Marie-Andrée Lamontagne
Anne Hébert, vivre pour écrire
Montréal, Boréal, 2019, 560 p., 39,95 $.
La timide et mystérieuse Anne Hébert
Mémoires, autobiographie et
biographie ont tous le même but: raconter la vie et l’œuvre d’une personne ayant
laissé sa marque dans l’espace public. Chez nous, des biographies d’auteurs
sont parues récemment, dont Gabrielle Roy, une vie (Boréal, 1996) de
François Ricard et Gaston Miron, la vie d’un homme (Boréal, 2011) de
Pierre Neveu.
Une écrivaine dont l’œuvre protéiforme
méritait qu’on s’attarde longuement à sa vie et sa carrière pour comprendre, entre
autres, qu’elle a choisi de « vivre pour écrire ». Vous aurez compris
qu’il s’agit d’Anne Hébert, la plus grande écrivaine de sa génération.
Outre deux monographies – celle de
Pierre Pagé parue chez Fides en 1965 et celle de René Lacôte parue chez Seghers
en1969 – et les nombreuses études consacrées à sa poésie ou ses romans, nul
ouvrage pour raconter la vie privée, secrète diront certains, de cette femme qui
a longtemps vécu à Paris où elle a écrit la plupart de ses œuvres.
Voilà enfin que, sous la plume de
l’écrivaine, éditrice et journaliste Marie-Andrée Lamontagne, paraît Anne
Hébert, vivre pour écrire. En entrevue, l’autrice met son travail en
perspective : « Une quinzaine d’années [dix ans de recherche et cinq de
rédaction]. Tel est le temps que j’aurai mis à donner forme à cette idée qui s’était
imposée un jour avec la force de l’évidence: écrire la vie d’Anne Hébert. »
Aussi bien l’écrire tout de suite : cette biographie se lit comme un roman
et l’autrice est très respectueuse de la vie privée à laquelle tenait tant Mme
Hébert en nous aidant à comprendre cet entêtement.
On reconnaît depuis toujours la
beauté, la grâce timide et la discrétion légendaire de l’écrivaine. Je peux en témoigner
l’ayant croisée lors d’un événement littéraire et à l’occasion des funérailles de
Rina Lasnier. La même question insoluble m’est alors venue : comment une
femme d’une telle délicatesse peut-elle avoir écrit Le torrent, récit de
la violence d’une mégère à l’endroit de son fils?
Le travail long et patient de Mme
Lamontagne a porté fruit. La biographie qui en résulte trace non seulement le
portrait d’une femme écrivaine, mais brosse une fresque d’une époque, de tout
ce qui lie la vie d’Anne Hébert à son œuvre, voire de son œuvre à sa vie personnelle
et privée. C’est là un des aspects importants du livre, car il nous permet de
mieux comprendre l’environnement familial, social et culturel dans lequel l’autrice
des Fous de Bassan a grandi et évolué, et qui a fait qu’elle est devenue
la femme secrète qu’elle a été.
Les indiscrétions de certaines biographies
m’ont laissé bouche bée, car elles étaient sans lien avec l’œuvre de celle ou
celui dont on raconte la vie ou ce qui l’a engendrée. Je crois que si des éléments
de la vie privée d’un artiste permettent une meilleure compréhension de ses œuvres,
ils font partie intégrante de sa démarche créative. Deux exemples tirés de l’ouvrage
de M.-A. Lamontagne illustrent ce point de vue : on savait qu’un diagnostic
médical erroné de tuberculose avait fait perdre cinq années de sa vingtaine à
Anne Hébert et l’avait obligé à se forger un caractère bien trempé pour
protéger son espace vital et sa santé qui sera toujours fragile. L’autre
exemple est aussi connu, mais la mise en contexte qu’en fait la biographe lui
donne encore plus de poids : le décès de son cousin Hector de Saint-Denys Garneau,
à l’âge de 31 ans, l’a bouleversé, car elle et lui entretenaient une amitié
profonde et partageaient une passion d’écrire loin de l’institution littéraire
et de la vie publique exigée des écrivains.
La vie en société ne déplaisait
pas à Anne Hébert dans la mesure où elle pouvait protéger son espace vital. Les
divers appartements qu’elle a habités à Paris, à Menton ou à Amboise chez son
ami Roger Mame ne sont pas des palaces, mais sont emménagés avec goût, pour un
confort sans luxe. Il en va de même pour les gens qu’elles fréquentent :
outre sa garde rapprochée qui compte une douzaine de personnes et de couples,
il y a ses éditeurs français et québécois. À ce chapitre, A.-M. Lamontagne trace
un tableau qui me semble fort juste de la dynamique des liens France-Québec. Je
pense ici à Claude Hurtubise qui publia Anne Hébert tôt dans sa carrière. Or,
Hurtubise fut un confrère de collège de Saint-Denys Garneau au collège
Sainte-Marie et de ceux qui l’ont encouragé à publier. Plus tard, c’est le même
Hurtubise qui s’associa aux éditeurs Mame et Hatier pour fonder les éditions
HMH.
Je pourrais continuer ainsi d’anecdote
en anecdote, m’arrêtant sur tel événement ou telle rencontre plus importante
dans la vie d’Anne Hébert, mais toujours cela serait relié à son œuvre écrite.
N’oublions pas le titre de la biographie qui résume parfaitement aussi bien la
femme que le personnage public qu’elle fut : Anne Hébert, vivre pour
écrire.
Marie-Andrée Lamontagne a fait un
travail énorme, et, ma foi, il était temps alors que des témoins de l’époque qu’elle
raconte sont toujours en vie et que leur mémoire est vive. Si l’organisation de
l’abondante documentation dont elle a disposé ne laisse rien au hasard et
replace dans le temps et l’espace tous les éléments du récit biographique, c’est
aussi que la biographe a su réunir deux de ses talents, celui de journaliste et
celui d’écrivaine. C’est ainsi qu’Anne Hébert passe de la personne timide et
discrète à un personnage enjoué au centre des scènes choisies parmi celles de
sa propre existence. Parfois même, j’ai eu l’impression que tel ou tel passage avait
été soufflé à l’oreille de Mme Lamontagne par celle qui était devenue son égérie
après toutes ces années à la fréquenter.
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