient
plus, par exemple, il dit " non ", maintenant. Quand les
attentions excessives d’une admiratrice commencent à vraiment le terrifier, il
ravale sa fierté et prend le téléphone : " Bonjour… la police? ".
Et quand la mélancolie de l’éternel retour de ses modèles amoureux devient trop
étouffante, il prend le premier vol pour l’Himalaya. »
Yves P. Pelletier est un "ramasseux" :
carnets, documents et, surtout, souvenirs, comme ceux, poétiques, de ses
voisins sur la rue Pontiac, Gérald Godin et Pauline Julien, ou celui, poignant,
d’un moment de complicité muette sur un terrain de golf avec son ami Guy, qui
venait de vivre un drame terrible. L’humour est là, toujours, salutaire, tout
comme cette insatiable curiosité qui lui fait se lier d’amitié aussi facilement
avec un vénérable moine bouddhiste, aussi appelé lama, qu’avec une chorégraphe
de Bollywood, un cinéaste expérimental parisien, ou trois disquaires népalaises
expertes en marchandage. Sans parler du mystérieux Docteur U.
Tout cela reflète bien la
personnalité du livre et ce que l’auteur y raconte avec une certaine pudeur –
qui aime raconter publiquement, ou même auprès d’intimes, ses fautes si
bénignes soient-elles? – qui parfois surprend. Baissant la tête, comme un
repentant, il avoue ses maladresses, la fuite en avant – comprendre voyages à
l’étranger – étant son ultime argument par-devers lui-même d’abord, mais,
surtout, à l’égard d’une amoureuse ou d’un engagement professionnel qu’il ne se
résout pas à quitter ou à refuser.
Ayant choisi la forme du journal
plus personnel qu’intime, Pelletier aborde ce qu’il semble considérer comme les
dix-sept moments clés de la dizaine d’années de son parcours. Puis, à
l’intérieur de chacun de ces moments, on trouve des dates et des lieux précis
qui modulent ses activités.
En parcourant ces aide-mémoires,
on aperçoit à l’horizon de son quotidien une personnalité quasi à l’opposé de
l’image qu’il projette devant un auditoire, quel qu’il soit. Il y a le
facétieux, le faux ou le vrai timide, l’inquiet et le déterminé face aux
projets qui lui tiennent à cœur. Par-dessus tout, il y a
« l’adulescent » en constante bataille avec son besoin d’amour des
femmes et sa détermination à ne pas s’embarquer dans une relation stable,
contraintes normales incluses.
Relisant mes notes de lecture de Déboussolé,
je m’interroge sur la certaine zénitude, cet équilibre entre le besoin de Yves
P. Pelletier de liberté et son devoir de partager avec d’autres, qui y
apparaissait et qui semble cette fois évaporées ou dissoutes. Était-ce parce
que, à l’intérieur de chacune des dix-sept avenues explorées, il y a plusieurs
ruptures spatiotemporelles nous amenant de la rue Pontiac et de ses voisins
Julien-Godin à un séjour en France ou dans des pays d’Asie, notamment le Tibet,
où il retrouve toujours des amies et des amis qui lui ouvrent les portes
donnant directement accès à une société que les touristes ignorent en général.
Être si ouvert, intéressé ou même
très généreux à l’égard d’autrui est tout à son honneur, mais néanmoins
dichotomique à ses relations avec les femmes. Mais, rappelons-nous, ces récits
relatent des événements vieux de plus de vingt ans et, comme il le souligne parfois,
le temps fait son œuvre. À 63 ans en 2024, Yves P Pelletier peut avoir fait la
paix avec ses démons affectifs. Chose certaine, il ne perdra probablement
jamais cette naïveté bon enfant qui est, je crois, non seulement sa marque de
commerce avec le public, mais surtout dans ses relations interpersonnelles ou
peut-être même amoureuses.
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