Marie-Ève Lacasse
Autobiographie de l’étranger
Montréal, Flammarion Québec, 2020, 184 p., 26,95 $ (papier),
19,99 $.
Quête d’identité ou image de soi
Marie-Ève Lacasse fait paraître
son quatrième roman dont le titre souligne, à l’encre rouge, son projet d’écriture :
Autobiographie de l’étranger. Était-ce simplement l’intitulé d’un livre
ou l’autrice propose-t-elle un album d’images choisies de son existence? Et ce
mot « étranger », fait-il référence à un pays lointain ou à la
difficulté à se reconnaître soi-même?
Relisant mes notes sur Ainsi
font-elles toutes, premier roman paru en 2005 sous le pseudonyme de Clara
Ness, une phrase semble annonciatrice du nouvel opus : « Au fur et à
mesure que se déroule l’histoire, le caractère de chacun des personnages se
nourrit de sa propre existence et de leurs rapports intellectuels et physiques.
Ou comme le résume la narratrice : " Peut-être que je ne suis
jamais sortie de mon adolescence. J’ai une connaissance instinctive de l’amour,
mais elle se limite à une spéculation intellectuelle, plus ou moins issue de la
littérature et d’expériences extérieures aux miennes que d’une réelle expérience
du corps. "»
Puis, il y a eu Genèse de
l’oubli l’année suivante. À propos du deuxième roman, j’écrivis : « Si
on a parlé de la « manière Philippe Sollers », soulignant l’allure
générale de son premier récit, le nouveau roman de Clara Ness me semble plus
personnel dans l’écriture et plus intime dans ce qu’il raconte. »
Tous ces éléments narratifs se
retrouvent dans l’autobiographie parfois polis, parfois brouillons ou encore
démultipliés en se jouant du temps dont l’arrivée à Paris de la narratrice, qu’on
présume être l’autrice puisqu’elle raconte sa vie réelle ou imaginée, est l’année
zéro. Elle joue aussi des lieux, l’Atlantique étant le marqueur de distance entre
ses deux cultures, celle de son enfance et celle de ses expériences en Hexagone.
Ce livre me fait penser à une
gerbe de fleurs, un bouquet dont la composition a autant de couleurs que d’odeurs
dont on ne perçoit pas toujours distinctement les parfums. Il y a bien sûr les
teintes de la vie de la narratrice, comme celles qui représentent sa fillette ou
Olivia sa compagne. La coloration de la morosité est appliquée à petites touches
sur la vie banlieusarde de sa propre enfance et la grisaille qui lui semble
couler sur la vie de couple de ses propres parents.
Ce qui noue ce bouquet, c’est l’écriture
d’un roman, La Fête, qui, je crois, peut très bien être celui qu’on lit,
le titre n’étant pas nécessairement en lien direct avec le propos. C’est l’autrice
elle-même qui m’amène à cette conclusion : « Est-ce que les révélations
de cette autobiographie ne sont pas indécentes, est-ce qu’autour des
instruments de l’"aveu" il n’y a pas, comme l’écrit Foucault, l’origine
du pouvoir? En me dévoilant je rends vulnérable, et maintenant que je me révèle
on pourrait me détruire autant que je détruis. »
Cette mise en abyme devient en
quelque sorte la ligne du temps, un temps brisé par un va-et-vient entre le présent
et le passé, même antérieur. La division de la trame en 94 segments de longueur
variable, certains marqués par une brisure, parfois nette parfois indistincte,
du propos du discours narratif. Je me suis ainsi demandé si, parfois, l’autobiographe
s’adresse à nous ou à elle-même. Tout cela est pourtant conséquent et cette coupure
du fil est rattrapée plus loin dans le récit.
Lorsqu’il est question de sa
fille, la narratrice semble devoir justifier sa relation hétérosexuelle alors
que son éducation familiale, puis dans un collège de filles l’ont amené à faire
un choix plus éclairé que spontané. Ceci interpelant cela, ses relations
humaines ont tendance à être soupesées à l’aune des personnes qu’elle
rencontre. Le modèle parental est bien sûr évoqué et même analysé (ou psychanalysé),
car il est en lien avec la fuite du Canada de la biographe après un bref séjour
en France à l’âge de 14 ans suite à un premier prix littéraire remporté. Comme
d’autres l’ont écrit : tout est dans tout chez Marie-Ève Lacasse.
Cette Autobiographie de l’étranger
semble marquer un virage déterminant dans la vie de l’écrivaine, un bilan de sa
vie à l’aube de la quarantaine. Sévère à l’égard d’elle-même, elle n’épargne
personne de son entourage sentimental. Ses parents d’abord avec qui, une
maturité nouvellement acquise, elle se permet une harmonie jusque-là inconnue. Il
y a aussi Olivia, sa compagne, rappelant les points d’ancrage de leur vie de couple
comme leurs différences, aussi tranchés les uns que les autres.
On peut comprendre l’étranger du
titre, je l’ai suggéré plus haut, comme le point d’observation d’un continent à
l’autre. La narratrice est une étrangère pour ses relations françaises, mais
aussi pour celles qu’elles croisent lorsqu’elle est de passage au Canada. Cela
est manifeste dans la question de la langue : elle a voulu gommer à jamais
le discours du français québécois pour s’affranchir d’un autre au diapason d’un
temps nouveau, comme si sa langue maternelle était la tare d’une génétique post
colonialiste. Si bien que lorsqu’elle est au Québec, on l’entend aussi comme une
étrangère. Même sa fillette se rit d’elle quand elle ne comprend pas un mot du
lexique de chez nous
C’est ce même phénomène colonialiste,
inversé cette fois, lorsqu’elle s’intéresse à la politique canadienne, au
génocide des Amérindiens et de la pensée américaine de Justin Trudeau; son
jugement est altéré par la perception hexagonale du Canada presque inchangée
depuis le mythe du bon sauvage imaginé par Jean-Jacques Rousseau au
dix-huitième siècle.
Autobiographie de l’étranger
n’a pas la même rigueur formelle de Peggy dans les phares (2017), une
biographie inventée de la compagne discrète de Françoise Sagan. Cela se
comprend, car l’autobiographie, même sous forme de roman, n’est toujours qu’une
suite d’images choisies parmi les albums d’une vie, ici d’environ 40 ans. Il
est ainsi rare qu’un tel livre insiste ou simplement mentionne des aspects de
son existence dont l’auteur est peu ou pas fier, c’est pourtant ce que fait M.-È.
Lacasse avec un certain plaisir masochiste, comme le récit de jeux qu’enfant elle
a pratiqués avec des amies jusqu’à leur nubilité.
La narratrice, ou l’autrice, est
un être complexe pour qui, croit-elle, seuls la littérature et l’acte d’écrire comptent.
Elle s’en est fait une telle histoire qu’elle y croit toujours et ne cesse de rappeler
tout au long du roman comme s’il s’agissait d’un mantra qui évoque une religion
de soi, ici un doute existentiel. Cela l’empêche, en quelque sorte, de jouir de
l’existence, de la relation avec sa fille (prétextant que sa mère ne fut pas un
modèle), avec son amoureuse qui la quitte et ses parents qu’elle a laissés derrière
et qu’elle retrouve un peu justement grâce à son enfant.
La liberté des uns cesse lorsqu’elle entrave la
liberté des autres, dit-on. Il en va de même entre la réalité intrinsèque et la
fiction narrative. C’est pourquoi je crois nécessaire de mettre en perspective tous
les éléments retenus par l’auteur, l’autrice d’une autobiographie. Où se trouve
la frontière entre Marie-Ève Lacasse et la narratrice d’Autobiographie de l’étranger?
Je l’ignore et cela n’a aucune importance dans la mesure où la narration participe
aux plaisirs de lire l’ouvrage. Si cet opus est moins linéaire, plus touffu que
les précédentes narrations, c’est justement parce que son corpus est plus riche
en rebondissements imprévisibles parce qu’appartenant à l’intime.
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