Gilles Archambault
Tu écouteras ta mémoire :
cent très brefs récits
Montréal, Boréal, 2019, 136 p., 18,95 $.
Enchâsser dans l’espace
des souvenirs
Il suffit d’un coup d’œil dans le
rétroviseur de mes chroniques hebdomadaires pour constater à quel point Gilles
Archambault, l’écrivain et passionné de jazz, y occupe une place de choix. Tout
iconoclaste et misanthrope qu’il se prétend être, ses proses — romans, récits,
nouvelles ou carnets — laissent voir un humaniste pour qui ses semblables ne
font pas toujours preuve de justice naturelle entre eux. À mon avis, l’auteur est
un fin observateur du genre humain et un critique impitoyable de ses bêtises.
Tu écouteras ta mémoire, son plus récent opus, propose 100 récits d’une
ou deux pages, voire d’un seul paragraphe, qui forment une galerie d’images hétérogènes
de ce qu’il note chez ses amis, hommes ou femmes, ou encore ce que la société
lui donne à voir des obstacles au « vivre ensemble ».
Ces sujets d’observations ne sont
pas ce que les autres lui inspirent, mais plutôt ce qu’il perçoit de lui-même,
ce personnage inventé récurant dans plusieurs de ses livres, cet homme sur qui
il porte des jugements sévères. L’époux, le père ou l’écrivain lui-même, aucun
de ces rôles n’y échappe.
Qui de nous deux?, récit paru en 2011,
rappelait avec émotions et une indiscutable sincérité, la fin de vie de l’épouse
et le désarroi du survivant. Cette peine est éternelle et la cicatrice que la
mort de l’autre a laissée ne guérit jamais tout à fait. Quelques-uns des récits
de Tu écouteras ta mémoire, dont « L’inconsolable »,
le rappellent non pas sur le ton d’une pitié quémandée, mais celui du souvenir du
sentiment amoureux longtemps partagé, des écarts de conduite qui l’ont marqué
et du ton moqueur du vieux beau qu’on ne veut pas être. À moins que, comme dans
« Conversations intimes », plus "il vieillit, plus il devient
irrévérencieux."
Là où Gilles Archambault
est au sommet de l’autodérision, c’est chaque fois qu’un récit fait référence à
l’écrivain qu’il est ou qu’on évoque. Je pense entre autres aux « Vieux
papiers » : " Hier, je me suis débarrassé avec grande joie
de plusieurs boîtes de documents que je m’entête à conserver… Je n’ai jamais eu
beaucoup d’ambition et, aussi bien l’avouer, les écrivains m’ont toujours
horripilé… Comme s’ils s’imaginaient que la Terre s’arrêterait de tourner le
jour où ils cesseraient d’écrire. "
L’homme vieillissant
qu’est l’écrivain — faut-il rappeler qu’il est né en 1933? — est aussi un sujet
récurrent de l’ensemble du livre. Point de nostalgie pleurnicharde, mais un
regard oblique sur les souvenirs laissés par des hommes et des femmes, amis ou
amantes, dont la présence a façonné son existence, un peu ou beaucoup. Je pense
ici à « L’oubli définitif » où le narrateur écrit : " Il
y a des jours où je parviens à feuilleter les vieux albums que ma mère a laissés
à sa mort. Le passé saisi sur le vif a quelque chose d’effrayant. "
En tournant une
page où le récit se résume à un court paragraphe, je me suis souvenu d’une
conversation avec un ami peintre à qui je faisais remarquer que plus son œuvre avançait,
plus le dessin cédait presque tout l’espace aux couleurs et à leurs nuances. C’est,
d’une certaine façon, ce que j’observe dans les derniers livres que Gilles
Archambault a publiés. J’y vois un effet du temps qui passe et de l’essentiel
de l’existence qui s’incruste dans l’espace des souvenirs qui se réduit comme
peau de chagrin. On dirait que l’impression filtre les images d’un passé de
plus en plus lointain, les autres acteurs du moment étant déjà disparus.
Que le narrateur des récits de Tu écouteras ta mémoire le veuille ou non, Gilles Archambault
demeurera un écrivain majeur de l’univers de notre littérature que j’attends et
lis plaisamment d’un ouvrage à l’autre. Que je relirai sans doute quand le
ressac de l’ennui de sa prose aux nuances de l’ironie montera en moi.
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