Dominique Fortier et Nicolas Dickner
Révolutions
Québec, Alto, coll. « Coda », 2021, 648 p., 24,95
$ (papier), 14,99 $ (numérique).
Journalmanach, éphémémoires et calencyclopédie?
Je vous ai décrit, la semaine dernière, l’architecture de Révolutions, un ouvrage hybride de Dominique Fortier et Nicolas Dickner, paru en 2014 (tirage de 1793 exemplaires épuisé) et maintenant réédité en poche (1806 exemplaires), dont le sujet quotidien d’écriture leur était livré par Réginald Jeeves, le « Skip » informatique imaginé par Dickner.
Il y a ici et là, le rappel du
contexte de l’un de leurs précédents livres, une anecdote puisée dans leurs souvenirs,
la description détaillée du bureau de l’une et les savoirs et pratiques étendus
du père l’autre. Que dire du rappel de Fortier que le mot populiculture signifie
la culture du peuplier, mais suggère tant d’autres choses dont un mode de gestion
politique.
On ne s’ennuie jamais en parcourant
Révolutions. On peut l’effeuiller comme une marguerite ou y butiner – lisez
le mot abeille, vous verrez – au gré de ce que les mots-du-jour inspirent aux
auteurs ou nous suggèrent.
J’ai noté la propension de
Nicolas Dickner aux références scientifiques, loufoques ou vraies, et au regard
plein d’ironie qu’il jette sur ce que le mot-clé lui rappelle. Pour sa part,
Dominique Fortier a un côté première-de-classe qui s’efforce de respecter les
règles du jeu, entre autres en relatant ce que ses fouilles des dictionnaires ou
des encyclopédies lui apprennent. Si elle digresse, c’est pour puiser dans sa
vie personnelle – dont l’image d’une écographie de l’enfant à naître (456) – ou
en rappelant un voyage qui l’habite toujours.
Un passage de l’écrivaine m’a fait
sourire : « Est-ce que j’invente cela, ou bien ma grand-mère
Marguerite appelait-elle vraiment une bouilloire un canard? Je sais en
tout cas que dans son appartement le comptoir (non, pas l’évier) était un cygne,
et le garde-manger, la dépense. » (443) Le canard québécois
viendrait de l’anglais kettle, la dépense de pantry et cygne du
verbe to sing évoquant le son de l’eau du robinet ou, pour rester dans
le lexique de l’autrice, le cygne devient le comptoir par métonymie.
N’oublions pas cependant que les deux
auteurs puisent avec application dans des ouvrages de référence, généraux ou
spécialisés, récents ou anciens, de Diderot et d’Alembert à Wikipédia. Il
arrive que le mot-du-jour éveille un humour bien senti. Ainsi, le platane, un
arbre très répandu en France, a rappelé à Nicolas D. le treuil à manivelle qui
permettait à Gaston Lagaffe de hisser son taco pour éviter de nourrir les
parcomètres; pour Dominique Fortier, l’arbre lui rappelle un panneau routier
français, un triangle bordé de rouge et son point d’exclamation, coiffé de la
mention « Arbres penchés ».
Ce qui me semble le mieux mettre en
perspective l’ensemble de cet ouvrage m’est suggéré par Nicolas Dickner. Au mot
fumeterre (une plante annuelle), il écris : « Comme notre projet
repose sur une approche éditoriale évolutive, le sens de ce calendrier ne nous
apparaît que progressivement, peu à peu, d’où l’irruption de Borges [écrivain
argentin], par exemple, ou la transformation des formes à notre disposition, ou
encore la possibilité (morale ou éditoriale?) d’ignorer certains mots fumeux.
Je réalise donc, ce matin, la
nature de calendrier – ou plutôt de ce qu’il sera à la fin de l’année; car si
en septembre nous étions devant une année qui appartenait exclusivement à Fabre
d’Églantine, nous sommes en train de créer un calendrier hybride, une année où
se mélangent non seulement nos recherches et délires respectifs, mais aussi le
contenu quotidien de ton année et de la mienne. »
Je suis revenu encore et encore
sur Révolutions et ses moments d’écriture jouissive. Révisant ce que j’en
écrivais en 2014, j’en arrive à la conclusion que cette proposition littéraire
hors norme me séduit encore plus. Tant et si bien que le résultat de cette joute
– les auteurs discutant fréquemment de leur travail, de leur état d’âme ou d’esprit
– s’avère une réussite totale grâce à la curiosité, à l’intelligence et à la
pertinence des interventions de l’une et l’autre. Intemporel par-dessus tout, je
crois impossible de se lasser de sa lecture.
Notes :
Révolutions m’a incité à
revenir aux œuvres de Nicolas Dickner et de Dominique Fortier, réalisant que je
les connaissais peu selon ce que chacun en disait au hasard d’une histoire ou d’une
explication inspirées par le mot du jour. Ce furent d’ailleurs parmi les trouvailles
que ce livre m’a permis de faire sur l’art d’écrire propre à chacun d’eux et sur
leur univers personnel, réel ou imaginaire, dans la mesure de ce que les messages
de Jeeves leur inspiraient.
Généreuse et merveilleuse chronique, comme d'habitude, cher Jean-François. On lirait ce livre étonnant pour le plaisir de lire votre chronique...
RépondreEffacerTrop généreuse chère Dominique. Je suis à lire sur écran Les ombres blanches, un roman de Dominique Fortier qui paraîtra le 15 mars prochain. Il s'agit, en quelque sorte, d'une suite du roman Les villes de papier, une fiction imaginée autour de la poétesse états-unienne Emily Dickinson. Le mot «suite» ne convient pas tout à fait, car trame du roman à paraître met en scène la famille de Dickinson et ce qui fut décidé de faire des divers textes accumulés en vrac par la défunte.
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