Claire Hélie
La robe sans corps, Montréal, Les Herbes rouges, coll.
« Roman », 2020, 160 p., 18,95 $ (papier), 13,99 $
(numérique).
Laissez-moi vous raconter
Claire Hélie, après la parution
de Quelqu’un t’a touché, un recueil de poésie paru à la même enseigne en
2013, s’est aventurée dans les avenues que lui inspiraient les personnages d’un
premier roman, La robe sans corps. Nul doute, nous sommes bien dans son Chicoutimi
natal et sa rue Racine, mais nous sommes surtout dans l’univers de la P’tite,
une gamine d’une dizaine d’années à l’imagination si inspirante que son
entourage en vient à la suivre dans un univers inconnu de tous.
Cette histoire me semble une
allégorie ou même un conte tellement la fantasmagorie des interactions entre les
personnages les éloigne de leur quête initiale pour y revenir sans prévenir, un
peu comme le ressac de la mer ou même les marées, qu’on peut s’y perdre si on
veut aller trop vite en brisant le rythme qu’impose, avec un certain art, la
romancière.
Qui donc raconte les aventures de
la P’tite et des siens, de la Grande et des siens, de Gilo et des siens réels
ou inventés? Généralement, ce sera la P’tite, mais, comme pour nous éloigner de
son imagination ou de sa réalité au quotidien, une voix hors champ prend le relais
pour nous ramener dans la vérité du temps qui passe avant de remettre le témoin
à l’enfant.
La P’tite a deux sœurs, une mère
besogneuse et un père cordonnier. Le rôle de chacun est clairement déterminé et
se joue avec la régularité d’une horloge, chaque jour de la semaine ayant un
horaire fixe. Cela semble trop rigide pour la benjamine et, malgré l’affection
manifeste de sa mère et celle plus latente de son papa, elle cherche par tous
les moyens à se distinguer. Mais, il lui faut d’abord vaincre sa timidité.
Du côté de la Grande, les choses
sont tout autres. Sa mère et sa grand-mère la cajolent et lui fournissent tout
ce que sa préadolescence réclame. Son oncle, vicaire émancipé de la paroisse, lui
sert de figure masculine depuis longtemps, car son père a quitté le foyer
familial quand elle était toute jeune. Pourquoi? C’est secrètement ce qu’elle
cherche à savoir, sa quête qui traverse tout le roman.
Puis, il y a le Vieux, un artiste
qui habite le quartier depuis longtemps et autour duquel on a développé une aura
mystérieuse que la P’tite est curieuse de percer. Il y a aussi madame Madore
qui dirige la Maison de la culture; c’est elle qui va révéler les liens entre
la P’tite, la Grande et le Vieux comme le développateur utilisé autrefois dans
les labos de photographie.
Les 27 séquences de La robe
sans corps ne sont pas une suite d’événements et d’actions en continu, chacune
étant comme un tableau dans un ensemble qui constitue la trame de l’histoire.
Pour souder ces éléments qui peuvent sembler épars sans l’être, Claire Hélie a
imaginé huit intermèdes, des interludes inspirés par les séquences qui précèdent.
Ces pauses jouissent d’un ton poétique dont l’intensité varie selon les moments
de l’action narrative.
La quête de la P’tite n’est autre
que de vaincre sa timidité en imposant ses rêves et en les réalisant à travers
des projets qui, de prime abord, peuvent sembler démesurés. Il y a son désir de
connaître le Vieux et d’entrer dans sa maison dont elle veut percer ce qu’elle
croit être un mystère. Cela se produira tôt dans le récit et une œuvre de Gilo,
le vieil artiste, la surprendra plus que tout. La relation entre l’enfant et le
Vieux sera d’emblée excellente.
La P’tite a l’occasion de revenir
fréquemment chez l’artiste pour satisfaire sa curiosité, mais aussi pour
accompagner Mme Madore qui projette une exposition de ses œuvres à la Maison de
la culture, ce qui n’a pas été fait depuis des lustres. Ces visites de la
gamine lui apprennent que Gilo a eu une sœur, Loreli, une artiste décédée, et
un neveu Jocelyn que tous appellent Josse. Elle comprendra au fur et à mesure les
liens qui unissaient le frère et la sœur, et l’affection que Gilo porte à son
neveu. Elle apprendra également que la grand-mère de la Grande, Alvine, connaît
Gilo depuis toujours.
N’oublions pas la Grande, l’autre
dimension d’une amitié entre enfants. Plus confiante en elle-même que son amie,
surtout parce que très bien entourée, la Grande entre dans les jeux de la P’tite
qui l’aide à ne pas perdre les plaisirs de son enfance, hypothéquée par la séparation
de ses parents. C’est d’ailleurs sa volonté de renouer avec son père qu’elle
confie à sa camarade et que cette dernière imagine un scénario, un pacte pour
qu’elle parvienne à ses fins.
Qu’est-ce que « la robe sans
corps » du titre? C’est non seulement le titre d’une séquence, mais c’est
surtout le récit que Gilo en a fait à la P’tite dont l’imagination sans cesse
en ébullition a décidé d’en changer le cours. Ce sera encore l’occasion pour l’autrice
de laisser l’enfant vieillissant en plein délire créatif dont le talent et le savoir-faire
seront bientôt reconnus.
Je soulignais plus tôt que ce
roman tient plus de l’allégorie tirant profit d’une suite d’événements bien
ficelée qui permet aux personnages de réaliser leur quête en parvenant à réunir
autour d’eux ceux qui leur tiennent à cœur. Il me faut ajouter à cet assemblage
d’événements, parfois étonnants, à la fin heureuse que le ton poétique de La
robe sans corps exige. Oui, la P’tite et la Grande ont droit au bonheur lequel
se réfléchit sur celles et ceux qui les entourent. En cette époque de morosité,
il fait bon se laisser emporter par la prose de Claire Hélie.
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