Gilles Archambault
Sourire en coin ou les ruses de l’autodérision
Montréal, Boréal, 2020, 128 p., 18,95 $.
L’abonné absent
Imaginer que la vie soit un virus intraitable et que vous ayez atteint les 87 ans, on fera tout pour que vous n’attrapiez pas ce mal. Comment pourriez-vous alors survivre à ce drame existentiel insoluble? C’est un regard oblique sur l’existence fragile d’un malade de la vie que propose Gilles Archambault dans un nouveau récit intitulé Sourire en coin ou les ruses de l’autodérision.
Cet écrivain n’a de cesse de
publier depuis Une suprême discrétion, son premier roman paru en 1964 au
Cercle du livre de France, cette maison fondée par le regretté Pierre Tisseyre.
Citant Montesquieu, l’auteur note : «"J’ai la maladie de faire des
livres et d’en être honteux quand je les ai faits." Pour ma part, je ne
serais pas honteux, mais inquiet.» Or, cette inquiétude est au cœur de ce Sourire
en coin.
S’il épingle la nature de son
propos, identifié comme étant un récit, il donne l’illusion d’avoir d’abord eu le
projet d’écrire un roman. C’est pourquoi le narrateur – auquel Gilles Archambault
s’identifie, lui prêtant même certains traits de sa personnalité publique – arrive
à Saint-Malo, en Bretagne, où il a loué une chambre d’hôtel, hors les murs, sur
la côte de la Manche, prétextant ce roman en devenir. Mais aussi, surtout peut-être,
pour revenir dans un lieu où il a séjourné autrefois avec son épouse en-allée.
Le narrateur rassemble quelques
éléments qui peuvent lui servir à mettre en chantier son projet : l’attente
d’un taxi sous la pluie devant la gare de la SNCF, ses observations des gens faisant
comme lui dont Kim, une jeune Malienne dont il épie l’échange verbal avec un compagnon
d’infortune. Il apprend ainsi qu’elle séjourne dans la Ville Corsaire pour
prendre soin de Lydia Larionov, une concertiste retraitée.
Kim et Lydia deviennent ainsi les
personnages d’une histoire incomplète qui sert, au mieux, de pivot au récit de
divers souvenirs que l’écrivain raconte. Ces souvenirs assemblés composent une
mosaïque dont l’ensemble brosse une fresque d’événements sublimés de l’existence
du narrateur, les uns amenant les autres.
De la même façon, la citation de
Cesare Pavese, placée en exergue, met en surbrillance la toile imaginaire sur
laquelle repose la fresque : « Il y a quelque chose de plus triste
que rater ses idéaux : les avoir réalisés. » Cette image douce-amère convient
tout à fait à celle que Gilles Archambault cultive de lui-même d’un livre à l’autre.
N’oublions pas cependant qu’il ne faut jamais confondre le narrateur d’une
fiction et l’auteur, car, même s’ils semblent être des jumeaux identiques, ils s’inventent
tous les deux au fur et à mesure de la trame.
Trente-et-un récits brefs forment
la mosaïque et lui donnent les couleurs des sujets abordés, l’écriture étant la
dominante. S’y ajoute la teinte des auteurs qui ont marqué les lectures du
narrateur et celle que ce dernier cultive, livre après livre, sans pouvoir s’arrêter
et, comme il l’écrit, « dans lesquels j’évoque mon étonnement de vivre. »
Ce voyage à Saint-Malo, réel ou
imaginaire, l’a amené à décider de ne plus écrire de roman, car, selon lui :
« Il est normal qu’on se désintéresse de ce que peuvent inventer les vieux
écrivains. » Il a également entrepris de se délester de livres et de CD
pour laisser le moins possible d’objets à ses enfants dont ils choisiront ou
non de se débarrasser. Ce ménage aura un effet bénéfique : « Mon
appartement me paraît plus accueillant depuis qu’il est presque vide. » "Place
nette" est un titre approprié pour ce segment de la fresque, tout comme "Yannick
Rieu" pour illustrer que « Pour la première fois depuis des mois, la
musique me transporte. Je n’ai plus quatre-vingt-six ans, je suis revenu
cinquante ans en arrière… »
Je mentionnais plus haut que plusieurs
des pièces de la mosaïque illustraient des auteurs que le narrateur a aimé
fréquenter. Figurent sur cette liste Alain Grandbois, Balzac, Stendhal et Henri
Calet dont le narrateur raconte les liens que leurs œuvres ont établis avec le
lecteur qu’il était, selon les époques ou les circonstances, et qui leur ont donné
de l’importance. L’intérêt de ces souvenirs littéraires permet de constater une
certaine influence que ces plumes ont pu avoir sur l’alter ego de G.A., des points
de vue qu’il a intégrés à sa personnalité créatrice.
Vouloir filtrer tous les passages
de Sourire en coin ou les ruses de l’autodérision dans lesquels le narrateur
met en cause son habitude d’écrire, la considérant presque comme une tare, ne
serait rien d’autre qu’un copier-coller du livre. Ce n’est pas la première fois
que Gilles Archambault s’interroge et sur le nombre d’ouvrages écrits au fil
des ans, et sur le besoin intrinsèque qu’il a de s’adonner à cette activité
intellectuelle devenue comme l’eau du moulin. Il va de soi que "Pourquoi j’écris",
"Les écrivains" ou "Écrivain prolifique" sont des passages
plus directement reliés à l’écriture, comme celui intitulé "Salon du livre".
Cependant, les cellules de la mosaïque évoquées permettent à l’écrivain d’être
plus critique envers lui-même et envers l’institution dont il préfère aujourd’hui
se tenir éloigné, sans pour autant négliger ses rares amis. Le thème de l’écriture
littéraire serait incomplet s’il n’était pas question des critiques; ce mal
nécessaire que sont ces derniers ne semble plus l’atteindre : « Je n’attends
rien des recensions qui saluent la publication de mes livres… S’avouer auteur d’un
livre est déjà l’expression d’une étrange autosatisfaction. » Puis, de
dire : « Le seul critique que je me reconnais est François Ricard,
mon conseiller littéraire depuis plus de quarante ans. »
Je ne peux terminer cette recension
sans surligner avec insistance ce qu’Archambault appelle « les ruses de l’autodérision ».
L’expression se résume à dire qu’il a fait de cette manifestation d’humour son
pain et son beurre, sinon un trait significatif de sa personnalité… littéraire.
Plus que jamais, me semble-t-il, G.A. justifie cette forme d’humour de soi qui
masque une timidité qui pourrait être étouffante s’il n’y avait pas cet écran
protecteur. Ai-je raison de dire que je vois là un lien direct avec le jazz
dont il est un connaisseur de haut niveau?
Sourire en coin ou les ruses
de l’autodérision sera-t-il le dernier ouvrage de Gilles Archambault? Égoïstement,
j’espère que non, car ce serait nous priver de cette plume capable de fondre en
divers élans le regard oblique que l’écrivain jette sur ses semblables et sur l’art
qu’il pratique avec un plaisir renouvelé. Jouissif, allais-je écrire. S’il paraît
conscient que ses romans, ses récits, ses chroniques et ses articles de presse
ne passeront pas à la postérité, ce mot ayant été rayé du vocabulaire de nos
contemporains, il n’en croit pas moins faire œuvre utile, cela dit avec modestie.
Je lis et recense de l’écrivain Archambault depuis la parution de Parlons de moi, en 1980. D’un livre à l’autre, je renouvèle le plaisir de trouver une voix, la sienne, si souvent entendue à la radio, aux modulations sans cesse renouvelées, la ligne musicale demeurant la même. Comme un air de jazz, quoi!
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