Jean Royer (1938-2019)
Lettre à un ami en-allé
L’amitié arrive à tout âge, sans prévenir.
Aujourd’hui, ce sentiment est banalisé sur les réseaux sociaux, pays de l’instantanéité
et l’éphémère où son importance n’est que numérique.
Je suis de la vieille école pour
qui la voie de l’amitié est parallèle à celle de l’amour. Si se faire des amis
est l’apanage de la jeunesse, les amitiés du deuxième ou du troisième âge sont plus
rares, mais plus précieuses parce qu’on en mesure l’importance et la fragilité.
Jean Royer est entré dans ma vie entre
les pages de Pays intimes. Entretiens 1966-1976 (Leméac, 1976), recueil proposant
25 rencontres avec des créateurs québécois dont la relation fut choisie parmi celles
publiées dans L’Action-Québec et Le Soleil. Il y a ajouté des échanges,
alors récents, avec Michel Garneau, Gérald Godin et Félix Leclerc. Ce recueil m’a
fait connaître le journaliste qui a hissé l’entretien à un autre niveau que le
simple compte rendu en explorant l’intime de la créativité de chacune et chacun.
Des années plus tard, j’ai
rencontré Jean au Salon du livre de Montréal, au stand de l’Hexagone qu’il
dirigeait. Qu’est-il arrivé ce jour-là pour que nos atomes s’accrochent spontanément,
sinon un petit miracle de l’existence où la chimie des êtres s’installe et ne
demande qu’à être entretenue.
Nous avons pris l’habitude, au
cours des dernières années, de dîner ensemble une fois par saison, tantôt chez
Tasso, tantôt au Café Cherrier. Généralement, nous nous rencontrions à la Librairie
du Square où Jean avait ses habitudes. C’était l’occasion de bavarder avec les
propriétaires et que mon ami me suggère des recueils de poésie parus récemment.
Parfois, si la température le permettait, nous allions aiguiser notre appétit
en déambulant dans le square Saint-Louis, ce parc qu’il connaissait par cœur. Ainsi,
un jour où Jean était en verve, j’ai eu le privilège d’une visite guidée des demeures
bordant l’ilot de verdure où musiciens, écrivains ou journalistes ont vécu dont
Pauline Julien et Gérald Godin, mais surtout Gaston Miron, l’ami intime de Jean.
Je le répète : marcher le square en sa compagnie était un voyage
passionnant, voire initiatique.
C’est au cours de nos rencontres que
j’ai découvert l’homme discret, timide même, qu’était Jean, sauf quand il était
question de poésie. Il avait alors la volubilité de l’écrivain qu’il était dont
l’univers foisonnait d’images diverses, bien ancrées dans la vie quotidienne. Pour
lui, tout était affaire de perception et la façon de Jean d’appréhender l’existence
et ses aléas était de l’ordre de la poétique.
Il m’a aussi appris à lire la
poésie à travers nos conversations, mais aussi à travers les pages de son Introduction
à la poésie québécoise et de cette remarquable suite qu’est L’arbre du veilleur
dont le quatrième tome paraîtra, à titre posthume, aux éditions du Noroît, à l’automne
2019.
Je suis encore interloqué par le
travail qu’il a effectué entre la première et la deuxième édition d’Introduction
à la poésie québécoise. Ayant fait une lecture parallèle des deux essais, j’ai
pu mesurer le chemin parcouru par la poésie québécoise en 20 ans, la maturation
de l’art poétique d’ici semblable à celle d’un arbre dont les strates s’accumulent
au fil des ans et qu’apparaissent de nouvelles branches et de jeunes boutures.
Jean s’en est allé doucement, discrètement
comme il a vécu depuis le décès de sa compagne, l’écrivaine Micheline La France,
en 2014. Son état de santé s’est dégradé au-delà des soins qu’on lui prodiguait,
le deuil de son amoureuse et l’écriture de son ultime essai ont fait le reste.
Merci Jean d’avoir été et de
demeurer ce compagnon qui m’a appris l’essence de la poésie, cet art de vivre où
on perçoit le quotidien bien plus loin que l’urgence du moment, ce que tu résumes
ainsi : « Les mots seront / Mon dernier recours »
puisque « Né dans le ventre des mots, tu as fait du poème ton corps de
mémoire. »
Crédit photo: Mathieu Rivard
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