Monique Giroux et Pierre Gince (dir.)
Félix Leclerc et nous : 40 regards sur l’homme et son
œuvre
Montréal, L’Homme, 2022, 304 p., 32,95 $.
Au pays du Roi heureux
La passion de Monique Giroux pour la chanson française et québécoise emprunte le sillon tracé par Guy Mauffette et Jean-Pierre Coallier. C’est à la radio que ces derniers m’ont instruit de la poésie chantée, l’un alors que j’étais pensionnaire au collège, l’autre, a suivi selon sa manière de faire. Aujourd’hui, pour saluer « le roi heureux », Mme Giroux et Pierre Gince proposent Félix et nous : 40 regards sur l’homme et l’œuvre.
L’autrice a ajouté, pour compléter
ces voyages au pays des souvenirs, un résumé des faits saillants de la vie
personnelle et professionnelle du Latuquois, quelques références bibliographiques
importantes, dont des biographies, des mémoires universitaires, des films et
vidéos. Puis, il va de soi, elle a dressé sa discographie, la liste des 40 témoignages
et un index qui s’avère fort aussi pertinent qu’utile.
Je n’ai pas suivi le discours des
invités à la queue leu leu, préférant une visite guidée de cette agora dont les
récits illustrent l’histoire de Félix par de précieux détails sur sa vie
artistique et ses habitudes des relations humaines. J’ai d’abord choisi d’entendre
ses enfants : Martin, Nathalie et Francis Leclerc, de l’aîné au benjamin.
L’aîné des Leclerc, c’est Martin.
Né en 1945 à Vaudreuil, il fit carrière à l’ONF à titre de cinéaste. Enfant, il
était habitué à croiser dans la maison familiale des artistes québécois et français,
mais il leur préférait ses jeux et son imaginaire. Félix quitta son épouse,
Andrée Viens, et leur fils, en 1967; ce divorce eut des conséquences très
difficiles pour le fils qui a mis du temps à comprendre et à pardonner son père.
Je retiens de son témoignage que : « Il était réputé pour ses
chansons, mais il en créait surtout pour gagner sa vie. Moi, le Félix que j’ai
connu était beaucoup plus attiré par le théâtre. À la maison, ce sont des pièces
que je l’ai vu écrire. » (34) Je retiens également cette question : « Comment
Félix réagissait-il au succès? Sa simplicité était frappante. Invraisemblable!
Je crois qu’il s’est "accommodé" du succès, mais qu’il ne l’a pas
pleinement savouré… Félix n’a jamais voulu le succès et les honneurs, encore
moins une carrière outre-mer. » (37)
Nathalie Leclerc « est la
deuxième des trois enfants de F.L. et l’aînée de Gaëtane Morin ». Les
réponses qu’elle apporte à l’entrevue résument ce qu’elle a raconté dans La voix de mon père (Leméac, 2016). J’écrivais
à l’époque sous forme d’une lettre : « Vous êtes la fille unique de
Félix Leclerc dont vous partagez la paternité avec Francis et Martin. Votre
héros "à voix de violoncelle" habite votre existence depuis votre
naissance à Boulogne-Billancourt, en France. Habiter est un euphémisme, car l’âme
du père squatte littéralement la vie de la petite fille à la femme que vous êtes
devenue au point où, après son décès, vous avez mis des années pour vous
libérer d’une peine dont les pleurs embuaient votre existence. Comment peut-il
en être autrement quand on est l’enfant d’un demi-dieu qui est parvenu à imposer
sa voix et sa plume tranquille, un véritable coup d’État dans le domaine de la
culture québécoise des années 1950 alors si "franchouillarde" qu’il a
dû passer par la France pour être reconnu? » (Le Canada français,
19 janvier 2017)
Francis, le fils de Gaëtane
Morin, est aussi cinéaste, réalisant des films connus, dont Mémoires
affectives (2004) et Pieds nus dans l’aube, tiré du roman éponyme de
son père paru en 1946, ainsi que plusieurs épisodes de séries télévisées. Peu
loquace sur sa vie privée, Francis Leclerc raconte que le décès de son père fut
d’abord la perte d’un ami puisque Félix était presque toujours à la maison depuis
sa naissance : « Je suis devenu adulte du jour au lendemain. J’allais
avoir 17 ans quelques semaines plus tard et c’est comme si, instantanément, j’avais
eu 25 ans. Jusque-là, je n’avais connu que des "activités de p’tit gars"
avec lui : faire du pain, réparer le poulailler, aller mettre de l’essence
dans l’auto, etc. » (152)
Parmi les autres témoignages, j’ai
choisi celui de François Dompierre, son dernier directeur musical qui réalisa ses
quatre derniers albums, dont "Mon fils" et "Chansons dans la mémoire
longtemps". Soyez aussi attentif au témoignage de la comédienne Mireille
Deyglun, car elle et sa jumelle furent les filleules de Félix; ses parents,
Henry Deyglun et Janine Sutto étaient des amis des Leclerc, à l’époque de Vaudreuil,
et ce que raconte la comédienne de cette époque constitue de vraies pages d’une
histoire à connaître et, surtout à retenir, car elles illustrent comment eut
lieu la naissance de l’artiste Leclerc.
« Un des points communs de
tous ces témoignages, c’est l’humanisme de Leclerc, sa façon d’aborder les gens
et d’être lui-même reçu. Il a d’une part une grande réserve, comme de la timidité
qu’il ne faut pas confondre avec de l’arrogance. Il y a aussi qu’il s’est
longtemps considéré comme un imposteur dans le milieu de la chanson poétique
alors qu’il rêvait d’être dramaturge.
Une fois engagé dans cet art public,
surtout grâce au français Jacques Canetti et au québécois Guy Mauffette, il a
joué le jeu, parfois surpris par l’accueil qu’il recevait et l’admiration qu’on
lui vouait. Certains des témoignages, surtout ceux des Européens, affirment que
l’arrivée de Félix Leclerc dans le paysage artistique d’après-guerre fut une bouffée
d’air frais qui encouragea l’émergence d’autres talents, dont celui de Georges
Brassens et de Jacques Brel. »
Un dernier point commun des
témoignages porte sur la façon de Félix de jouer de la guitare. Or, les notes
préliminaires du livre nous apprennent ceci : « 1951. Rencontres avec
Django Reinhardt, son voisin de palier à Paris, qui permettront à Félix de
développer son amour pour la musique tzigane et sa façon personnelle de jouer
de la guitare. Il accorde habituellement sa guitare d’un demi à un ton et demi
plus pas que l’accord standard. Il utilise sa main droite pour effleurer et
caresser les cordes avec cinq doigts sans « pic » (plectre) l’action
se passant sur le manche, plus que sur la rosace. » (19)
J’ajoute mon propre témoignage à cette
recension. Ainsi, jamais je n’oublierai le premier concert du patriarche de la
chanson francophone auquel j’assistai. C’était au début des 1960, au Séminaire
de Joliette où j’étudiais. Félix Leclerc venait y donner un récital au profit
des scouts du collège dont je faisais alors partie. André Beaucage, le chef de
troupe, m’avait chargé de veiller au confort de l’invité. C’est ainsi que j’ai
eu sa guitare entre les mains durant la trentaine de minutes, alors qu’un collégien
interprétait ses propres chansons.
Ma seconde rencontre eut lieu un
samedi soir d’été de 1964-65 où j’allais écouter Félix au Cabastran, la boîte à
chanson joliettaine. Habitant non de la salle de spectacle, je m’y rendais à
pied quand une vieille Volkswagen s’est arrêtée et le conducteur, baissant la
fenêtre, m’a demandé si le Cabastran était encore loin. « Non, monsieur
Leclerc, quelques minutes et vous y serez. Je m’en vais d’ailleurs vous y écouter. »
C’est ainsi que je me suis retrouvé passager de la Coccinelle. Mieux : à
peine monter, Félix me demande : « On ne s’est pas déjà vu, ici à
Joliette? ». Comment cet homme qui voyait des centaines de personnes chaque
année pouvait-il se souvenir de l’enfant qui avait tenu sa guitare quelques
années auparavant? J’ai alors cru que c’était possible et je le crois encore en
2022.
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