mercredi 4 septembre 2019

Patrick Lafontaine
Roman
Montréal, Pleine lune, 2019, 128 p., 20,95 $.

Dessiner l’âme humaine

Qui du professeur de littérature dans un collège montréalais, de l’éditeur au Noroît, du poète, et, maintenant, du romancier occupe le plus d’espace dans le quotidien de Patrick Lafontaine? Je l’ignore, mais je crois que toute cette vitalité se retrouve dans Roman, paru en avril dernier.



Puisque la poésie est un mode de vie, la trame de cette histoire ne pouvait en être privée, car c’est un peu la préoccupation de l’écrivain. Il me semble avoir pris la prose narrative à brasse-corps pour s’en approprier les codes sans gommer ceux du poète. Il prête à ces lois un rôle qui dynamise certains passages ou quelques péripéties. Des lignes en exergue ici, des fragments de vers là : rien n’est laissé au hasard du destin de son héros.
Ce dernier n’est autre que le double imaginaire du romancier. Or, ce n’est pas parce qu’un personnage porte le nom de son créateur qu’il est celui-ci quand il entre dans la dimension de la fiction.
Nous montons à bord de la vieille Plymouth Acclaim de Patrick Lafontaine qui, en compagnie de PaulMa, son chien, fait un « road trip » de cinq jours, en direction de San Francisco où il va retrouver Diane, installée là-bas pour le travail. S’il n’a pas accompagné son amoureuse lors de son départ, c’est que leur vie de couple battait de l’aile, car il refusait qu’ils aient un enfant.
Est-ce la distance qui a fait réagir Patrick-narrateur? Nous découvrons par la suite, grâce à un jeu d’aller-retour entre le présent du voyage et le passé démultiplié, les vraies raisons qui l’ont amené à faire ce voyage initiatique.
Clin d’œil littéraire amusé : il a nommé son chien PaulMa pour saluer Paul-Marie Lapointe, poète québécois dont l’œuvre était au centre de sa recherche doctorale.
Le premier segment du livre est fait de rappels de sa rencontre avec Diane et de la description de son état d’esprit actuel : « … à quarante-deux ans, je suis devenu un homme qui a besoin des autres – la preuve en est que je m’apitoie sur mon sort, que je m’ennuie, que je souffre… Ce quelqu’un que je suis devenu te laissera-t-il tomber? Que suis-je pourtant si je ne t’aime? »
C’est l’occasion pour Lafontaine, le personnage, de situer son rapport à la littérature et aux livres dont le « trailer » à l’arrière de l’auto est rempli, car « le livre s’avère le seul être à qui m’abandonner complètement sans relâche. » On comprend ainsi pourquoi il ne supporte pas ceux qui interprètent et émasculent les œuvres de leur seul petit point de vue, comme la recension que vous lisez maintenant.
Sur l’écran du souvenir que la route dresse devant lui, défile le court-métrage relatant sa rencontre avec Ivanna. Madame Lioudbimovka lui raconte avoir fui la Russie et son mari mafieux pour protéger son fils Roman, un élève de Lafontaine. Le titre du livre est donc un jeu entre l’assonance du nom commun – roman, genre littéraire ou langue dérivée du latin vulgaire – et du prénom originaire de Hongrie que l’auteur évoque comme un paravent pour cacher des événements qui le troublent.
Le narrateur a une brève liaison avec Ivana qui juge ainsi son aptitude de prendre soin de Roman quand elle repartira pour la Russie. Patrick se retrouve, ébaubi, avec un fils qu’il n’a jamais voulu. La relation père-fils est un thème récurrent du roman, comme celle mère-fils qui ghettoïse son rapport aux femmes. Cela évoque aussi le lien affectif que le narrateur entretient avec le chalet de ses parents où vivent tant de souvenirs.
Tout ce que le narrateur voit sur la route ou dans les replis du souvenir s’entremêle. Les longues heures au volant accentuent un mal de dos, le rendant insupportable au point de ne plus bien sentir ses jambes. Cette douleur l’oblige à faire une longue halte à quelques centaines de kilomètres de sa destination.
Mais avant, le narrateur raconte un séjour au chalet en compagnie de Roman. C’est là un des passages les plus poétiques du roman, mais aussi des plus troubles. Le devoir de veiller sur le jeune homme dont il a été investi remet en question sa relation avec les femmes et la paternité qu’il refuse. La présence de Roman dans ce non-lieu qu’est la maison de campagne familiale ébranle ses convictions. Que veut vraiment son invité? Que cherche-t-il à lui dire? Le doute s’installe quand lui et son hôte se laissent aller à une relation homosexuelle comme pour briser le schéma de leur relation et l’insécurité affective de chacun d’eux. La situation tourne au cauchemar quand Roman s’aventure dans les eaux du lac et s’y noie malgré le secours de son professeur, de son père imaginaire, de son amant d’une nuit.
De retour sur la route, P. L. passe quelques jours dans un motel miteux où ses maux de dos et de jambes l’emprisonnent. Cette halte l’oblige à mettre en perspective les raisons de son départ pour la Californie. Il découvre alors que tout ce chemin était devenu une obligation après le passage de Roman dans sa vie, comme si ce garçon lui avait rendu une part de son enfance et lui, une part du monde des adultes.
Patrick Lafontaine a fait œuvre d’artisan de l’âme humaine en imaginant Roman et en explorant les avenues que la quarantaine permet ou oblige. Quitter l’enfance et ses replis qu’il n’a jamais fouillés et encore moins effacés, devenir l’adulte jamais assumé comme un homme pensant et vivant : voilà l’essence du « road trip » de ce premier roman, un voyage intérieur jusque dans l’intimité de l’être sur le ton de la poésie qui coule dans les veines de l’écrivain.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire