mercredi 24 novembre 2021

Lise Gauvin

Et toi, comment vas-tu?

Montréal, Leméac, 2021, 144 p., 19,95 $.

Pour saluer une grande dame : Lise Gauvin

Un jour, à la revue Lettres québécoises, j’ai eu le privilège de travailler avec Lise Gauvin, une universitaire et une écrivaine engagée plus que quiconque par-devers l’ensemble de la Francophonie littéraire tant par les essais qu’elle consacre aux autrices et auteurs qui participent à ce grand amalgame d’une seule et même langue, mais aussi en ajoutant à cette diaspora sa propre voix, entendue entre autres dans ses récits.

« Hier, maman est morte » : ainsi débute Et comment vas-tu?, le plus récent ouvrage de Lise Gauvin, ce qui m’a rappelé Meursault au début de L’Étranger de Camus : « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. »

Et toi, comment vas-tu? est un récit polyphonique dans lequel quatre de femmes croisent leur destin comme si elles tissaient un réseau générationnel. Il y a Anne, une orpheline française abandonnée à l’Hôpital général de Paris, la Salpêtrière, en août 1656. Puis voilà Réjeanne, « la dernière de huit enfants : quatre filles et quatre garçons dont les âges varient de cinq à vingt-deux ans »; nous sommes en mars 1897. Cette même Réjeanne aura quatre enfants, deux filles et deux garçons, l’aînée se prénommant Marianne; c’est ce personnage qui sera au cœur de la trame narrative et que nous rencontrerons en 1922. Enfin, il y a Viviane, notre contemporaine née en 1940; c’est elle qui sera à la fois un personnage important, car elle est la référence spatiotemporelle du récit, mais aussi parce que c’est sa voix hors champ qui raconte l’histoire de ces quatre générations d’Anne l’orpheline pour qui apprendre à lire et écrire est signe de son affranchissement à la misère humaine qu’elle connaît à Viviane, la plus instruite pour qui lire et écrire sont au centre de son existence.

Le propos de cette narratrice, jamais nommément identifiée mais qu’on reconnaît par les caractères typographiques sans empattement utilisés pour distinguer son temps présent du passé des autres personnages de la galerie de femmes. Cette façon de souligner la distance narrative permet de distinguer l’autrice de la narratrice et d’un personnage au cœur du récit; autrement, l’ouvrage serait, à proprement parler, une autofiction. Il n’en demeure pas moins difficile d’affirmer qu’Et toi, comment vas-tu? n’emprunte pas à ce genre littéraire, la narratrice, comme le personnage de Viviane, ayant plusieurs traits du caractère public de Mme Gauvin.

La fiction donne parfois le privilège de raconter la perception de l’autrice ou de l’auteur d’événements bien réels, qu’ils ont vécus ou non, mais qu’ils s’approprient de plein droit.

Au cœur de ces voix générationnelles, un fil conducteur qui permet à l’autrice de raconter, presque en temps réel et sans s’impliquer autrement que par le personnage de Viviane, les cinq derniers jours de vie de Marianne, la mère de cette dernière. Quiconque a accompagné un parent ou un ami proche en fin de vie sait très bien que ce sont des moments intemporels qui permettent une mise à nu de faits concrets du passé et de l’univers intime jusqu’au dernier souffle, en partageant sentiments et émotions réciproques. C’est là un privilège dont Lise Gauvin communique l’essence avec fidélité, délicatesse et finesse. La seule absente de ces moments intemporels, c’est peut-être cette indicible odeur annonçant la mort imminente comme celle qui précède la pluie ou l’orage.

Ces quatre femmes d’époques et de conditions de vie différentes sont de la même lignée, chacune cherchant à sa façon et selon l’époque et les moyens disponibles à améliorer sa condition en faisant valoir ses droits dans le contexte d’alors. On peut dire sans se tromper qu’Anne, Réjeanne, Marianne et Viviane donnent ensemble une image forte du féminisme à travers les âges, du début de la colonie à aujourd’hui. Un féminisme transmis de mère en fille, l’expérience de l’aînée servant d’appui à celle qui prend le relais et continue la route vers la reconnaissance pleine et entière des droits des femmes.

Plus près de nous, le récit qui est fait du personnage de Viviane, de ses propres expériences, de 1940 à nos jours, met en relief la proximité de la trame avec des événements de notre histoire sociopolitique contemporaine et, ce faisant, nous fait comprendre que la réalité peut être cousine de la fiction.

Et toi, comment vas-tu? est un hommage que Lise Gauvin rend à sa grand-mère, à sa mère et à son double. Ce faisant elle évoque d’autres femmes de sa génération et de leur l’ancêtre Anne dont l’histoire met en perspective qui furent les Filles du roi dont l’image a souvent été ternie par une interprétation insolite de l’histoire confondant extrême indigence et espoir d’un mieux vivre. Ce roman par la remarquable fluidité de son récit et la grande maîtrise de l’art d’écrire de l’écrivaine s’inscrit dans la tradition de cette dernière pour qui mieux faire est toujours loin devant bien faire.

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