Louis-Philippe Hébert
Essais cliniques aux laboratoires Donadieu
Montréal, Lévesque éditeur, coll. « Réverbérations »,
2020, 232 p., 28 $.
Le poids du temps qui passe
Après avoir fait paraître des
nouvelles, un roman poème et un recueil de poésie en 2019, le prolifique
Louis-Philippe Hébert a lancé, à la veille de l’arrêt pandémie, Essais
cliniques aux laboratoires Donadieu, un livre composé de six nouvelles
littéraires.
Lisant cet opus, je me suis demandé
encore une fois s’il est possible que la littérature de l’imaginaire soit presciente?
Qu’un auteur puisse avoir la faculté de connaître l’avenir et qu’il en trace le
contour en décrivant une situation non avenue, mais tout à fait plausible? Nul
doute, car c’est ce genre de présage que l’écrivain conçoit dans le premier et le
dernier récit du recueil.
La première histoire porte le poids
de ces essais cliniques consistant à trouver des cobayes humains qui acceptent
de mettre à l’essai remède, traitement ou équipement médical moyennant un cachet
attirant. Ici, le narrateur collabore à une expérience mené par le labo Donadieu,
nom aussi évocateur que sarcastique. Nous le suivons à travers les dix-neuf
séquences de son aventure, ses soupçons et tous ces combats d’un esprit en
constante ébullition, sa plus grande bataille étant de rencontrer un des « chologues »
et « leur colonoscopie de l’esprit ». Il en arrive à la certitude qu’on
lui a implanté une bombe à retardement dans le cerveau qui fera « boum »
quand le mécanisme sera déclenché comme celui d’une mine antipersonnel. Mais son
contrat ne se terminera ainsi, il le sait, mais de façon beaucoup moins
glorieuse que de donner son corps à la science.
« La Fuck you » raconte
l’histoire de Taiyō qui habite Tōkyō. Nous suivons le garçon qui a une peur viscérale
constante de tout. Comment vaincre ce mal qui le rend impuissant à l’action? La
violence devient son allié, d’abord en détruisant des jouets et en répandant les
pièces pour qu’on s’y blesse. Plus tard, il empoisonne le chien d’un camarade
et en éborgne un autre. Taiyō redoute « que ce monde qui n’était pas fait
pour toi finisse pas avoir ta peau avant que tu n’aies la sienne. » Un
jour, il trouve la solution : se joindre à une entreprise de nettoyage de
la centrale de Fukushima, celle qu’avec ses collèges de travail ils appelaient « la
Fuck You » grâce à laquelle arriverait le « Fuck All ».
La narratrice de « Here and Now »
déteste voyager. Paradoxalement, cette obèse travaille dans un aéroport où elle
accueille les passagers qui évitent de trop la regarder à cause de son poids. Survient
un accident cocasse où l’image d’elle-même est inversement proportionnelle à la
réalité : l’ascenseur dans lequel elle se trouve décroche et la cabine
descend très rapidement. Il faut une[JC1]
grue pour la sortir de là, ce qui ne l’empêche pas de remarquer un client qu’elle
« trouve tellement de mon goût, celui-là, que je le mangerais. »
Le narrateur de « Et si c’était
réversible? » est un auteur qui, un jour, rencontre un écrivain
sud-américain doté d’une particularité physiologique remarquable : il n’a
jamais cessé de grandir malgré son âge. L’essentiel du propos n’est pas là,
mais d’une visite que le Québécois fait à son oculiste qui préfère qu’on le dise
optométriste. L’examen de la vue, précédé de quelques tests faits avec un
appareil de pointe, amène le spécialiste à conclure que non seulement son
client ne perd pas la vue, mais qu’il retrouve l’acuité visuelle de sa jeunesse.
Surpris et satisfait du diagnostic, l’écrivain saute dans sa Mercedes et, en
sortant du garage sous-terrain, ébloui par le soleil, il ne voit pas le poids
lourd qui roule en sa direction. RIP : le retour à la jeunesse aura été de
courte durée.
« Séjour à Providence avec
Mortimer » raconte le road trip en direction de la capitale du New Hampshire,
Providence, de deux lascars partis se recueillir sur la tombe de Howard Philips
Lovecraft, écrivain états-unien célèbre et célébré pour ses récits
fantastiques, d’horreur et de science-fiction. Tout de cette nouvelle est sous
le signe de l’amusement ironique tant par les situations dans lesquelles les
deux compères se retrouvent que par la légèreté du ton de leurs échanges, même
lorsqu’ils sont sérieux. Tout de cette nouvelle me semble en marge des autres
récits du recueil aussi bien dans le ton du discours littéraire et qu’un
certain bonheur de vivre de ses personnages.
Enfin, « Le virus de la
fatigue » est bien, comme je l’écrivais précédemment, un regard futuriste
d’un événement que nous connaissons maintenant. Bon, nous ne sommes pas dans le
copier-coller des bulletins d’information en continu, mais dans le domaine de l’observation
clinique d’« Un mal qui répand la terreur, / Mal que le ciel en
sa fureur / inventa pour punir des crimes de la terre », qui n’est
pas la peste ni le coronavirus, mais la fatigue. En trente et une séquences,
nous assistons à l’éclosion et au développement de la maladie jour après jour
et à la dégradation progressive de la population qui en est atteinte. Le
narrateur conclut ainsi : « Je crois que ces pages seront mes
dernières pages de notes. La Première Guerre mondiale fut une véritable boucherie,
je le sais. Les livres d’histoire en sont remplis. […] La Seconde Guerre mondiale laissa libre cours
à un bel instinct de mort. Nous vivons à nouveau une épuration. […] "Ce n’est
qu’un mauvais moment à passer", répondent les élus. » À lire en
période de confinement, cette histoire peut, mais ne doit pas inquiéter puisque
des scientifiques prévoyaient une éventuelle pandémie comme la covid-19.
Si j’ai retrouvé le verbe imaginatif de
Louis-Philippe Hébert dont on le sait capable, j’ai cependant observé une atmosphère
plus sombre inscrite, même différemment, dans chacune des nouvelles. Une exception :
« Séjour à Providence avec Mortimer »; comme si ce voyage au pays de
Lovecraft avait été une récréation distractive du poids du temps qui passe,
impuissant que nous sommes à le retenir un peu, beaucoup ou à la folie.
Attendons maintenant poésies ou fictions narratives, ou je ne sais quoi d’autre
que proposera L.-P. H.
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