François Hébert
Comment naître, illustré
par l’auteur
Laval-des-Rapides, le temps volé
éditeur, coll. « à l’escole de l’escriptoire 57 », 2020, 10 feuillets
en portefeuille.
Comment naître
J’ai découvert l’existence du « temps volé éditeur » grâce au regretté François Hébert, à l’occasion de la parution d’est-ce qu’on s’égare (2020), un ouvrage dont il réalisa les illustrations sous forme de collages et dont Jacques Brault signait les textes et les lettrines. Je répète ici un de mes mantras : le livre papier en général ne m’est d’aucun intérêt autre que d’être le support des mots qui justifient son existence. Les livres publiés par le « temps volé éditeur » sont d’un tout autre ordre, car ils magnifient le discours qu’ils accueillent. J’en ai d’ailleurs raconté un peu de son histoire dans la précédente chronique.
Le premier contact visuel avec Comment
naître peut étonner, sauf les bibliophiles, ces passionnés des livres rares
et beaux. Comment peut-il en être autrement quand on a sous les yeux « 10
feuillets en portefeuille » illustrés par dix collages du poète. Chaque
feuillet – imaginez une feuille de 20 par 24 centimètres pliée sur la hauteur –
comporte une illustration, le titre du poème suivi du texte. Les illustrations
sont des collages que le poète a composés à partir de tubes de peinture à
l’huile oubliés ayant appartenu à son père Julien, fondateur du design moderne
au Québec.
Les titres des poèmes sont comme
des boussoles qui guident la lecture sur la découverte du continent de son
existence : l’homme de Rigaud, mère, père, quant aux graquias dans les
cheveux de ma sœur, de l’eczéma, giclures, mille neuf cent quarante-six et
tricératops, on va dire. Chacun de ces dits nomme un membre de la famille du
poète dans une situation précise de leur relation avec le fils ou le frère.
Humour et ironie rieuse semblent habiter d’une certaine retenue ou même d’une
timidité que le collage, lui-même une interprétation de la même situation,
exprime autrement. Le huitième et dernier poème, « tricératops, on va
dire », est tel un faisceau lumineux jeté sur les morts qui le précèdent
et il se termine ainsi : « Qui attendiez-vous donc de
moi? / Je vous rends ici mon petit devoir / d’écolier
taquin, ma bande / dessinée à l’aveuglette dans
les / années de mon âge, espérant / que vos rêves de
jeunesse y auront / laissé des traces. »
Et ce qui précède débute par une
citation de Stéphane mallarmé : « "Igitur, tout enfant, lit son
devoir à ses ancêtres » Le fait de mettre une minuscule au nom de
l’écrivain français Stéphane Mallarmé joue de la polyphonie du patronyme qui ainsi
suggérer que l’enfant est mal armé pour faire face à la vie. L’épigraphe me
semble confirmer cette lecture, car l’igitur fait référence à un conte de
Mallarmé qu’il résume ainsi : « Ce Conte s’adresse à l’Intelligence
du lecteur qui met les choses en scène, elle-même. »
François Hébert et Jacques Brault
L’Élan de l’écrevisse
réédition augmentée et
définitive, 46 poèmes et une apostille de FH, 9 dessins et un hors-d’œuvre de
JB, suivi de « de l’âme et de ses ombres » de Marc Desjardins
Laval-des-Rapides, le temps volé
éditeur, coll. « à l’escole de l’escriptoire 59 », 2023, 75 p.,
45 $.
Les jeunes écrivains d’aujourd’hui, habitués à l’instantanéité du grand tout, ont souvent peine à s’accommoder de la lenteur des maisons d’édition devant leur projet, remarquable ou unique pensent-ils. Jadis, la patience était une condition sine qua non pour espérer une bonne nouvelle d’un éditeur. Jacques Brault et François Hébert connaissaient et comprenaient très bien cette règle et c’est pourquoi ce dernier avait mis de côté lac noir, d’abord paru en 1990 aux éditions du Beffroi, tout en espérant une éventuelle réédition sans vraiment s’en soucier.
Brault et Hébert, ayant déjà
collaboré à d’autres projets réalisés par le temps volé éditeur, l’idée de
reprendre à la même enseigne L’Élan de l’écrevisse, paru en 2010, germa
dans la tête des deux amis. Et pourquoi ne pas y ajouter les poèmes de lac
noir? Leur cogitation les amena à réunir quarante-six poèmes et une annotation
de François Hébert, neuf dessins et un hors-d’œuvre de Jacques Brault.
La vie en décida autrement et
Jacques Brault décéda en octobre 2022. L’année suivante, à l’occasion du
lancement de Frank va parler (Leméac, 2023), roman de François H., Marc
Desjardins et lui convinrent de réaliser ce projet laissé en dormance, ce que
Jacques Brault aurait souhaité. Le destin s’acharnant, François Hébert décéda
des suites d’une brève maladie, le livre étant enfin arrivé dans ses grosseurs.
C’est d’ailleurs ce que raconte l’éditeur Desjardins dans « de l’âme et de
ses ombres », un témoignage qui conclut ce si beau livre enfin advenu.
En exergue de la brève mise en
situation que propose François H. dans laquelle il met sous nos yeux le pour
qui pourquoi du livre, ces mots de l’illustrateur Brault : « Il
paraît que lorsqu’on avance, l’horizon recule / pourquoi ça me fait
penser aux écrevisses / jeux d’enfance, moi aussi j’avançais en
reculant… »
Les vers du recueil appartiennent
à l’univers de l’intemporalité que la nature parvient encore, pour l’instant du
moins, à se faire refléter dans les eaux de lacs aux eaux limpides. Au passage,
je retiens ces quelques vers assumant leur liberté : « idée fausse
qu’un mort / soit mort parfaitement / sain et sauf de
clavaires // amitiés ambitions /tout de l’homme
demeure / mais sans effet sur mai ». Mais aussi :
« dans l’eau / la sangsue va / tel un bras de
danseuse // l’élan de l’écrevisse / imperceptiblement / meut
l’étang ».
Le livre fait ensuite place à une
postface de Jacques Brault intitulé « Hors d’œuvre ». Il y fait la
genèse de l’origine de sa passion tranquille pour le dessin, lui qu’on disait
avoir « des mains pleines de pouces ». « C’est alors qu’on prend
goût, sans y penser, à vivre plus avec son flair tactile, avec les mains
de perceptions de tout ordre. » Puis, s’adressant au consignataire :
« Autour d’un certain lac noir cher à François Hébert, on trouve une
espèce de pays à l’image de ce que fut en un temps immémorial un pays sans
frontière, sans loi, mobile et variable, ne comptant comme calendrier que les
saisons et les lunaisons. »
Aucun commentaire:
Publier un commentaire