Dominique Fortier et Nicolas Dickner
Québec, Alto, coll. « Coda »,
2021, 648 p., 24,95 $ (papier), 14,99 $ (numérique).
De l’usage des choses inutiles
Vouloir faire la relecture d’un livre lu hier ou jadis me semble utopique. Comment se faire raconter une histoire ou partager une analyse en dehors d’un espace-temps qui n’est pas immuable? On peut se souvenir de personnages ou d’un argumentaire, mais on bâtit une nouvelle relation avec les mots qui défilent au temps présent qui, j’insiste, ne peut être identique d’une fois à l’autre.
J’en ai encore fait l’expérience à l’occasion de la parution de Révolutions dans la collection « Coda », un ouvrage signé Dominique Fortier et de Nicolas Dickner. L’enthousiasme que ce livre a suscité chez moi en 2014, grâce à ses qualités graphiques et matérielles – me rappelant celles des « Œuvres complètes » de VLB –, à l’indiscutable originalité de son sujet et surtout aux qualités intrinsèques de son écriture.
Commençons par
le commencement : le titre. Révolutions fait référence à la Révolution
française (1793-1806) et, plus spécifiquement, à « la création du calendrier
républicain, en 1793 » dont fut chargé Philippe-François-Nazaire Fabre,
dit Fabre d’Églantine (1750-1794), c’est-à-dire de « non seulement d’établir
les noms des nouveaux mois, mais aussi de trouver un symbole agricole pour chaque
journée. Afin d’accomplir cette tâche, il demande l’aide d’André Thouin
(1747-1824), du Muséum d’histoire naturelle. »
C’est à partir
de ce que l’Histoire en a retenu qu’une application web, créée par Réginald Jeeves,
pseudonyme éphémère de Dickner, fut « conçue pour envoyer par courriel aux
citoyens Dickner et Fortier, chaque matin, durant un an, le mot choisi deux
siècles plus tôt », et que les susnommés ont écrit ce fol ouvrage qu’un éditeur,
aussi fou qu’eux, a publié en jurant qu’on n’y reprendrait plus, oubliant qu’il
ne faut jamais dire jamais.
Débutant ma nouvelle
exploration, une chanson de Sylvain Lelièvre m’est venue en tête : « …
Tous ces petits riens / Qui nous rendent la vie moins
futile / J’aime les choses inutiles / Qui nous font du bien ».
Révolutions est justement un livre d’une extrême liberté au « genre
hybride? Journalmanach; éphémémoires; calencyclopédie? » comme le suggère Fortier,
et un défi d’écriture à bâton rompu dans le cadre fixe du calendrier républicain
et de son vocabulaire.
Un rappel
historique s’impose pour comprendre l’ampleur du projet. Le calendrier
révolutionnaire, aussi appelé calendrier républicain, prétendait mettre un
terme aux règles des saints et des saintes qui peuplaient le calendrier grégorien
pour marquer les jours au sceau de plantes, d’animaux et d’outils davantage en
accord avec les vertus républicaines. Ses concepteurs le divisèrent en douze
mois égaux de 30 jours, y ajoutant les sans-culottides, cinq ou six jours tous
les quatre ans pour terminer l’année.
Les « co-chronautes »
suivent donc la chronologie des mois, de vendémiaire (22 septembre au 21 octobre)
à fructidor (18 août au 16 septembre), prenant soin de terminer par six sans-culottides.
C’est là qu’intervient leur partenaire technologique Jeeves qui leur adresse matinalement
le mot du jour sur lequel portera, ou non, leur écriture quotidienne.
Pourquoi cette
hésitation sur le respect ou le non-respect du vocable imposé? Parce que l’autrice
et son collègue se sont accordé le droit de comprendre ce mot chacun à sa façon,
notamment grâce à l’homonymie (homographe ou homophone) de plusieurs. Il suffit
de rappeler que révolution réfère à la fois de celle survenue en France, mais
aussi à la durée du « mouvement orbital périodique » de la terre autour
du soleil, soit un an, pour comprendre la latitude que cela permet.
J'apprend à mon âge que nous sommes sur un calendrier républicain je ne comprends toujours pas.
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