mercredi 18 septembre 2019

Dominique Payette
Les brutes et la punaise : les radios-poubelles, la liberté d’expression et le commerce des injures
Montréal, Lux, coll. « Lettres libres », 2019, 152 p., 19,95 $.

La bravoure des anonymes

Relisant mes notes de lecture du récent essai de Dominique Payette, journaliste et professeure au Département d’information et de communication de l’Université Laval, Les brutes et la punaise : les radios-poubelles, la liberté d’expression et le commerce des injures, je me suis demandé si, en appliquant une grille d’analyse semblable à celle de l’autrice, je n’arriverais pas aux mêmes conclusions en utilisant le discours de l’actuel locataire de la Maison-Blanche et de quelques autres ténors de la pensée unique.



En effet, comme le résume la quatrième de couverture, ce livre « dissèque le phénomène des radios de confrontation, connues sous le quolibet de "radios-poubelles" ». On lit ensuite que l’essayiste « y analyse la frontière ténue qui sépare le journalisme d’opinion et manipulation politique, et livre ce salutaire rappel: si les médias ont le droit de prendre position, voire de soutenir des idées politiques, il est de leur devoir de le faire dans le respect des faits et, surtout, en laissant à leur public la liberté de ne pas être d’accord avec eux. »
Dominique Payette appuie son étude sur diverses observations du Groupe de travail sur le journalisme et l’avenir de l’information au Québec qu’elle a dirigé en 2010. À cela s’ajoute les grandes lignes de son rapport de cherche sociologique, L’information à Québec, un enjeu capital (2015), disponible sur le site Internet de l’Université Laval.
Plus je lisais Les brutes et les punaises, plus la comparaison avec le discours médiatique de l’actuel président états-unien et consorts me semblait aller de soi. Une seule voix, la sienne, était la vérité et les autres diffusaient des faussetés que les électeurs ne devaient ni écouter ni croire. Ses cibles, comme celles des radios de confrontation, sont des groupes clairement identifiés, pour ne pas dire ciblés : les noirs, les latinos, les migrants et les immigrants, celles et ceux qui les défendent.
J’écris ces lignes quelques jours après la double tuerie du début d’août. Le président les justifie l’horreur de ces gestes en considérant les responsables comme des malades mentaux. Quand on évoque que la tuerie d’El Paso, une ville texane à la frontière du Mexique, est un crime raciste, qu’il y a une résurgence du suprémacisme blanc aux États-Unis, le chef d’État ne peut le nier sans pour autant reconnaître qu’il a lui-même alimenté et entretenu ce feu de forêt social, par exemple en tenant des propos racistes à l’endroit certaines élues démocrates et tous les migrants de la planète.
Donald Trump est un hors-la-loi qui, loin de s’en repentir, s’en tape les cuisses. Le drame, ce qui donne régulièrement envie de brailler dans les bras de sa mère, c’est d’assister, impuissants, à ce grand-guignol. C’est de contribuer à légitimer un détournement de sens, un pillage de la démocratie, du simple fait que cet homme a été dûment élu. C’est de constater que les règles démocratiques sur lesquelles Trump crache impunément lui confèrent, ô misère, une certaine normalité. Même chassé du trône, l’effet corrosif de l’homme risque d’imprégner l’air encore longtemps. " écrivait Francine Pelletier dans un billet d’humeur intitulé « La révolution culturelle de Donald Trump », paru dans Le Devoir du 7 août 2019, qui résume à lui seul tout ce qu’on dit et écrit sur cet homme.
De retour au Québec, Dominique Payette rappelle le privilège que nous avons de vivre en démocratie dont la liberté d’expression est un des piliers. Qui dit liberté, dit devoirs inhérents, ce qui semble aller de soi depuis des lustres. Or, Internet fait problème en devenant un lieu sans foi ni loi où on peut dire ou écrire tout et son contraire dans une même phrase sous le couvert de l’anonymat. Cela permet, hélas, à certains de contourner les balises que la démocratie s’est données en matière de liberté d’expression.
Les ténors de la radio de confrontation de la Capitale nationale se sont fait couper la parole par le CRTC et leur tentative de sévir sur Internet semble avoir échoué. Doit-on pour autant y réguler la liberté d’expression comme certains dirigeants le suggèrent? L’autorégulation ne suffit-elle pas en démocratie?
L’étude de Dominique Payette apporte autant de questions que de réponses. En ce qui a trait à la pratique des radios-poubelles de la ville de Québec, sa position est sans équivoque : il faut que cela cesse. Quant à la résurgence d’une droite ou même d’une extrême droite sociopolitique, il faut tristement constater sa montée planétaire dans des pays démocratiques. J’y vois même une analogie avec les problèmes environnementaux, notamment le réchauffement climatique que certains remettent en question d’une canicule à l’autre.

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