Charles Quimper
Une odeur d’avalanche
Québec, Alto, 2021, 162 p.,
21,95 $ (papier), 13,99 $ (numérique).
Rêver l’impossible rêve
« Dans les petits pots les bons onguents », selon le proverbe populaire. C’est la première réflexion qui m’est venue en refermant Une odeur d’avalanche, le deuxième roman de Charles Quimper. Quelle intensité narrative y trouvons-nous, grâce à la rupture du schéma traditionnel du roman marquée par la simultanéité des actions dans des temps propres à chacune des situations qui se croisent et se décroisent. Même le temps bouscule les époques.
Le dénominateur commun des diverses péripéties, c’est le quartier Saint-Sauveur de la ville de Québec. C’est aussi le fil conducteur de chacun des cycles intitulé « La Pie de Saint-Sauveur », une chronique signée Adjutor Leroux dans laquelle ce dernier relate des événements qui ont affligé l’ensemble de la population du quartier, tout en soulignant, au bon moment, les faits relatifs à l’un ou l’autre des personnages.
Les interventions de chacun d’eux
sont marquées par une typographie particulière, allant du caractère typographique
choisi pour raconter Cowboy et la Dame en vert, à ceux d’une machine à écrire d’autrefois
prêter à Jacob pour écrire son journal personnel et son amour de Pénélope, à
celui en gras pour les articles de Leroux. Cette façon de faire m’a rappelé les
habitudes typographiques de certains poètes pour marquer de façons manifestes la
distance suggérée d’un vers ou pour souligner un thème majeur. Ici, Quimper
crée de cette façon des bulles – non, je ne pense pas à celles que la COVID-19 nous
a imposées – dans lesquelles il installe les personnages pour y faire leur propre
quête identitaire.
Qu’en est-il du quartier Saint-Sauveur,
un personnage en soi : « Saint-Sô, comme le surnomment
affectueusement ses résidents, est un quartier ouvrier qui, dans les dernières
années, accueille de plus en plus de jeunes familles et de professionnels en
quête d’une vraie vie de quartier authentique. Bienvenue en Basse-Ville! »
Il est le lieu-dit de « toutes
les catastrophes : séismes, inondations, pluies de grenouilles… Béni par
l’apparition de la Vierge, c’est aussi le lieu d’amours dévorantes et
d’indéfectibles amitiés nouées dans une enclave ouvrière baignant dans une
solidarité râpeuse. Puis viennent les disparitions. Des gens et des choses sont
happés par le hasard. Cette vague d’évaporations passe, comme les autres
calamités, mais Saint-Sauveur n’échappe ni à la marche du temps ni à l’amnésie
collective. » Pour la petite histoire, il est aussi le quartier de la famille
Plouffe, roman de Roger Lemelin devenu téléroman culte des années 1950, et
celui d’Alys Robi dont le succès dérangea à ce point les bien-pensants qu’on
lui infligea une lobotomie.
Outre le chroniqueur Adjutor Leroux
– dont le prénom m’a rappelé Adjutor Rivard (1868-1945), avocat et ardent
défenseur de la langue française au temps jadis – il y a Jacob Durand, né en
septembre 1960; fille-mère, sa maman était l’enfant de l’hôtelier Elzéar Durand
et la compagne du Terre-Neuvien Bruce Hinton. Le couple deviendra le curateur
de l’Hôtel du Cap qui, selon Jacob, « était devenu un lieu où régnait l’ennui
le plus total, un ennui auquel [il n’échappait] pas. » (46)
Le fils Durand se lie d’amitié avec
Pénélope Martel, née en octobre 1960. Le récit de leur relation se joue sur fond
d’une imagination débridée comme les adolescents peuvent en avoir avant que le
quotidien ne les rattrape. En est-il ainsi parce qu’ils captent plus aisément
les signes de la nature, comme tous ces oiseaux qui volent au-dessus du
quartier tout en égayant de leurs chants la morosité du quotidien? Toujours
est-il que, petit à petit, sans trop bousculer leur entourage, « Jacob et
Pénélope [sont] deux adolescents qui tentent de s’accrocher à leur monde en
dissolution à la fin des années soixante-dix. »
« De l’autre côté de
l’histoire, cinquante ans plus tard, une Dame en vert et un Cowboy solitaire
recollent les fragments de leurs longues existences pour en faire quelque chose
de beau, de durable. » Leur histoire révèle des fragments de la vie
antérieure de chacun. Puis, il y a le miracle de leur relation amoureuse entretenue
avec une fébrilité palpable et toute en retenue, comme s’ils ne croyaient pas que
cela puisse leur arriver à ce moment-là de leur existence; petits pas par
petits pas de danse, ils réchauffent le sentiment amoureux auquel ils ne croyaient
plus. Il y a quelque chose de très attendrissant dans la relation de cette femme
de tempérament joyeux et de cet homme au Stetson qui croit avoir tout vu et
tout expérimenté.
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