Hugues Corriveau
Autour de l’enfance
Montréal, Mains libres, coll.
« Nouvelles », 2024, 138 p., 23,95 $.
« Au fond, ça peut faire tout c’qu’on leur apprend »
Hugues Corriveau est poète, romancier, nouvelliste, essayiste et critique littéraire à l’impressionnante carrière, à l’œuvre généreuse. Certes, ce n’est pas au nombre d’ouvrages qu’on reconnaît un grand écrivain, mais à l’évolution de son style et de l’appropriation qu’il fait de l’appareil littéraire, ce qui se constitue la littérarité originale de son œuvre.
L’écrivain Corriveau propose
aujourd’hui Autour de l’enfance, un recueil de 22 nouvelles regroupées
en deux segments, « côté clair » et « côté sombre ».
Chacune de ces histoires brèves rappelle ces films super-8 longtemps à la mode
dans les familles modérément fortunées qui captait le moindre événement
d’importance comme d’autres le faisaient grâce aux innombrables photos ou
diapositives.
La narration est généralement assumée
par une voix hors champ, omnisciente, dont le monologue décrit un événement
précis, le titre de la nouvelle en évoquant le sujet. Par exemple, Thomas le
lecteur, Jules le discret, la chatte et l’enfant, le deux dollars, le jour du
père, l’enfant envasé, etc.
Il n’y a pas à proprement parler
de « morale de l’histoire » comme dans les fables, mais un certain
regard sur l’action décrite ou racontée qui guide la compréhension du lecteur là
où l’écrivain veut l’amener. Il en est ainsi du « garçon sur la
chaise » où le narrateur est aussi un des deux personnages en action. Cet
enfant raconte cet autre assis dans un fauteuil roulant : « Nous
restons là, lui prisonnier de son fauteuil, moi me tenant debout face à lui. Un
grand silence nous protège du reste du monde, crée une bulle de tranquillité
qui nous pénètre d’un bienfait sans nom. » Se dessine, en peu de mots, le
rapprochement des protagonistes jusqu’au silence absolu qu’impose la
disparition du plus faible, le narrateur ignorant la cause, mais supputant le
décès.
« Jumeaux », un des
plus longs textes du recueil, raconte Éloi et Élie, les jumeaux du titre, qui
éprouvent une dépendance affective l’un envers l’autre, les déboires et les joies,
que cette fusion émotionnelle leur fait vivre. La puissance de cette gémellité
les fait basculer en dehors de toute réalité, la leur suffisant largement. « Ils
sont pris dans un étau. Forcés de se replier sur eux-mêmes dans la trop pesante
beauté de leur prénom, dans la fable qu’ils représentent, pipistrelle
[chauve-souris] et polatouche dans la nuit quand ils se sauvent près de la
falaise, si tentés de se jeter du haut du promontoire, saut dans
l’effervescence de Dieu. » Cette nouvelle est une véritable symphonie
d’euphonies, ces sons qui en cachent d’autres, comme ceux de leur prénom, Élie
et Éloi, devenant « Et lis les lois ».
« L’espace clos » relate
la rencontre de François et de Noah. « Quand, de force, on le [François]
dehors, c’est pour le laisser tomber dans la solitude moite de l’été. Pour
qu’il joue avec sa tristesse de petit garçon expulsé vers l’extérieur, vidangé
au milieu des bruits des élytres. » C’est ainsi qu’apparaît Noah :
« L’enfant noir se remet debout et marche sans prendre garde ni aux tiges,
ni aux corolles, ni aux insectes coupeurs de chair. Il se rapproche de François
assis… Ils admirent le désastre des fleurs écrasées par Noah et ils
sourient. » Les garçons font des interdits des adultes un jeu dévastateur
qui les mène au-delà de la palissade devenue l’inutile protectrice du jardin.
La dernière nouvelle du
« côté clair » associe sept brefs récits comme autant d’arrêts sur
image d’un instant fulgurant. Ainsi « Jouer avec le cochon » où
l’amusement des sœurs Germaine et Caroline m’est apparu pour le moins
déstabilisant. Je vous fais grâce du plaisir charnel de voir égorger l’animal,
car on « ne peut pas soupçonner qu’il y a pire que d’assister à
l’égorgement d’un cochon, je n’aurais jamais pu, jamais pu supposer pire que
cette histoire. »
Dans l’ensemble du recueil, cette
histoire annonce celles de la seconde et leur « côté sombre ». Encore
là, onze nouvelles semblables à l’envers de l’endroit, au bien du mal. Nous
sommes toujours dans le monde de l’enfance qui est sans frontières autres que
celles qu’on leur impose et dont ils trouvent parfois une façon de contourner.
Je note au passage – « Il
est un chasseur de dinosaures époufroyables. » –qualificatif qui rappelle
le regretté Claude Gauvreau « surtout reconnu pour son langage exploréen,
une glossolalie poétique et un travail sur la langue basé sur l’automatisme. »
(Wikipédia, 14-05-24)
Ainsi, il y a petit Pierre,
l’antihéros du texte intitulé « Le deux dollars » où il est victime
de la violence perverse de ses camarades plus âgés de l’école primaire. Non
seulement l’enfant est-il violenté verbalement et physiquement, mais ses peurs
sont aussi alimentées par sa mère qui ignore cette violence, son fils ne se
résolvant pas à le lui dire. Un jour pourtant, il « garde ses sous pour
qu’il puisse vivre dans les livres et dans les dessins. »
La violence des enfants n’a rien
d’infantile pour la victime et les bourreaux. Celle que subit « Lula, la
belle » à cause de son surpoids est aussi difficile à supporter que celle
de Pierre dans le précédent récit. Victime des railleries et des mauvais coups
de ses camarades, madame Louise, son enseignante, ne sait comment réagir le
jour où Raphaëlle plante « la pointe de son compas dans le dos de Lola
afin de vérifier si elle ne va pas se dégonfler "comme une baudruche".
« Elle est complètement dépassée. Elle ne veut pas d’ennui, la voici avec
une blessée qui râle. Il lui faudrait comprendre pourquoi on imagine toujours
les enfants sans méchanceté. »
Le titre, « L’Eulalie à son
papa », annonce hélas! l’ignominie d’une relation incestueuse que
l’écrivain aborde avec le plus de délicatesse possible en évoquant la situation
et en décrivant le trouble physique et psychologique de la jeune fille. Le défi
pour Hugues Corriveau consiste ici à écrire une page de littérature à partir
d’une situation sur laquelle il n’y a que de l’ignoble à dire, et il y parvient
en faisant le récit du côté de l’enfant et de l’ampleur de son émoi aussi vif
que sa fin tragique.
En refermant Autour de
l’enfance, je me suis souvenu de L’enfance (Noroît / Phi,1994),
un recueil de Corriveau dont les « poèmes en prose baignent dans l’eau
tantôt calme, tantôt trouble des évocations les plus sensibles de ce que l’enfance
inspire » et qui, trente ans plus tard, sont devenus des récits tout aussi
évocateurs. M’est aussi venue en mémoire une strophe d’une chanson de Paul
Piché, « L’escalier », où il est dit : « Pis les enfants c’est
pas vraiment vraiment méchant / Ça peut mal faire ou faire mal de
temps en temps / Ça peut cracher, ça peut mentir, ça peut voler / Au
fond, ça peut faire tout c’qu’on leur apprend ».
Aucun commentaire:
Publier un commentaire