mercredi 3 juin 2020

Mira Falardeau
L’art de la bande dessinée actuelle au Québec
Québec, PUL, coll. « Arts et Études », 2020, 186 p., 29,95 $ (papier et numérique).

Au confluent de tous les arts

Si je suis un enfant de la télé – j’avais 5 ans lorsque les boîtes à image sont entrées dans les chaumières –, je suis aussi enfant des « comic strips » que publiaient autrefois les hebdos nationaux. Je me rappelle de Ferdinand, de Mandrake le magicien ou de Dick Tracy et sa montre téléphone. Puis, ce furent les bédés belges ou françaises, de Michel Vaillant à Spirou et Fantasio, de Tintin à Astérix. Sans oublier mon sauveur Gaston Lagaffe. Bien avant ces personnages, les caricatures et les bédés des Québécois Albéric Bourgeois et Albert Chartier ont fait dire à certains observateurs que leurs œuvres sont à l’origine de la bédé.



Il y a donc une véritable génétique de la bande dessinée québécoise que Mira Falardeau recense et analyse depuis longtemps. Elle a consacré à son histoire et à ses créateurs près d’une dizaine d’ouvrages dont le plus récent, L’art de la bande dessinée actuelle au Québec.
L’essayiste énonce d’entrée de jeu son projet : « C’est à cet art merveilleux de la BDQ, bande dessinées québécoise, que je veux rendre hommage dans ce livre. J’ai choisi 30 artistes qui me semblent intenses et talentueux… Ces artistes sont représentatifs de trois générations et sont classés du plus âgé au plus jeune. Pour chacun, une biographie détaillée sera suivie d’une analyse approfondie d’une page complète tirée d’un album. Pourquoi cette analyse? Parce qu’à travers cette dissection, le lecteur sera invité à saisir toutes les nuances de ce langage de la BD, à la confluence de toutes les formes d’art : à la fois cinématographique, théâtralité, prouesse graphique, jeux d’ombres et de lumière, art du dialogue, acrobatie du mouvement, musicalité des onomatopées, emphase des mimiques, subtilité romanesque et narrative. »
Ambitieuse entreprise, penserez-vous, que l’autrice est néanmoins parvenue à réaliser avec brio, car ce livre s’inscrit dans une démarche entreprise au début du millénaire et qui est constante et globale depuis. Cette vaste rétrospective de l’univers bédéisque québécois actuel est d’abord présentée sur l’état des lieux de la publication des œuvres, des éditeurs aux événements ou autres activités qui y sont rattachés, en passant nécessairement par les revues qui y sont consacrées en tout ou en partie.
Impossible qu’il n’y soit pas question de Croc (1979-1995) et de Safarir (1987-2016). L’essayiste souligne avec justesse que ces périodiques ont permis « cette espèce de synergie, une énergie qui non seulement entraîne les auteurs à se dépasser, stimulés les uns par les autres, mais qui suscite aussi la naissance de grands talents, qui n’auraient peut-être jamais germé sans ces milieux propices. » Ce n’est donc pas étonnant que plusieurs bédéistes venus l’une ou l’autre des ces revues fassent partie des 30 artistes retenus par Mira Falardeau aux fins d’une analyse.
Si l’âge d’or des revues à grand tirage est peut-être révolu, il faut savoir que des imprimés underground ou des périodiques, tel Nouveau projet ou Lettres québécoises, font paraître quelques pages de bédé associée à un thème précis.
Du côté des maisons d’édition, elles foisonnent. Initiative de bédéistes ou d’éditeurs passionnés, on a vu poindre La Pastèque, Mécanique Générale, PowPow et Glénat-Québec. Des éditeurs littéraires comme L’Oie de Cravan et Alto ont aussi cédé au chant des sirènes de la bédé, comme ces autres qui publient l’annuel de caricaturistes comme André-Philippe Côté ou Serge Chapleau. Tout cela sans compter la horde de dessinatrices et dessinateurs de chez nous qui a envahi Internet.
Autres mises en perspective proposées par Mira Falardeau, celles considérant les genres et les artisans. Tous ceux dont elle retient les œuvres sont ou Québécois ou ont publié au Québec depuis le début du millénaire. Du côté des genres, elle rappelle que : « L’humour est le genre par lequel la BD est née, à l’origine dans les strips des quotidiens : en 1904, Les Aventures de Timothée d’Albéric Bourgeois paraissaient dans La Patrie… » Il y a eu l’abandon de cette pratique dans les années 1910 au profit des « syndicates » états-uniens, ces agences qui diffusaient les mêmes strips à travers tous les journaux du continent. Cela a eu pour effet de ralentir le développement embryonnaire de la bédé d’ici, ce qui a plus tard favorisé l’invasion des revues et albums belges ou français.
Malgré cela, il y a eu de nouveaux bédéistes et des parutions confidentielles dont les sujets étaient ou plus intellectuels ou représentatifs de groupes marginaux. Puis, le roman graphique connaît un certain essor après d’autres contrées. Mais, entretemps, la bédé d’aventure et les comics se sont constitué un lectorat important et diversifié alimenté par un bon nombre de créateurs.
Toujours dans la mise en contexte initiale, Mira Falardeau traite de l’avant-garde : « Une coquetterie d’auteure m’a donné le goût de donner un qualificatif à chacun des auteurs underground, lesquels sont souvent des artistes de grand talent, très courageux de nager ainsi à contrecourant. » Il y le graffiteur prolifique, Leif Tande; le clown triste, Pishier; la poétesse intello, Julie Delporte; l’artiste multicolore, Catherine Ocelot; l’originale envolée, Geneviève Castrée; le photographe éclaté, Marc Tessier; le fanzineux illuminé, Simon Bossé; l’écrivain déjanté, Alexandre Fontaine-Rousseau; l’auteur surdoué, David Turgeon; le copilote polyvalent, Vincent Giard.
Impossible de ne pas souligner l’importance de la bédé pour la jeunesse, même si les artistes qui en sont les champions n’ont pas été retenus considérant que la bédé jeunesse est un genre en lui-même. C’est pourquoi, Mme Falardeau trace à grands traits une rétrospective historique des origines à aujourd’hui, en insistant sur les créatrices et créateurs actuels.
Personnellement, trois autrices illustratrices me viennent spontanément à l’esprit : Mireille Levert, Élise Gravel et Annie Groovy. D’abord, parce que leur œuvre est vaste et riche et s’adresse à plusieurs groupes d’âge. Puis, parce qu’elles ont un lien avec la région : Mireille est originaire du côté de Napierville, Élise a un papa qui a enseigné au cégep et qui est lui aussi écrivain, Annie parce que j’affectionne particulièrement Léon, son gentil cyclope et qu’elle visite régulièrement nos écoles.
La troisième partie de L’art de la bande dessinée actuelle au Québec est entièrement consacré aux trente artistes que l’autrice a choisis pour représenter l’état actuel des lieux. « Chaque artiste, par ordre chronologique de naissance, va occuper l’avant-scène avec une biographie illustrée de sa photo, suivie d’une page complète de l’un de ses meilleurs albums, analysée en détail pour en faire ressortir les points forts. L’ensemble des portraits forme un tout destiné d’abord à illustrer la diversité et le talent des créateurs d’ici, mais aussi, dans un propos plus large, à démontrer la vitalité de cet art dans notre pays et son originalité en tant qu’art global. »
Si je ne m’aventure pas à donne la liste complète, ou même partielle, des bédéistes retenus, je précise, comme l’a fait Mira Falardeau, que le vocabulaire utilisé pour décrire ou analyser leurs œuvres tire ses origines des multiples formes d’art qui inspirent la bédé « ou sont en osmose avec cet art original ». On n’est donc pas surpris que la terminologie du théâtre, du cinéma, de la littérature, du dessin, de la gravure, du dessin animé puisse être utilisée de façon appropriée, car la bédé « est l’art syncrétique par excellence. »
Si une passion peut être communiquée par l’écriture, Mira Falardeau y est parvenue au point de rendre à la bédé son titre mérité de 9e art. Je ne doute pas pour autant que l’essayiste poursuivra ses démarches d’études et d’analyses sur son sujet de prédilection et qu’elle nous fera partager à nouveau le fruit de ses observations et de ses recherches.

1 commentaire:

  1. https://podcasts.apple.com/ca/podcast/vous-avez-dit-bd/id1363348132?l=fr&fbclid=IwAR0qDkBOIO_OhtpvTo1NBXhfCSyl2izBCjZCq67i7GaPJEyXTuy80Kvp1bs#episodeGuid=https%3A%2F%2Fwww.librairiezbookstore.com%2FPodcastGenerator_VADBD%2F%3Fname%3D2020-06-09_episode_33_art_de_la_bd.mp3

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