Jacques Boulerice
Les mots de mon père, dessins de Mathias Lessard
Montréal, Fides,
2021, 208 p., 24,95 $.
Toute une vie à « se dépenser sans se maganer »
Être fils unique n’est généralement pas une mince affaire. Avoir deux paires d’yeux guettant constamment nos faits et gestes, lisant presque la carte de notre destinée ou tentant de l’infléchir en espérant qu’elle soit meilleure que celui des parents veilleurs. Cela peut parfois être souhaitable surtout à un âge où l’inconnu devant soi peut nous inquiéter. Cette constante vigile peut aussi être lourde à porter au moment où on croit apprises les leçons de vie essentielles, même de façons fragmentaires.
En toile de fond des cinquante et
un brefs récits qui composent l’ouvrage comme autant d’arrêts obligés sur le trajet
en direction de la vie vécue et souvenue d’une relation père-fils qu’on a souvent
dit absente pour les enfants de la génération des baby-boomers ce qui n’est pas
la situation de l’auteur. Le décor planté sous nos yeux est celui de Hatley, un
village estrien où le narrateur est en résidence d’écriture… non subventionnée.
À deux pas du chez lui d’occasion, une grange loge un thoroughbred, un cheval qui
coule les beaux jours d’une retraite méritée. Mikey le pur-sang devient son
interlocuteur, plus discret que bavard, bien que son attitude non verbale en dise
long sur l’attention qu’il porte ou non à ce que le visiteur Boulerice lui
raconte en lui tendant une pomme.
Je répète depuis longtemps que la
poésie est une façon d’appréhender la vie et ses aléas. Les images de famille
que l’écrivain déroule sous nos yeux tout au long du livre sont, sans exception,
des plus joyeuses aux plus tristes, des exemples du regard posé sur le banal comme
l’inusité que l’existence nous réserve. Comment peut-il en être autrement quand
on admire sans coup férir le superhéros de nos souvenirs filiaux?
Tout ce qui émerge de la mémoire
du fils construit un monde qui n’a de petit que la modestie acceptée des moyens
pour réaliser les rêves, essentiels ou secondaires. Pour mettre en perspective la
philosophie de vie d’Urgel, son fils revoit ses grands-parents paternels. Sur
la ferme familiale, Dosithé et Rosa ont une foi inébranlable en l’entraide et
le partage, convaincus que s’il y en a pour cinq, il y en aura aussi pour six
ou sept.
La vie à la campagne, c’était
autrefois. Papa Urgel a plutôt travaillé dans un monde à mille lieues de l’air
libre, le quart de travail dans une fonderie n’ayant rien de bucolique pour le journalier
qu’il était. Ces heures dans la chaleur poussiéreuse des fourneaux n’ont qu’un seul
engagement : faire vivre le mieux qui soit son épouse Alice et son fils
Jacques. La mère prie tous les jours pour la constance d’une quiétude qu’enfant
elle n’a pas connue. Elle invoque aussi les mânes pour que son garçon, poursuivant
son cours classique, s’ensoutane et se consacre au service d’une religion à laquelle
Jos accorde peu ou prou d’intérêt.
On comprend que Les mots de mon
père, ce sont aussi des mots ou des expressions qui avaient cours à la
maison des Boulerice. Parmi tous ceux évoqués, je retiens « dépareillé » :
« Papa employait ce qualificatif quand il parlant d’un être exceptionnel. »
Que dire de « faire des échiquettes » : « Je ne connais pas
d’autre mot pour ça, dit Jos. Aux extrémités [de la corde de bois], on n’empile
pas les bûches comme au milieu. On les corde en rangées croisées. Ça fait comme
des tours. Ça empêche les rondins de débouler. »
À Jos et Alice, la parenté de l’un
et de l’autre, s’ajoutent les fils du poète Alexandre et Nicolas, leur mère
Lorraine, la compagne Madeleine et des amis du Finistère. Tout ce beau monde et
quelques autres animent la vie d’Urgel et de son fils Jacques comme si les images
d’autrefois alignées dans les albums de souvenirs devenaient par la magie de l’écriture
et de l’imaginaire des « vues animées » comme on disait jadis du
cinéma. Il est ainsi difficile, voire impossible que la lecture de ces
histoires n’éveille pas chez la lectrice ou du lecteur leur propre enfance, telle
une suite de films en super-8, ceux-là n’ayant pas la liberté aérienne de la poésie
de l’auteur de Les mots de mon père.
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