Patrick Lafontaine
Roman
Montréal, Pleine lune, 2019, 128 p., 20,95 $.
Dessiner l’âme humaine
Qui du professeur de littérature
dans un collège montréalais, de l’éditeur au Noroît, du poète, et, maintenant,
du romancier occupe le plus d’espace dans le quotidien de Patrick Lafontaine? Je
l’ignore, mais je crois que toute cette vitalité se retrouve dans Roman,
paru en avril dernier.
Puisque la poésie est un mode de
vie, la trame de cette histoire ne pouvait en être privée, car c’est un peu la
préoccupation de l’écrivain. Il me semble avoir pris la prose narrative à
brasse-corps pour s’en approprier les codes sans gommer ceux du poète. Il prête
à ces lois un rôle qui dynamise certains passages ou quelques péripéties. Des
lignes en exergue ici, des fragments de vers là : rien n’est laissé au hasard
du destin de son héros.
Ce dernier n’est autre que le double
imaginaire du romancier. Or, ce n’est pas parce qu’un personnage porte le nom
de son créateur qu’il est celui-ci quand il entre dans la dimension de la fiction.
Nous montons à bord de la vieille
Plymouth Acclaim de Patrick Lafontaine qui, en compagnie de PaulMa, son chien,
fait un « road trip » de cinq jours, en direction de San Francisco où
il va retrouver Diane, installée là-bas pour le travail. S’il n’a pas accompagné
son amoureuse lors de son départ, c’est que leur vie de couple battait de l’aile,
car il refusait qu’ils aient un enfant.
Est-ce la distance qui a fait réagir
Patrick-narrateur? Nous découvrons par la suite, grâce à un jeu d’aller-retour
entre le présent du voyage et le passé démultiplié, les vraies raisons qui l’ont
amené à faire ce voyage initiatique.
Clin d’œil littéraire amusé :
il a nommé son chien PaulMa pour saluer Paul-Marie Lapointe, poète québécois
dont l’œuvre était au centre de sa recherche doctorale.
Le premier segment du livre est fait
de rappels de sa rencontre avec Diane et de la description de son état d’esprit
actuel : « … à quarante-deux ans, je suis devenu un homme qui a
besoin des autres – la preuve en est que je m’apitoie sur mon sort, que je m’ennuie,
que je souffre… Ce quelqu’un que je suis devenu te laissera-t-il tomber? Que
suis-je pourtant si je ne t’aime? »
C’est l’occasion pour Lafontaine,
le personnage, de situer son rapport à la littérature et aux livres dont le « trailer »
à l’arrière de l’auto est rempli, car « le livre s’avère le seul être à
qui m’abandonner complètement sans relâche. » On comprend ainsi pourquoi il
ne supporte pas ceux qui interprètent et émasculent les œuvres de leur seul petit
point de vue, comme la recension que vous lisez maintenant.
Sur l’écran du souvenir que la
route dresse devant lui, défile le court-métrage relatant sa rencontre avec
Ivanna. Madame Lioudbimovka lui raconte avoir fui la Russie et son mari mafieux
pour protéger son fils Roman, un élève de Lafontaine. Le titre du livre est donc
un jeu entre l’assonance du nom commun – roman, genre littéraire ou langue
dérivée du latin vulgaire – et du prénom originaire de Hongrie que l’auteur évoque
comme un paravent pour cacher des événements qui le troublent.
Le narrateur a une brève liaison
avec Ivana qui juge ainsi son aptitude de prendre soin de Roman quand elle repartira
pour la Russie. Patrick se retrouve, ébaubi, avec un fils qu’il n’a jamais
voulu. La relation père-fils est un thème récurrent du roman, comme celle mère-fils
qui ghettoïse son rapport aux femmes. Cela évoque aussi le lien affectif que le
narrateur entretient avec le chalet de ses parents où vivent tant de souvenirs.
Tout ce que le narrateur voit sur
la route ou dans les replis du souvenir s’entremêle. Les longues heures au
volant accentuent un mal de dos, le rendant insupportable au point de ne plus
bien sentir ses jambes. Cette douleur l’oblige à faire une longue halte à
quelques centaines de kilomètres de sa destination.
Mais avant, le narrateur raconte
un séjour au chalet en compagnie de Roman. C’est là un des passages les plus
poétiques du roman, mais aussi des plus troubles. Le devoir de veiller sur le
jeune homme dont il a été investi remet en question sa relation avec les femmes
et la paternité qu’il refuse. La présence de Roman dans ce non-lieu qu’est la maison
de campagne familiale ébranle ses convictions. Que veut vraiment son invité?
Que cherche-t-il à lui dire? Le doute s’installe quand lui et son hôte se
laissent aller à une relation homosexuelle comme pour briser le schéma de leur
relation et l’insécurité affective de chacun d’eux. La situation tourne au
cauchemar quand Roman s’aventure dans les eaux du lac et s’y noie malgré le
secours de son professeur, de son père imaginaire, de son amant d’une nuit.
De retour sur la route, P. L.
passe quelques jours dans un motel miteux où ses maux de dos et de jambes l’emprisonnent.
Cette halte l’oblige à mettre en perspective les raisons de son départ pour la
Californie. Il découvre alors que tout ce chemin était devenu une obligation après
le passage de Roman dans sa vie, comme si ce garçon lui avait rendu une part de
son enfance et lui, une part du monde des adultes.
Patrick Lafontaine a fait œuvre d’artisan de l’âme humaine
en imaginant Roman et en explorant les avenues que la quarantaine permet
ou oblige. Quitter l’enfance et ses replis qu’il n’a jamais fouillés et encore
moins effacés, devenir l’adulte jamais assumé comme un homme pensant et vivant :
voilà l’essence du « road trip » de ce premier roman, un voyage
intérieur jusque dans l’intimité de l’être sur le ton de la poésie qui coule
dans les veines de l’écrivain.
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