Donald Alarie
Sa valise ne contient qu’un seul souvenir
Montréal, Pleine lune, coll. « Plume », 2021, 80
p., 19,95 $.
Conjuguer jadis au temps d’aujourd’hui
Vous vous souvenez de « Tout se joue avant six ans », un ouvrage du psychologue étatsunien Fitzhugh Dodson, paru en 1970, qui développe une philosophie de l’éducation s’appuyant sur l’importance des premières années de la vie d’un enfant sur son avenir. Une sorte de déterminisme sur lequel on a peu ou pas de prise, sinon que d’en assumer les conséquences.
La novella écrite par Donald Alarie, Sa valise ne contient qu’un seul souvenir, publiée par les éditions Pleine lune en cette rentrée littéraire 2021, me semble un excellent exemple de ce lien de cause à effet où un événement, un seul, survenu un jadis indéfini, mais qui peut être d’aussi loin que la petite enfance du narrateur, n’a jamais cessé de tisser une toile sur laquelle se projette toute une vie en brouillant sans cesse la même image.
Ce livre, une plaquette diront celles
et ceux pour qui le nombre de pages compte plus que les qualités littéraires intrinsèques,
a autant à dire qu’un long traité de psychologie pratique. Une des distinctions
majeures de ce récit, c’est qu’il est écrit sur le ton d’une poésie intime,
voire intimiste. Alarie trace avec finesse et dans une langue d’une grande
sensibilité dont chaque mot, chaque image importe en traçant les contours d’actions
actuelles sur lesquels pèse sans arrêt un événement d’un temps lointain qui, pourtant,
a laissé une empreinte indélébile et troublante.
Voyez-en la trame fort bien
définie en quatrième de couverture : « Un homme ne peut oublier une
scène vécue dans sa petite enfance, une fin d’après-midi automnale, alors que
la pluie faisait des siennes. Le jeu y occupait une grande place, mais il y
régnait aussi une forte tension familiale. Ce souvenir d’un étranger aperçu
devant la porte sous la pluie et la réaction troublante de sa mère viendra le
hanter toute sa vie à des moments où il s’y attendra le moins. » Il en
conservera, gravée dans son âme et conscience, une cicatrice qui ne guérira
jamais.
La prégnance d’un événement, de
prime abord anodin – l’apparition d’un étranger dans la fenêtre de la porte d’entrée
de la demeure familiale –, soulève une interrogation à laquelle même toute une
vie ne parviendra pas à répondre, sinon par des hypothèses variant d’un âge à l’autre,
d’une compréhension ou d’une interprétation dont le temps qui passe donne diverses
tonalités.
L’étranger, dont le spectre a bousculé
la vie de l’enfant, aura autant de visages que les événements qu’il influencera
malgré lui. La mère et la grand-mère du garçon étaient présentes ce jour de
pluie, mais ne comprennent pas l’importance qu’a pris l’incident, sans pourtant
le nier. L’aînée mène et mènera la discussion, même quand le père de famille,
absent au moment des faits, entrera du travail, car l’ombre peut troubler la
quiétude de la maisonnée. Y aurait-il là un secret de famille qui ne doit pas parvenir
aux oreilles du gamin?
Chaque page de la novella est
faite d’un paragraphe telle une strophe en poésie qui donne à lire une image, frappante
ou étonnante, parfois d’une douceur incommensurable. Des soixante-cinq versets qui
composent le récit, celui qui suit m’a particulièrement bouleversé, car il semble
contenir l’essence même du propos de Donald Alarie : « C’était l’époque
où l’enfant parlait peu. Sa parole n’existait pas, il vivait dans la confusion
des sentiments (Stefan Zweig). Il était là pour obéir, sa vie appartenait à
ses parents. Il se déplaçait dans l’ignorance, trouvant parfois son seul recours
dans le jeu avec des amis réels ou imaginaires. Plus tard dans la prière, mais
il douterait rapidement de son efficacité. Il se sentait bien seul, souvent intrigué,
voire désemparé par le comportement des adultes, prêts à se réfugier à l’occasion
dans une autre langue pour brouiller les pistes. » (58)
Aucun commentaire:
Publier un commentaire