mercredi 10 novembre 2021

Sylvain Larose

Débandé

Montréal, Sémaphore, 2021, 192 p.,25,95 $.

L’école reflet de notre société?

Josée Blanchette, chroniqueuse au Devoir, donnait à lire « La société des libres penseurs disparus », le 21 mai dernier. Elle y racontait sa rencontre avec Sylvain Larose, professeur des cours d’univers social au secondaire et chargé de cours en didactique de l’univers social à l’UdeM. C’était aussi l’occasion de mettre à l’épreuve les principes pédagogiques décrits par ce prof dans Être, agir, enseigner en tant qu’anarchiste à l’école secondaire (M éditeur, 2018). Les élèves rencontrés ont semblé généralement très satisfaits de la liberté qui régnait en classe et l’apprentissage de l’autorégulation individuelle et sociale qu’elle permettait.

Sylvain Larose, ne pouvant pas accueillir une cohorte d’observateurs dans une classe comme la journaliste, a choisi d’écrire Débandé, un roman dans lequel Éric, un prof d’expérience comme lui-même, utilise une pédagogie à mille lieues de ce qu’il prône dans son essai.

Ce personnage, aux pratiques pédagogiques contraires à celles de l’auteur, confronte le libertarisme de ce dernier à son conformisme, voire un modèle d’enseignement moyenâgeux. L’ironie et le sarcasme sont des armes très efficaces et le romancier n’hésite pas à les utiliser plus que moins. Cela lui permet, par personnages interposés, de mettre en opposition des professeurs d’une école secondaire avec la direction de l’établissement, sans oublier l’interventionnisme du comité d’école composé des parents d’élèves.

Éric est un despote en classe. C’est la croix et la bannière pour la majorité des élèves qui savent que celles ou ceux qui ne s’y résolvent pas seront les victimes de l’opprobre de l’enseignant, souvent à répétition.

On est loin du Club Vineland, l’excellent film de Benoit Pilon, ou de La société des poètes disparus de John Keating. Dire qu’Éric a la mèche courte et qu’il devient irascible quand il est question d’une pédagogie plus équilibrée entre les devoirs du prof et ceux des élèves, voire d’un esprit plus démocratique en classe, est un euphémisme.

Les élèves d’Éric ne sont pas ses amis, une relation qu’il reproche à nombre de ses consœurs et confrères plus jeunes. Il se rit bien de les voir s’embourber dans le vacarme que suscite parfois leur nonchalance que l’esprit de groupe des élèves exploite à qui mieux mieux. Pour lui, tout est une question de discipline et de travail qui ne doivent jamais avoir de cesse si on veut réussir en classe comme ailleurs dans la vie adulte.

Plus on suit cet enseignant-robot, ce qu’il semble être devenu au fil des ans en faisant de son enseignement un éternel copier-coller, plus on comprend les confrontations qu’il provoque chez certains élèves et ses jeunes collègues. Même le stagiaire qu’il reçoit ne comprend pas tout à fait sa philosophie professionnelle, mais n’en dit mot puisque son maître a son sort entre les mains.

Éric fait souvent référence à sa « vieille gang » d’amis, des collègues qui pratiquaient la même pédagogie directive qui fait d’eux les seuls maîtres en classe. Ce temps jadis s’oppose, à ses yeux du moins, aux pratiques de ses plus jeunes camarades. Il y a aussi quelques survivants de son époque qui semblent avoir libéralisé leur façon de faire et qui, parfois, viennent au secours de l’homme de Cro-Magnon qu’il est devenu.

Petit à petit, d’événements en classe, la sienne ou celle d’un autre prof, à une altercation avec la mère d’une élève qui est aussi au Comité de parents, d’un débordement telle une solide gauche servie par un adversaire – qui ne l’est pas à ses yeux! – à son knockout technique, lire ici épuisement professionnel, Éric se voit obliger, même au-delà de sa volonté, à rendre les armes pour un temps du moins. Cela suffira-t-il à remettre en question ses pratiques pédagogiques et ses relations de travail? Revenir en classe en temps de pandémie, en présentiel ou non, n’arrange rien, sinon un lâcher-prise, une démission morale qu’il croit éthique.

Pour avoir enseigné à presque tous les niveaux du secondaire dans les années 1970-1980, bien avant la génération des enfants rois et le clientélisme que pratiquent certains, je comprends la position que défend Éric pour l’avoir observé. La discipline et le travail étaient les mamelles auxquelles s’alimentait le système scolaire d’alors, à tort ou à raison. Qu’en est-il au temps du cellulaire et des réseaux sociaux? Je l’ignore, mais j’imagine que le climat scolaire doit trouver un équilibre entre l’interdit et le permis. Entre-temps, l’histoire habilement racontée dans les pages de Débandé vaut qu’on s’y intéresse – comme élève, comme parent et comme professeur – surtout comme société qui n’a pas toujours su voir venir l’horizon en matière d’éducation.

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