Michel Jean
Kukum
Montréal, Libre Expression, 2019, 224 p., 24,95 $.
Racisme citoyen, racisme d’État
Le mimétisme du racisme des Québécois vise surtout les immigrants dont la couleur de peau et la culture sont différentes. Mais que dire des populations autochtones parquées dans des réserves par l’État, tout en tentant n’annihiler leurs langues et leurs cultures? Les tristes événements du CHRDL de Joliette m’ont ébranlé, pour des raisons personnelles, et longuement fait réfléchir au sort fait aux Amérindiens depuis le débarquement de nos ancêtres colonisateurs.
Je suis alors revenu à Kukum, roman de Michel Jean récipiendaire du Prix littéraire France-Québec 2020. Pourquoi cette histoire innue parmi les nombreuses autres? Pour ses qualités intrinsèquement littéraires très certainement, mais aussi pour les rapports de la narratrice avec la communauté franco-québécoise qui s’établissait petit à petit sur la rive du Pekuakami, le lac Saint-Jean.
Kukum, c’est l’arrière-grand-mère
du romancier. Jeune enfant, elle a été « adoptée » par un couple, bon
chrétien, devenu son oncle et sa tante. Avec Almanda, les Fortier formaient une
famille installée à Saint-Prime dans le but de « faire de la terre »
comme Samuel Chapdelaine, le personnage de Louis Hémon. C’était, on l’imagine,
une vie très dure à mener pour le corps et pour l’esprit.
Un jour qu’Almanda est au champ,
un jeune innu s’approche sans bruit. Coup de foudre des jeunes gens? Sans aucun
doute, car cette rencontre est de point de départ d’une aventure qui durera
jusqu’au décès de chacun d’eux, des décennies plus tard. Thomas Siméon revient
quelques fois la visiter avant de demander la main de la jeune femme. Pour les
Fortier, le départ d’Almanda signifie une bouche de moins à nourrir, ce qui n’est
pas rien quand on vit dans une précarité de tous les jours. Pour l’adolescente,
cette union laisse entrevoir une liberté qu’elle imagine plus grande que la nature
environnante.
Elle est rapidement acceptée au
sein du clan des Siméon constitué de Malek, le père de Thomas, de Daniel, son
frère cadet, et de ses sœurs Christine et Marie. N’oublions pas que c’est Almanda
qui raconte la trame fragmentée du récit selon les événements marquants survenus
au fil des ans. On comprend qu’elle écrive au début du récit : « Qu’aurait
été ma vie si un jeune chasseur aux yeux bridés n’était pas passé par là,
attiré par un vol d’outardes? »
Amanda, comme on a l’habitude de
l’appeler, doit refaire son éducation, car la vie des Siméon, installés l’été
dans la bourgade de Pointe-Bleue, n’a rien à voir avec ce qu’elle connaît. La langue
d’abord qui oscille entre un innu-aimun et un français approximatif. Surtout,
un mode de vie qui lui est totalement inconnu : « Petit pas par petit
pas [dit-elle], mon corps autant que mon esprit s’adaptaient au mouvement
quotidien de l’existence nomade. »
La fougue d’Amanda et le calme de
Thomas rythment la passion amoureuse qui les unit. Nous ne sommes pas dans une
histoire fleur bleue, mais dans celle d’une impétuosité hors de l’ordinaire qui
semble ne jamais s’épuiser. La vie de couple au sein d’un clan apporte un peu
de sérénité à Amanda qui n’a connu que la bonté chrétienne d’une famille approximative
où les règles sont dictées par l’Église et l’État, loin du quotidien des gens.
Les Siméon n’ont de lois que
celles de la nature et celles d’un créateur aimant et respecté. Amanda s’intègre
dans une société aux modes de vie ancestraux, tout en imposant naïvement
quelques élans inhabituels, comme de vouloir apprendre à chasser ou de suivre
son époux dans ses longs périples hivernaux à la recherche de gibier et d’animaux
à fourrure sur le territoire des Passes-Dangereuses où les Siméon hibernent.
Ses insoumissions, Amanda les raconte
sans gloire, car elle croit qu’il en a été ainsi que grâce à l’ouverture d’esprit
du clan. Ses nombreuses conversations avec Malek, le chef de clan, illustrent bien
l’affection et le respect de l’un pour l’autre. Il en va de même pour l’harmonie
fraternelle qui existe entre elle et ses belles-sœurs, peu importe la situation
à laquelle elles font face. « J’ai appris en les observant comment faire
tout cela [le tannage des peaux par exemple]… Je ne saurais le dire, mais en
découvrant les gestes lents et assurés des sœurs Siméon, comme une enfant, je m’initiais
à un savoir ancien. »
La vie aventurière et nomade que
raconte la narratrice sert de toile de fond sur laquelle se déroule le
quotidien des Innus de Pointe Bleue. Pour ces familles, la nature s’écrit avec
un grand N, car elle est l’essence même de leur existence. Si bien que lorsqu’on
fait la coupe à blanc des forêts de plus en plus éloignées et qu’on instaure la
drave sur les cours d’eau qui leur sont nécessaires, on détruit leurs habitudes
de vie.
Amanda devient mère plusieurs
fois et sa première grossesse, qui se déroule en mode nomade, est un événement
marquant pour le clan Siméon. Comme l’est plus tard sa décision d’envoyer ses
enfants à l’école pour qu’ils puissent s’adapter, inexorablement, à un mode de
vie différent du leur. Lire, écrire, compter sont des savoirs qu’Amanda a conservés
de sa jeunesse; la lecture surtout qui a occupé ses longs moments de solitude.
Ultime fait d’armes de Kukum,
mot qui signifie grand-mère : Amanda se rend à Québec, par train, pour
rencontrer Maurice Duplessis et se plaindre qu’on fauche régulièrement la vie
de jeunes enfants sur les rues de son village. Après une attente patiente, elle
rencontre le « Cheuf » qui, bien qu’il lui rappelle son impuissance
devant une demande amérindienne à laquelle seule Ottawa peut répondre, en vient
quand même à faire construire des trottoirs dans le village.
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