mercredi 3 février 2021

Louis Hémon

Maria Chapdelaine

Montréal, Bq, 2020, 224 p., 6,95 $ (papier), 5,99 $ (numérique).

Le pays du Québec

Je n’avais jamais lu Maria Chapdelaine, le roman phare de Louis Hémon paru à titre posthume. Je ne comprenais pas l’importance du récit dans l’histoire de la littérature canadienne-française du début du 20e siècle. Or, l’arrivée d’un quatrième film tiré du roman a piqué ma curiosité et je suis allé constater les écueils auxquels le cinéaste devait faire face en ces temps de rectitude politique.


J’ai lu Hémon sans déplaisir et passé en revue des ouvrages de référence qui en traitent, dont l’Histoire de la littérature canadienne de Mgr Camille Roy, l’Histoire de la littérature québécoise de Biron, Dumont Nardout-Lafarge, ainsi que La littérature canadienne francophone du regretté Edwin Hamblet, professeur émérite de la SUNY, à Plattsburgh.

J’emprunte à ce dernier, jeune professeur invité à McGill au début des années 1970 que j’ai connu, dont j’ai apprécié le travail et, surtout, nos longues discussions littéraires, le résumé de Maria Chapdelaine.

« Samuel Chapdelaine, pionnier traditionnel, est attiré par l’appel de nouvelles terres à défricher. Il aime le défi de la forêt vierge canadienne. Sa femme souffre de l’isolement de l’arrière-pays et regrette sa vieille paroisse natale. Par fidélité, Madame Chapdelaine (Laura) subit son épreuve en silence. Leur fille Maria est attachante par sa simplicité et son bon caractère. Elle se résigne aux difficultés de la vie quotidienne, et son courage et son stoïcisme la feront triompher de tous les revers et de toutes les déceptions. Trois archétypes d’hommes viennent lui faire la cour. François Paradis, bûcheron alcoolique qui travaille dans les chantiers, est celui qu’elle aime. C’est un coureur de bois instable de caractère et qui n’aime pas la vie de sédentaire; il périt dans une tempête de neige en essayant de se rendre chez Maria au moment des fêtes. Lorenzo Surprenant est le franco-américain, l’émigré, qui invite Maria à venir vivre aux États-Unis où la vie est plus facile. C’est le "vendu" qui finira par s’assimiler à la culture anglo-saxonne.

Eutrope Gagnon, un voisin, simple cultivateur, ne peut offrir à Maria autre chose que l’existence qu’elle connaît depuis toujours. Lorsque Madame Chapdelaine meurt, Maria entend les voix de son pays qui la convainquent de rester au Québec. En épousant Eutrope, elle incarne l’idéal de la race canadienne-française. » (Edwin Hamblet, La littérature canadienne francophone, Paris, Hatier, 1987, 84-85)

Côté critique, voyez ce que Mgr Camille Roy en a dit : « Sans nous attarder à l’aberration volontaire de ceux qui veulent apercevoir dans Maria Chapdelaine une peinture, non pas du colon défricheur, mais de l’habitant canadien en général, et qui pour cela accusent l’auteur d’une généralisation qui est dans leur propre esprit, force nous est de reconnaître que Louis Hémon a fait un livre qui révéla l’acuité de son observation, sa haute culture, un art supérieur de conduire le récit, une langue propre, élégante et souple où se mêle avec mesure et avec une étonnante vérité le parler populaire canadien, et qu’il montra aussi par l’exemple, tout le parti que l’on peut tirer, pour le roman, de la matière canadienne. » (Mgr Camille Roy, Histoire de la littérature canadienne, nouvelle édition revue et mise à jour, 1930, Québec, Imprimerie de l’Action Sociale Ltée, p. 225)

J’en reviens au film de Sébastien Pilote, le quatrième tiré du roman. Deux éléments de la trame ont, à mon avis, sûrement posé problème. D’abord, l’utilisation du mot « sauvage » faisant alors référence aux Premières nations. On peut croire qu’au début du vingtième siècle, un auteur français a été éduqué au mythe du « bon sauvage » ou du « noble sauvage », un personnage idyllique qui est l’idéalisation de l’état de l’homme à l’état nature vivant librement. Comment le représenter au cinéma aujourd’hui sans en faire une appropriation culturelle?

L’autre problème que Maria Chapdelaine peut soulever aujourd’hui : le rôle de Laura, la mère, et celui de l’adolescente Maria. Le contexte est celui d’un roman du terroir où la nature doit être soumise aux humains et, qu’à ce titre, l’identité à un coin de terre est une obligation à laquelle tous doivent se soumettre. Laura Chapdelaine obéit à son homme sans partager sa passion de rendre le lopin cultivable. Or, pour Samuel Chapdelaine « faire de la terre » est l’ultime but de sa vie : il est un colonisateur sans limites.

Où se situe Maria entre les quêtes différentes de ses parents? À l’époque, la jeune femme a comme un modèle la fidélité à ses racines terriennes et au mieux-être des siens. C’est ce modèle auquel Maria adhérera finalement en épousant Eutrope Gagnon, d’autant plus que son cœur était du côté de François l’aventurier décédé trop tôt. Le choix de Maria a peu à voir avec ses vrais sentiments étant plutôt inspirés par l’abnégation de Laura, sa mère, qui rêvait de la ville et de son confort. Une sorte de confinement permanent.

Cela dit, je vous suggère de visiter le site du film qui donne le ton et la couleur que le scénariste et réalisateur Sébastien Pilote a donnés à son œuvre : https://mariachapdelaine.com/.

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