Madeleine Monette
L’Amérique est aussi un roman québécois. Vues de l’intérieur
Montréal, Nota Bene, coll. « La ligne du risque »,
2022, 252 p., 26,95 $.
Écrire à plein poumon
Je soulignais récemment qu’avant d’être écrite la littérature était affaire de paroles. Explorons aujourd’hui l’univers de l’écrivaine Madeleine Monette dans L’Amérique est aussi un roman québécois, un recueil de textes choisis parmi ceux qu’elle a consacrés à sa démarche littéraire à ce jour.
J’explorais, dans Lettres
québécoises (no 133, printemps 2009), « une dizaine des essais
qui jalonnent la carrière de Madeleine Monette et décrivent sa démarche
créatrice. Ce sont comme des radiographies de son état d’esprit à des moments
précis de sa pratique artistique. On y trouve, de l’un à l’autre, l’évidence de
l’évolution de la femme et de l’écrivaine à travers chacun de ses nouveaux
écrits. »
Parmi ces argumentaires, celui
qu’elle a livré lors de son entrée à l’Académie des lettres du Québec, en 2007,
me semblait déjà fort remarquable; je ne suis donc pas étonné de le relire ici,
car il est d’actualité. « Liens et balises » est son credo littéraire québécois et porte sur
sa façon de participer à notre littérature en tant qu’écrivaine. Un passage me
semble incontournable : « Mais cette littérature effervescente et dépliée,
plus ouverte que jamais sur le monde et encore peu connue pourtant, même de ses
propres lecteurs québécois, n’occupe pas et n’arrive pas à réclamer avec assez
de force, comme c’est le cas pour les littératures de bien d’autres petites
nations, sa place dans l’histoire de la littérature mondiale. »
Madeleine Monette, qui souhaite
ardemment que la littérature québécoise puisse s’y insérer, se plaît « à
imaginer les œuvres littéraires de différents pays dans une vaste chambre d’échos,
une chambre de réverbération espace-temps, où elles seraient lues dans la
mémoire les unes des autres, appréciées ainsi à la loupe et par satellite ».
Quinze ans dans la vie d’une
écrivaine ou d’un écrivain, ça peut être très court ou très long. Or, le temps
littéraire de Madeleine Monette fut très rapide, car non seulement elle publia plusieurs
ouvrages, mais elle s’intéressa aussi au travail périphérique de l’autrice qui
va vers son lectorat et vers l’institution littéraire qui a elle-même ses exigences.
On la comprend lorsqu’elle écrit :
« Dans mes romans où d’autres arts sont souvent représentés, l’attention
aux efforts d’une peintre, d’une danseuse, d’une chanteuse, d’une comédienne, d’un
petit poète anorexique, d’un jeune rappeur… m’a permis de me tenir à vue, d’écrire
en interrogeant de près mon écriture, en la contextualisant. Ce double
processus, je m’y suis prêtée également dans ma vie au fil des années, lorsque
j’ai écrit des essais-témoignages. »
L’Amérique est aussi un roman
québécois compte deux sections, celle des essais où on lit 14 textes et l’autre,
8 entretiens. Chaque texte s’intéresse à un aspect de son art d’écrire, nous
suivons ainsi son cheminement et percevons les fragments de sa démarche artistique
à travers sa vie de femme francophone vivant à New York, d’écrivaine en marche
dans un monde où associée vie de femme et vie de créatrice a ses exigences en
proposant de relever de nouveaux défis.
Les réflexions de Madeleine Monette nous font regarder par-dessus l’épaule de sa pratique de l’écriture, de la prose narrative à la poésie, sans oublier ses textes d’exposés oraux tel son discours d’accession à l’Académie des lettres du Québec. Il se dégage de cet ensemble une illustration de ses discours littéraires. À l’ère du prêt-à-manger culturel que proposent parfois les plateformes numériques, n’est-il pas raisonnable de nous tourner vers des créatrices et créateurs reconnus plutôt que vers des avatars virtuels dont on ne parviendra peut-être jamais à retrouver l’origine de leur démarche?