Catherine Perrin
Trois réveils
XYZ, coll. « Romanichels », 2020, 192 p., 19,95 $
(papier), 15,99 $ (numérique).
La musique donne du sens à la vie
Femme de musique derrière son
clavecin, femme de parole derrière son micro et maintenant femme de lettres derrière
un autre clavier. Elle se nomme Catherine Perrin et, après Une femme
discrète (Québec Amérique, 2014) où elle raconte sa mère, elle s’aventure dans
une avenue aux périls semblable à la création musicale, la voie libre de la
fiction. Bienvenu dans l’univers d’Antoine, l’âme trouble de cette histoire.
Un mot avant d’ouvrir Trois réveils
sur la participation des musiciens à la littérature québécoise. Outre la pléthore
d’auteur-compositeur-interprète de talent que compte notre répertoire, je
connais peu de musiciens classiques qui s’adonnent à la création littéraire,
tous les genres confondus. J’ai beau fouillé dans ma mémoire puis sur la toile,
et le seul nom qui me vienne à l’esprit est celui de Pierre Châtillon. Ce poète,
romancier et essayiste, écrit également des quatuors de musique classique. Et
maintenant, Catherine Perrin s’amène.
Imaginez-vous abord d’une nacelle
ou à la télécommande d’un drone qui vous fait voyager au-dessus de l’univers d’Antoine,
un jeune homme que vous rencontrez au moment où il est en proie à une chimère
surréaliste : comment « sauver le monde par la musique ». Si
absorbé par cette révélation, il ne voit pas l’automobile qui vient vers lui,
provoquant un accident dont il se remettra longtemps après grâce à un chirurgien
inspiré qui sauvera sa jambe en fort piteux état.
Après cette mise en situation, accrocheuse,
disons-le, nous entrons dans le quotidien du jeune homme pour y apprendre, avec
des retours en arrière qui éclairent de plus en plus sa personnalité, ses
passions comme ses obsessions. Il est musicien de rue, particulièrement du métro
de Montréal où il fait quelques représentations quotidiennes jouant du hautbois
sur un scénario imaginé mettant en vedette son instrument, mais aussi un serpent
de caoutchouc dont la pantomime retient le regard des passants.
Il faut savoir que son père, et celui
de sa jeune sœur Ariane, est un mélomane qui a insufflé sa passion à son fils.
C’est lors d’une visite du Conservatoire de Québec, là où Catherine Perrin a,
entre autres, étudié, qu’il choisit d’étudier le piano. Ce « sera [là] à
la fois un laboratoire humain et une plongée dans un monde d’une exigence
folle. Une première tranche, sur quelques années, de ces fameuses dix mille heures
qu’on dit devoir consacrer à quelque chose, si on veut atteindre l’excellence. »
« C’est [aussi] là, dans ce
studio bien isolé, loin de la maison familiale, que s’opère le phénomène
nouveau qu’il espérait : la musique l’habite, traverse son corps pour
prendre vie. » Ce petit miracle se bute vite à cette « maudite perfection »
qu’on attend de lui et qui, rapidement, le rend presque impuissant devant le
clavier de son instrument. Au hasard d’une pratique, il croise un camarade qui
joue du hautbois, lui demande d’essayer l’instrument et, après quelques conseils,
il joue spontanément au grand dam de ce collègue.
Antoine transfère alors ses connaissances
musicales au service du hautbois. Un jour, Geneviève, une violoniste, lui propose
de jouer le concerto de Bach pour hautbois et violon. « À la fin du mouvement,
ils savent » qu’une connivence musicale et un embryon d’amour se sont installés
entre leurs dix-sept ans. Cette relation gagne d’assurance jusqu’aux vacances.
Elle les passe à Québec, lui au chalet familial dans Charlevoix. À la rentrée,
Antoine a changé, son regard n’est plus le même et il fume beaucoup de cannabis.
Geneviève ne sait que faire ni à qui se confier. Hélas, son compagnon
« quittera le Conservatoire fin février, pour un premier séjour en
psychiatrie. »
Revenons au début du récit. « Après
la dernière tempête — des mois de houle culminant à l’accident — après l’hôpital,
il a un matin décidé de reprendre l’instrument. » Il s’est aussi remis à
la fabrication des anches, ces languettes de bois essentielles aux hautboïstes,
un travail minutieux et exigeant. Ce souci du détail, il le met aussi au service
de Sarah, une amie de longue date qui pratique le chant classique. Geneviève,
a-t-il appris, a quitté le monde de la musique pour celui de la médecine.
La relation de Sarah et d’un chef
d’orchestre marié inquiète Antoine, mais il fait confiance la vitalité de son
amie pour tirer son épingle du jeu. Le temps passe, Antoine joue du hautbois
dans le métro et accumule des objets disparates ramassés sur la rue avant le
passage des éboueurs. L’autrice donne à voir son appartement ainsi bondé et la
lente montée de sa prochaine « grande envolée maniaque ». Oui, le
lecteur le moindrement attentif a compris qu’Antoine est bipolaire, maniaco-dépressif
comme on disait.
Petit à petit, le musicien parvient
à mieux contrôler son état de santé sans pour autant changer son mode de vie
très austère. On le voit aussi au chalet de sa sœur dans les Laurentides, puis auprès
de ceux qu’il a rencontrés lors de ses prestations dans le métro. À ce jour, la
relation avec son père a toujours été compliquée, voire acrimonieuse. Arrive la
maladie de ce dernier au moment où ils ont réussi à établir des liens plus
harmonieux : l’aîné a cessé de mettre le poids de ses attentes sur le dos
de son fils, ce dernier pouvant observer la sérénité de son père écoutant la
musique des grands compositeurs.
Si la dernière partie de Trois
réveils nous ramène à l’événement initial, l’accident d’Antoine, elle est surtout
consacrée à la fin de la vie du père. Cette situation, aussi dramatique
soit-elle, permet au père et au fils de régler de vieux conflits que ni leur
personnalité ni leur intérêt, notamment leur rapport avec les femmes, ne leur
ont permis. Antoine comprend la relation pleine de turbulences de ses parents,
la fragilité psychologique de sa mère qui l’emportera, les nombreuses aventures
amoureuses du père et l’origine de son bagage identitaire, entre émotion et
rationalité.
Catherine Perrin me semble avoir
puisé dans son expérience familiale, de la fin de vie de son entourage et du
récit qu’en fait le personnel des unités des soins palliatifs afin de donner le
ton à ces passages où l’émotion, aussi vive soit-elle, reste sobre et sans
pathos inutile. Si bien que lorsque Antoine et son père partagent des moments
uniques, sachant qu’ils ne pourront être répétés, il y a quelque chose de
réconfortant, comme si une douce quiétude enveloppait les deux hommes et donnait
le ton à la séquence.
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