Dominique Fortier et Rafaële Germain
Pour mémoire : petits miracles et cailloux blancs
Québec, Alto, 2019, 176 p., 23,95 $ (papier),
14,99 $ (numérique).
Miroir convexe, miroir concave
Deux femmes vouent un respect pour
leurs œuvres respectives. Dominique Fortier est écrivaine et traductrice; elle
est aussi la mère de Zoé. Rafaële Germain est autrice et chroniqueuse; sa fille
se prénomme Zaza. Un jour, une connaissance commune fait qu’elles se rencontrent,
la magie s’opère et un projet de création s’invite: écrire à quatre mains Pour
mémoire: petits miroirs et cailloux blancs.
DF – j’emploie les initiales – n’en
est pas à sa première expérience du genre, ayant collaboré à l’écriture de Révolutions
(Alto, 2014) avec Nicolas Dickner. Du côté de RG, outre ses romans inspirés du
mouvement chick lit et son inoubliable essai Un présent indéfini :
notes sur la mémoire et l’oubli (Atelier 10, 2016), elle a un long
répertoire de collaborations à divers projets télévisuels.
Inspirer par Paris pour mémoire
recueil de dessins de Gabriel Davioud dressant l’inventaire pictural des bâtiments
parisiens devant être détruits lors « des grands travaux haussmanniens »
(1852-1870), elles ont «voulu sauver, dans ce qui [les] entoure, une chose par
jour, image, parole, ou oiseau, à l’épingler sur le papier avant qu’elle ne s’évanouisse».
En prologue, elles décrivent le
terreau de leur jardin littéraire, puis, en préambule, chacune se situe dans le
temps et dans l’espace: RG dans sa demeure au bord d’une rivière, au chalet de ses
parents à Lachute ou en République dominicaine; DF à Scarborough, sur les bords
de l’Atlantique, ou chez elle à Outremont. Ces lieux comme les heures du jour
sont de véritables personnages tant ils font partie de leurs réflexions et que,
parfois, ils cachent ces petits miracles qu’il faut retenir.
Il y aussi des vrais personnages:
Zaza et PA, la fille et l’époux de RG; Zoé et Fred, ceux de DF. Rafaële G. n’hésite
pas à parler de sa famille, habituée qu’elle est de la vie publique: on croise donc
Francine Chaloult sa mère, Georges Hébert-Germain son défunt père, une tante,
etc. Cela n’a rien du name dropping, mais cela manifeste la fierté d’être leur
fille et d’entretenir de forts liens filiaux. Dominique F. est plus discrète et,
hormis son conjoint et sa fille, elle ne fait pas référence à ses proches,
sinon lors du décès de son premier amoureux et que la nostalgie est comme une grande
vague semblable à celles dont elle observe le ressac tous les jours.
L’exercice auquel DF et RG se
sont livrés n’est pas une mince affaire car, outre l’obligation d’écrire, ce
qui ne semble pas un poids pour elles, l’existence n’est jamais un long fleuve
tranquille et ce "petit miracle" qui gomme la banalité du quotidien n’arrive
pas où et quand on l’attend. Heureusement, il y a les mots d’enfant qui sont de
la poésie spontanée. En même temps, ces petits riens révèlent plein de choses
sur chacune d’elles, sur leur univers, leur vie familiale, leur relation avec
leur entourage ou leur art.
J’ai noté, entre autres, l’attention
et l’intérêt que portent RG ou DF à leur fille comme maman et écrivaine, rappelant
que la conciliation travail famille n’est pas plus simple quand on travaille
chez soi. Pas étonnant alors que les sentiments soient aux couleurs des émotions
de ces femmes.
Vouloir comparer l’écriture de
Rafaële Germain et Dominique Fortier serait faire fausse route en contournant,
maladroitement d’ailleurs, la chasse aux trésors d’instants du quotidien qu’autrement
on aurait oubliés et à laquelle elles s’adonnent. Pour mémoire n’étant pas
un dialogue, il ne faut pas chercher une suite dans leurs propos, sinon que
chacune répond à une interrogation posée quelques pages avant.
Il m’arrive de ne rien noter dans un livre, sa
matérialité en faisant aussi un objet d’art (papier, graphisme, police de
caractères, illustrations, etc.); il en va ainsi de ce projet d’Antoine Tanguay
et de l’équipe des éditions Alto. Or, il y a tant de perles dans ce coffre aux
trésors que je me suis approprié la prose des autrices en les soulignant. C’est
peu dire.
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