Dany Laferrière
Sur la route de Bashō
Montréal, Boréal, 2022, 384 p., 32,95 $.
Les mouvements de la main
Comme les peintres qui abandonnent la ligne de l’horizon et s’engagent dans l’univers du non figuratif, Dany Laferrière poursuit sa quête d’une œuvre mixte, ni tout à fait graphique, ni tout à fait récit, en s’appropriant l’art de la fusion du dessin, parfois flou, parfois évocateur, parfois empruntant au portrait, en échappant ici et là, un mot, une phrase, un aphorisme suggérant un point de vue sur la réalité, générale ou ambiante.
Qui est Bashō? Poète japonais du
XVIIe siècle, « il est considéré comme l’un des quatre maîtres
classiques du haïku japonais [poème japonais de trois vers composés
respectivement de cinq, sept et cinq syllabes]. Auteur d’environ 2 000 haïkus,
Bashō rompt avec les formes de comique vulgaire du haïkaï-renga du XVIe
de Sōkan (autre poète japonais) en proposant un type de baroque qui fonde le
genre au XVIIe en détournant ses conventions de base pour en faire une
poésie plus subtile qui crée l’émotion par ce que suggère le contraste ambigu
ou spectaculaire d’éléments naturels simples opposés ou juxtaposés. » (Wikipédia,
20 mai 2022)
Rappelons-nous que Dany Laferrière
publia Je suis un écrivain japonais en 2008, où on aperçoit Bashō qu’il
lit et commente afin de créer un contexte à la vie et à la pensée nipponnes :
« Je suis dans le métro de Montréal en train de suivre les traces d’un
certain Matsuo Munefusa, dit Bashō. »
Venons-en au nouvel opus. Butiner
me semble une excellente position pour le lecteur qui tourne les pages de Sur
la route de Bashō, attiré par une ligne, une couleur, un lieu, un objet, un
ou quelques personnages, une citation ou, parfois, la ligne directrice d’une réflexion
que l’écrivain Laferrière mène en slalomant entre les supports d’expression qu’il
s’approprie, de mieux en mieux d’ailleurs, en suivant le diktat de Boileau de
remettre son ouvrage cent fois sur le métier.
Dans l’agora réunissant autrices
et auteurs que Laferrière interpelle outre Bashō, on note Proust, Gertrude
Stein, Mishima et d’autres. Quand on l’interroge sur ce sujet, il dit : « J’aime
les visages des intellectuels, des essayistes autant que des romancières. Ils
ont cette façon particulière de poser leur regard sur le monde. À force de
ruminer des pensées, ils ont fini par capter cette lueur qui illumine leurs
visages. Je n’avais pas trop conscience d’une présence si forte au monde avant
de chercher à les dessiner. Les écrivains ont vraiment un visage. C’est vrai
que j’ai beaucoup parlé de Bashō, de Magloire-Saint-Aude, de Whitman, cachant
une petite bibliothèque à l’intérieur de chacun de mes livres. Dans ce dernier,
ce sont plutôt des femmes que je dessine: Virginia Woolf, Simone de Beauvoir,
Anaïs Nin, Sylvia Plath, Zora Neale Hurston, Jean Rhys, Sei Shōnagon ou Marie
Vieux-Chauvet. Tout cela parce qu’une jeune lectrice se désolait de ne pas voir
assez de romancières sur mes étagères. Je citerai les plus jeunes une autre
fois. » (Boréal Express, printemps 2022)
On ne lit pas ce livre comme une
prose narrative, illustrée ou non, mais bien comme on fait la visite d’un musée
imaginaire, nous arrêtant pour lire tel message, tel commentaire ou pensée; pour
scruter le portrait d’une écrivaine célèbre ou célébrée qui, parfois, en évoque
une autre telle Marie Vieux-Chauvet rappelant Simone de Beauvoir, sa marraine chez
Gallimard; pour apercevoir l’auteur lui-même et la blonde chevelure hérissée de
son avatar, personnage récurrent d’un carnet de dessins à l’autre; pour saisir
l’essence de lieux québécois, parisiens ou d’ailleurs sur la planète Terre;
pour évoquer le schéma d’un souvenir, de son origine à son enracinement; ou simplement
pour ressentir une gamme d’émotions évoquées suggérées par une couleur, une
ligne, une perspective. À se demander si Dany Laferrière n’a pas été inspiré en
cela par son ami Franco Nuovo et son Dessine-moi un dimanche, et dessiner
lui-même un livre en technicolor guidé à la fois par l’art naïf haïtien et l’impressionnisme
français.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire