Catherine Leroux
Peuple de verre, Québec
Alto, 2024, 288 p., 27,95 $
(papier), 16,99 $ (numérique).
Migrants dans leurs propres terres
En découvrant le nouveau roman de Catherine Leroux, Peuple de verre, j’ai immédiatement pensé aux gens souffrant d’une maladie rare nommée « os de verre » ou ostéogenèse imparfaite qui les condamne à une fragilité osseuse extrême. On découvre rapidement que l’image choisie pour intituler cette fiction est appropriée, car ce peuple de verre ce sont « les inlogés », celles et ceux qu’on a éjectés de leur domicile pour des raisons irraisonnables ou parce que leurs revenus ne parviennent plus à payer un loyer lui-même irraisonnable.
Chose certaine, ce roman a une
architecture narrative très pragmatique laquelle convient tout à fait à l’hyper
réalité que porte la trame du récit jusqu’à se demander si cette trop grande
réalité ne se transforme pas en science-fiction. Mais où se situe le point de
rupture entre les faits et leur incessante accumulation?
Il y a d’abord le préambule où
nous rencontrons Sidonie, la narratrice et auteure de ce carnet, car oui le
roman est d’abord un carnet ou un journal personnel que le narratrice écrit
pour respecter la consigne recommandée par Régine, la travailleuse sociale
chargée de la ramener dans de meilleures intentions. Déjà là, on se pose mille
questions sur la possible déviance dont souffre Sidonie qui exige un suivi
« thérapeutique ».
Suivent douze séquences qui se
dérouleront ou dans la résidence à laquelle Sidonie a été assignée ou chez elle
à l’époque où elle était journaliste de terrain, avait un amoureux, un
appartement, etc. J’y reviendrai.
Enfin, la chute du roman est
composée d’un journal personnel de l’autrice intitulé « Notes
2016-2023 ». Elle y raconte sans ambages le « making of » du
livre ou, plus précisément, les événements personnels lui ayant inspiré Peuple
de verre.
Le principal lieu où se déroule
l’essentiel du récit est une des nombreuses résidences que l’État a fait ériger
pour héberger tous ces gens qui ont perdu leur logement, généralement pour des
raisons financières, la maigreur des leurs ou celles toujours plus gourmandes
des propriétaires d’immeubles. Les « inlogés », néologisme idoine à
leur statut social, vivent littéralement en prison à cause de cet état de fait.
Nous en découvrons quelques-unes qui occupent le même dortoir que
Sidonie : Jenie, Ruth, Elle ou Elvire, Maximilienne, Pollinia, etc. Les
qualités et les défauts de chacune sont mis à profit dans l’évolution de la
trame et, tout aussi important, dans leurs relations avec Sidonie qui deviendra
la leader du groupe.
Du côté de la vie personnelle de Sidonie,
il y a Cyrille, un cuisinier auquel elle a été mariée quelques années et
qu’elle a encouragé à devenir le maître d’une cuisine recherchée ou enviée. Ce
compagnon a un chat nommé Spaghatte qui est un peu comme son enfant. Un jour
qu’elle rentre du travail plus tôt que d’habitude, Sidonie retrouve Marieke, sa
meilleure amie de toujours, en flagrant délit d’adultère. Aussi dramatique que
la scène puisse sembler, la description qu’en fait l’autrice soulève les rires
plus que les pleurs.
Sa vie de journaliste de la
presse écrite et de la radio est au cœur de son existence. La qualité et le
respect presque maniaque de son travail sont reconnus de toutes et tous. C’est
au cours d’une enquête sur les SDF que son attention est dirigée vers de
possibles disparitions de telles gens, mais que personne des milieux d’aide ne
parvient à expliquer. Sidonie met tout son talent et sa curiosité pour résoudre
le mystère de ces disparitions; si toutes les apparences de ces événements sont
observables sur le terrain, personne n’a vu où ils disparaissent et, encore
moins, où on les amène.
Elle est certaine de n’avoir
d’autre choix que de créer de toutes pièces un tel événement et elle choisit
une certaine Iphigénie pour jouer le rôle de celle qu’on enlève et qui devient
ainsi une disparue. Elle demande à Lucius, un photographe qu’elle connaît,
d’illustrer de la façon la plus vraisemblable possible le rapt. L’histoire
d’Iphigénie écrite et les photos en main, elle présente le tout au journal qui
l’emploie, étant donné qu’elle parle constamment de cette situation sans
jamais, jusqu’alors, pouvoir prouver ce que certains disaient être une rumeur
urbaine.
Ce qui devait arriver
arriva : Sidonie fut à son tour enlevée et amenée dans une de ces
résidences pour les « inlogés ». Catherine Leroux a très bien dosé la
part de réalité et d’imaginaire, si bien qu’aussi fragiles que puissent sembler
certains aspects de cette geôle, la vraisemblance dans le contexte social
actuel est respectée. On craint d’abord plus que l’on veuille y croire, puis la
réalité de ce qui est raconté fait pencher la balance.
Il faut dire que plus les
péripéties relatives à la vie personnelle de Sidonie à l’extérieur des murs de
la résidence/prison et sa vie intramuros se rapprochent, plus on se laisse
prendre au piège de la narration qui prend ici et là des allures de science-fiction
ou même à une forme de complotisme étatique. On est alors en droit de se
demander qui est le plus proche de l’autre : la réalité ou la fiction?
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