mercredi 10 février 2021

Jacques Orhon

Les fruits de l’exil

Montréal, L’Homme, 2020, 360 p., 29,95 $.

Voyage en Œnologie

J’ai toujours apprécié la prose didactique des livres de référence viticole proposés par Jacques Orhon. Sans prêchi-prêcha, ce sommelier globe-trotteur m’a fait visiter quelques-uns de ces pays où le terroir et les cépages permettent aux viticulteurs de changer les raisins en vin, dont la France, l’Italie, l’Espagne, etc. Apprenant qu’il publie Les fruits de l’exil, un premier roman, je suis curieux de découvrir les avenues de la fiction il allait emprunter.


Stéphane Almeida est au cœur de la trame, le maître des quêtes racontées en vingt épisodes. Le voilà d’abord de passage dans un vignoble de la région du Niagara où il accompagne Charlie, un réputé journaliste spécialiste des vins qui en est à sa dernière mission. Stéphane est un photographe de haut niveau dont le travail accompagne les articles de journalistes. Il profite de ces voyages pour croquer des paysages particuliers de ces régions, ici en survolant les chutes.

Cette fois, il semble avoir une autre raison de s’intéresser à la vallée ontarienne : il espère rencontrer un certain Henri Almeida. Si l’événement ne se produit pas, il apprend quand même que ce mystérieux personnage se prénomme Ronaldo et qu’il a une fille, Livia Bauer Almeida.

Retour dans le temps. Dès la deuxième séquence – j’emprunte ce terme au cinéma, car la façon de raconter de Jacques Orhon a quelque chose du 7e Art –, nous voilà à Paris où Stéphane habite avec sa mère, non loin de chez ses grands-parents paternels, papi Jorge et mamie Telma. Son père? On lui a toujours dit qu’il était décédé dans un accident d’automobile. Or, un projet scolaire plonge l’adolescent au cœur d’un malentendu entretenu par les siens : en fouillant une immense malle au grenier à la recherche de vieux vêtements pour servir de costumes de scène, il découvre des documents racontant la famille de sa mère et, surtout, il apprend que son père n’est pas décédé.

On imagine l’émotion ressentie et la cascade de questions qui lui viennent. Les adultes qui l’entourent lui ont menti sans jamais laisser le moindre doute à son esprit. Sa mère, certes, mais aussi ses grands-parents dont il est si près. Son grand-père est, en quelque sorte, la figure paternelle de remplacement et les liens qu’ils ont tissés entre eux sont de cette nature au point où, plus tard, il l’imaginera être son père.

Stéphane les confronte. Ses grands-parents disent qu’ils sont sans nouvelles de leur fils qu’ils croient vivre à l’étranger. Les choses sont plus compliquées du côté de sa mère : la fameuse malle contenait une photo de la famille Gaspari, originaire de Sicile; outre les parents décédés, elle semble avoir trois sœurs : Maria, Simonetta et Giuletta. De Giuletta Gaspari à Juliette Gaspar, il n’y a qu’un pas franchi par les parents – de guerre lasse des moqueries faites aux immigrants italiens venus en France pour travailler dans les mines – en francisant nom et prénom. Le sort de ses grands-parents maternels ressemble un peu à celui de Jorge et Telma aussi venus en France de leur Portugal natal pour trouver de meilleures conditions de vie, lui en tant que maçon.

Stéphane n’est pas un ado rebelle, mais un garçon tenace. C’est ainsi qu’il absorbe le coup et entreprend discrètement la recherche de son père. Bon élève, il ne trouve pas de profession ou de métier qui le satisfasse pour de prochaines études. Avant de faire ce choix, il part pour la Sicile retrouver le territoire de sa famille maternelle, peut-être même une de ses tantes qui y vivrait. Avant son départ, grand-père Jorge lui offre un appareil photo pour qu’il puisse amasser des souvenirs de ce premier long voyage au pays de ses ancêtres. Ce présent s’avère déterminant pour Stéphane; non seulement prend-il plaisir à faire de la photo, mais il s’inscrit à des cours de photographies dès son retour en France.

Ce voyage en Sicile est aussi l’occasion de goûter des vins du terroir de l’île italienne, dont ceux que son grand-père lui a conseillés, lui qui a commencé l’éducation aux vins de son petit-fils. Lors de la visite d’un lieu historique, Stéphane rencontre une jeune guide touristique dont le talent de vulgarisatrice le charme. De fil en aiguille, ils se revoient et, lors d’un flirt, le garçon constate que Claudia a un grain de beauté du côté des seins comme sa propre mère. Cela refroidit ses ardeurs et le pousse à demander à la jeune femme le nom de sa mère, une certaine Maria. Fréquentant des cousins de Juliette depuis son arrivée sur l’île, voilà que le hasard lui fait rencontrer sa tante que sa propre mère n’a pu retrouver.

De retour en France, il raconte ses aventures siciliennes dont sa rencontre imprévue avec sa cousine et sa tante. Les cours de photos confirment son intérêt pour cet art et il continue de le pratiquer durant son service militaire, ce passage obligé qui ne l’enchante pas. Pourtant, il forme avec quelques camarades un joyeux noyau de bidasses et certains d’entre eux deviennent de vrais amis.

Déplacé d’un centre militaire à l’autre, il termine son service dans la région de Bordeaux. Il éprouve un véritable coup de cœur pour ce territoire où il vient s’établir. Qui dit le bordelais, dit grands crus. Jorge a déjà instruit son petit-fils sur des maisons mythiques, des appellations et des vins bien faits selon des traditions centenaires. Pour le vieil homme, le vin n’est pas une question de prestige, mais de respect du terroir et de la culture propre aux divers cépages. Cette règle, immuable dans l’esprit de Jorge comme des producteurs avec lesquels il transige, s’applique également à celle que Jacques Orhon respecte dans tous ses ouvrages de référence.

Après l’armée, Stéphane termine ses études de photographie, trouve du travail de pigiste dans un journal, tout en étant conseillé dans une maison des vins. Une adéquation entre photographie professionnelle et connaissances viticoles prend racine chez lui. En conjuguant ces deux compétences, il voyage dans les différentes régions françaises et italiennes pour faire des photos remarquables et remarquées, tout en élaborant et diversifiant sa palette de goûts et ses connaissances des terroirs.

Vous comprenez que le néologisme du titre de cette chronique, « Voyage en Œnologie », fait de la science des vins un pays qui fait image de la vie de Stéphane. Encouragé très tôt par son grand-père, puis par ses rencontres professionnelles et des amitiés qui se tissent d’un vignoble à l’autre, le héros du roman baigne littéralement en terre vigneronne.

Ayant très peu d’expérience des jeux de l’amour et du hasard, Stéphane éprouve une certaine crainte de la relation amoureuse en pensant à ses propres parents jusqu’à sa rencontre de Patricia, responsable des événements pour un producteur bordelais. Le temps fait à nouveau son œuvre, Patricia et lui forment un couple, partageant les aléas du quotidien, les moments d’intimités et les soupers bachiques entre amis. La famille suit quelques années plus tard avec la naissance de Laura, puis de Henri. Tout ce temps, la trame du roman alterne entre les voyages et les visites professionnelles, et la vie de famille. Le décès de papi Jorge et l’incroyable héritage légué à Stéphane entretiennent le souvenir de son enfance.

Malgré tout, il n’a jamais totalement cessé de rechercher son père. Finira-t-il par le trouver et d’ainsi comprendre l’ultime chapitre qui manque à son histoire? Faites confiance à Jacques Orhon qui se révèle un habile conteur sachant retenir l’attention du début à la fin. Certes, il y a une condition au plaisir que procure la lecture du roman Les fruits de l’exil : être intéressé, voire passionné de tout ce qui concerne les vins. Ce roman peut même être une forme d’initiation à ce sujet, comme si le sommelier nous faisait faire une tournée remarquable des grandes caves comme de plus modestes en soulignant chaque fois que nécessaire la nature des terroirs et des cépages.

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