Pierre Filion
Les derniers jours de la Reine, « triptyque des vestiges
amoureux 3 »
Montréal, Leméac, 2021, 144 p. 14,95 $.
Requiem pour unamour en-allée
Les derniers jours de la Reine du Nord, le nouvel opus de l’auteur et éditeur Pierre Filion, nous plonge au cœur d’un drame si difficile à contenir qu’il faut en déconstruire la trame et renouer avec les mots en empruntant l’orthographe d’avant la réforme de 1835 alors que le « françois passe au français ».
Que dire de ces mots soudés les
uns contre les autres à la recherche d’une voie qui permet d’entendre la
mélopée de leur propre voix. Pourquoi un tel maelström, sinon parce que la
puissance du récit serait impossible à seulement vouloir évoquer.
Le roman met en scène Bob et Zaza,
un homme et une femme découverts dans Luxe (1989), le premier récit d’un
« triptyque des vestiges amoureux » où ils se rencontrent dans un
resto branché de Montréal et deviennent, presque malgré eux, des amoureux. Ils
poursuivent leur quête dans Les chiens de l’enfer (1991), l’occasion de
faire un « road trip » espéré salvateur.
Le roman La mort de l’âme fut
annoncé comme allant être la fin de leur histoire, mais c’est plutôt Les
derniers jours de la Reine du Nord qui marque le point d’orgue d’une
relation tumultueuse où l’intensité des sentiments prime par-dessus tout, rappelant
des écorchés vifs au napalme des émotions.
Pourquoi insister sur toutes ces
années passées entre le début et la fin de ce projet, sinon pour bien faire
comprendre que les jours pèsent de tout leur poids sur ce dénouement aussi
difficile à raconter qu’impossible à taire par crainte d’en oublier les
moindres fragments.
La Reine du Nord, c’est bien Zaza,
rencontrée autrefois au Lux avec ses copines et que Bob est parvenu à séduire.
Ensemble, ils feront plus tard un voyage en Californie avec une halte dans la Death
Valley, une escale prémonitrice. Cette Vallée de la mort, ils se la rappellent alors
que Zaza est confrontée à sa propre fin de vie, ce que sont les « derniers
jours de la Reine du Nord ».
L’impuissance de Bob devant cette
mort appréhendée est telle qu’il cherche à en retarder l’échéance en
emmagasinant le plus de souvenirs possibles, les siens et ceux que Zaza veut ou
peut encore pérenniser. Cet état d’urgence et ce devoir de mémoire sont d’une telle
intensité que Bob fait de sa narration un cénacle dans lequel seul est admis un
discours dont la forme importe presque plus que son cours, que sa trame.
Pierre Filion connaît mieux que
quiconque le poids des mots, les règles qui contribuent à construire la
structure narrative du roman tout en respectant la personnalité littéraire de l’autrice,
l’auteur. Non seulement parce qu’il n’en est pas à son premier récit, mais
aussi parce qu’il est un grand accompagnateur d’écrivaines et d’écrivains
célébrés, l’éditeur de Michel Tremblay, Jacques Poulin, Ying Chen et tant d’autres.
Les derniers jours de la Reine
du Nord n’est pas un roman à clefs, un roman dont il faudrait connaître les
tenants et les aboutissants d’une histoire personnelle de l’auteur ou de son jumeau
de plume. C’est une histoire si éminemment intime qu’elle interpelle des formes
plus anciennes d’écriture, comme si elle était écrite par quelqu’un d’autre que
ce Bob imaginaire qui ne se résout pas à mettre en mots la charge émotive de son
chagrin d’assister impuissant à la lente et tourmentée agonie de sa compagne.
Bob résume ainsi la vie du couple :
« Nous
devînmes une immense irruption à l’intérieur d’un œuf de coq. Puis entassâmes
nos sottises sans les regretter jamais. Puis fûmes rapidement instruits des malheurs
que l’horizon nous avoit préparés mijotés mitonnés fricotés. Puis redevînmes à
force de rires des pulpes abrogées choses chosettes déchosés des transes infirmes
des jeux charnus. La cata totale. Je savois bien disois-tu. Ton propos étoit du
direct et non de l’indirect libre Il ne faut pas toujours générer du sens lors
que le sens ne sert qu’à rassurer la forme et la forme qu’à supporter l’origine. »
(p. 30-31)
Non seulement ce passage décrit l’« égrégore »
de Zara et Bob, mais il illustre l’éventail des répétitions de synonymes ou de
mots inventés dont le romancier fait bon usage, comme si le narrateur voulait blinder
leurs souvenirs de tout oubli passé, présent ou à venir.
Qu’il me suffise de citer un
autre passage du roman pour illustrer cette prégnance des composantes du discours
narratif devenue indispensable :
« Zaza
surtout regardoit loin loin loin loin loin cinq siècles d’enfoncement et d’intervalle
venoient revenoient vers elle des fragments d’une oscillation qu’elle avoit l’impression
le pressentiment l’assurance de reconnaître. Elle se savoit aussi d’une autre
époque du Nord ils le savoient s’étoient raconté toutes ces radoteries et
ravaudages cousus de chairs anciennes. De celles qui reparaissent sans qu’on
les invite au coin du feu. Qui se reconstruisent par lots d’images furtives
tirées des fonds d’archives où elles s’étoient déposées en sédiments sur lelit
des mères. » (p. 42) Et comme pour appuyer ma compréhension, l’auteur
note : « Même la combinaison des mots choisis d’une vie appartient
au scénario des croisières tout-inclus. » (p. 132)
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