mercredi 1 mai 2019

Gilles Archambault
Tu écouteras ta mémoire : cent très brefs récits
Montréal, Boréal, 2019, 136 p., 18,95 $.

Enchâsser dans l’espace des souvenirs

Il suffit d’un coup d’œil dans le rétroviseur de mes chroniques hebdomadaires pour constater à quel point Gilles Archambault, l’écrivain et passionné de jazz, y occupe une place de choix. Tout iconoclaste et misanthrope qu’il se prétend être, ses proses — romans, récits, nouvelles ou carnets — laissent voir un humaniste pour qui ses semblables ne font pas toujours preuve de justice naturelle entre eux. À mon avis, l’auteur est un fin observateur du genre humain et un critique impitoyable de ses bêtises.




Tu écouteras ta mémoire, son plus récent opus, propose 100 récits d’une ou deux pages, voire d’un seul paragraphe, qui forment une galerie d’images hétérogènes de ce qu’il note chez ses amis, hommes ou femmes, ou encore ce que la société lui donne à voir des obstacles au « vivre ensemble ».
Ces sujets d’observations ne sont pas ce que les autres lui inspirent, mais plutôt ce qu’il perçoit de lui-même, ce personnage inventé récurant dans plusieurs de ses livres, cet homme sur qui il porte des jugements sévères. L’époux, le père ou l’écrivain lui-même, aucun de ces rôles n’y échappe.
Qui de nous deux?, récit paru en 2011, rappelait avec émotions et une indiscutable sincérité, la fin de vie de l’épouse et le désarroi du survivant. Cette peine est éternelle et la cicatrice que la mort de l’autre a laissée ne guérit jamais tout à fait. Quelques-uns des récits de Tu écouteras ta mémoire, dont « L’inconsolable », le rappellent non pas sur le ton d’une pitié quémandée, mais celui du souvenir du sentiment amoureux longtemps partagé, des écarts de conduite qui l’ont marqué et du ton moqueur du vieux beau qu’on ne veut pas être. À moins que, comme dans « Conversations intimes », plus "il vieillit, plus il devient irrévérencieux."
Là où Gilles Archambault est au sommet de l’autodérision, c’est chaque fois qu’un récit fait référence à l’écrivain qu’il est ou qu’on évoque. Je pense entre autres aux « Vieux papiers » : " Hier, je me suis débarrassé avec grande joie de plusieurs boîtes de documents que je m’entête à conserver… Je n’ai jamais eu beaucoup d’ambition et, aussi bien l’avouer, les écrivains m’ont toujours horripilé… Comme s’ils s’imaginaient que la Terre s’arrêterait de tourner le jour où ils cesseraient d’écrire. "
L’homme vieillissant qu’est l’écrivain — faut-il rappeler qu’il est né en 1933? — est aussi un sujet récurrent de l’ensemble du livre. Point de nostalgie pleurnicharde, mais un regard oblique sur les souvenirs laissés par des hommes et des femmes, amis ou amantes, dont la présence a façonné son existence, un peu ou beaucoup. Je pense ici à « L’oubli définitif » où le narrateur écrit : " Il y a des jours où je parviens à feuilleter les vieux albums que ma mère a laissés à sa mort. Le passé saisi sur le vif a quelque chose d’effrayant. "
En tournant une page où le récit se résume à un court paragraphe, je me suis souvenu d’une conversation avec un ami peintre à qui je faisais remarquer que plus son œuvre avançait, plus le dessin cédait presque tout l’espace aux couleurs et à leurs nuances. C’est, d’une certaine façon, ce que j’observe dans les derniers livres que Gilles Archambault a publiés. J’y vois un effet du temps qui passe et de l’essentiel de l’existence qui s’incruste dans l’espace des souvenirs qui se réduit comme peau de chagrin. On dirait que l’impression filtre les images d’un passé de plus en plus lointain, les autres acteurs du moment étant déjà disparus.
Que le narrateur des récits de Tu écouteras ta mémoire le veuille ou non, Gilles Archambault demeurera un écrivain majeur de l’univers de notre littérature que j’attends et lis plaisamment d’un ouvrage à l’autre. Que je relirai sans doute quand le ressac de l’ennui de sa prose aux nuances de l’ironie montera en moi.

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