mercredi 20 octobre 2021

Donald Alarie

Sa valise ne contient qu’un seul souvenir

Montréal, Pleine lune, coll. « Plume », 2021, 80 p., 19,95 $.

Conjuguer jadis au temps d’aujourd’hui

Vous vous souvenez de « Tout se joue avant six ans », un ouvrage du psychologue étatsunien Fitzhugh Dodson, paru en 1970, qui développe une philosophie de l’éducation s’appuyant sur l’importance des premières années de la vie d’un enfant sur son avenir. Une sorte de déterminisme sur lequel on a peu ou pas de prise, sinon que d’en assumer les conséquences.


La novella écrite par Donald Alarie, Sa valise ne contient qu’un seul souvenir, publiée par les éditions Pleine lune en cette rentrée littéraire 2021, me semble un excellent exemple de ce lien de cause à effet où un événement, un seul, survenu un jadis indéfini, mais qui peut être d’aussi loin que la petite enfance du narrateur, n’a jamais cessé de tisser une toile sur laquelle se projette toute une vie en brouillant sans cesse la même image.

Ce livre, une plaquette diront celles et ceux pour qui le nombre de pages compte plus que les qualités littéraires intrinsèques, a autant à dire qu’un long traité de psychologie pratique. Une des distinctions majeures de ce récit, c’est qu’il est écrit sur le ton d’une poésie intime, voire intimiste. Alarie trace avec finesse et dans une langue d’une grande sensibilité dont chaque mot, chaque image importe en traçant les contours d’actions actuelles sur lesquels pèse sans arrêt un événement d’un temps lointain qui, pourtant, a laissé une empreinte indélébile et troublante.

Voyez-en la trame fort bien définie en quatrième de couverture : « Un homme ne peut oublier une scène vécue dans sa petite enfance, une fin d’après-midi automnale, alors que la pluie faisait des siennes. Le jeu y occupait une grande place, mais il y régnait aussi une forte tension familiale. Ce souvenir d’un étranger aperçu devant la porte sous la pluie et la réaction troublante de sa mère viendra le hanter toute sa vie à des moments où il s’y attendra le moins. » Il en conservera, gravée dans son âme et conscience, une cicatrice qui ne guérira jamais.

La prégnance d’un événement, de prime abord anodin – l’apparition d’un étranger dans la fenêtre de la porte d’entrée de la demeure familiale –, soulève une interrogation à laquelle même toute une vie ne parviendra pas à répondre, sinon par des hypothèses variant d’un âge à l’autre, d’une compréhension ou d’une interprétation dont le temps qui passe donne diverses tonalités.

L’étranger, dont le spectre a bousculé la vie de l’enfant, aura autant de visages que les événements qu’il influencera malgré lui. La mère et la grand-mère du garçon étaient présentes ce jour de pluie, mais ne comprennent pas l’importance qu’a pris l’incident, sans pourtant le nier. L’aînée mène et mènera la discussion, même quand le père de famille, absent au moment des faits, entrera du travail, car l’ombre peut troubler la quiétude de la maisonnée. Y aurait-il là un secret de famille qui ne doit pas parvenir aux oreilles du gamin?

Chaque page de la novella est faite d’un paragraphe telle une strophe en poésie qui donne à lire une image, frappante ou étonnante, parfois d’une douceur incommensurable. Des soixante-cinq versets qui composent le récit, celui qui suit m’a particulièrement bouleversé, car il semble contenir l’essence même du propos de Donald Alarie : « C’était l’époque où l’enfant parlait peu. Sa parole n’existait pas, il vivait dans la confusion des sentiments (Stefan Zweig). Il était là pour obéir, sa vie appartenait à ses parents. Il se déplaçait dans l’ignorance, trouvant parfois son seul recours dans le jeu avec des amis réels ou imaginaires. Plus tard dans la prière, mais il douterait rapidement de son efficacité. Il se sentait bien seul, souvent intrigué, voire désemparé par le comportement des adultes, prêts à se réfugier à l’occasion dans une autre langue pour brouiller les pistes. » (58)

Sa valise ne contient qu’un seul souvenir mérite de séduire le plus grand nombre de lectrices et de lecteurs possibles et que ceux-ci y reviendront pour sa beauté littéraire, mais aussi pour évaluer l’importance insoupçonnée qu’un événement, aussi banal fût-il, imprime dans la mémoire un signe indélébile. Donald Alarie, par la simplicité volontaire de sa prose poétique et l’audace de son éditrice de la publier, joue d’un mode littéraire hors du temps présent sur lequel règne le passager, l’éphémère souvent incapable de distinguer l’utile de l’inutile.

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