mercredi 7 novembre 2018


Normand Cazelais
Et si le Québec avait dit oui
Montréal, Fides, 200 p., 24,95 $.

Croire en soi, croire en nous

Réécrire l’histoire n’est pas que jongler avec le passé. Les auteurs du Nouveau Testament s’y sont adonnés, au point où, faute de preuves, ils ont hypnotisé des générations avec leurs récits. Cela s’appelle une uchronie, la « reconstruction historique fictive à partir d’un fait historique qui aurait eu des conséquences différentes si les circonstances avaient été différentes ».
Normand Cazelais s’adonne à une telle reconstruction dans un roman dont la trame gravite autour du référendum de 1995. Et si le Québec avait dit oui détourne le destin en accordant la victoire aux partisans du OUI. Je l’ai lu cette histoire en pleine campagne électorale 2018 et j’ai d’abord eu de la difficulté à me laisser prendre par cette proposition, le contexte ne s’y prêtant pas. Heureusement, la prose réaliste du romancier a eu raison de ma résistance passive.




Normand Cazelais décrit ainsi son projet : « Cet ouvrage est une fiction; c’est un roman qui s’appuie sur des faits avérés, sur d’autres également qui auraient pu se produire. Il met en scène des personnes qui ont vécu ou qui vivent encore. Des personnes qui, par leurs métiers (politiciens, juristes, journalistes), ont eu ou ont encore une carrière publique. J’ai aussi créé des personnages et imaginé des situations fictives. » Autre chose, «les propos attribués à des personnalités publiques, sauf en quelques cas […], sont la transcription fidèle de ce qu’elles ont dit ou écrit. »
D’une page à l’autre, j’ai ressenti le trouble dans lequel l’utopie du récit nous laisse, entre enthousiasme et scepticisme, entre victoire et échec. Cette valse-hésitation vient de l’immense puzzle imaginé par l’auteur dont chaque fragment provient de conférences de presse, de bulletins d’informations radio ou télé, de discussions entre amis animées par la position de chacun dans le débat référendaire, etc.
Certains discours politiques m’ont semblé plus troublants qu’au moment où ils ont été prononcés. Je pense, entre autres, aux « Extraits de l’allocution de Jacques Parizeau devant la Fédération des chambres de commerce du Québec – Québec, le 3 mai 1996 » qui, si elles ont été détournées des objectifs d’alors, expriment ce qui fut la trame originale de l’engagement politique de Monsieur, comme on le nommait respectueusement. Cela m’a même amené à relire Monsieur Parizeau : la plus haute autorité (Édition Trois-Pistoles, 2015), un « recueillement » signé Victor-Lévy Beaulieu.
Outre les analyses et commentaires des principaux artisans et observateurs du référendum de 1995, les conversations familières des personnages imaginés par l’auteur tiennent au point de vue de chacune et chacun, les rapprochant des débats qui ont parfois fait des victimes collatérales au sein des familles ou des cercles d’amis.
Un personnage permet cependant à Normand Cazelais de s’aventurer dans des zones plus intimes. Il s’agit d’un professeur de chimie et amateur de photographie qui participe, avec son épouse, à un rassemblement pour célébrer la victoire du OUI qui se tient sur les plaines d’Abraham. Ce jour-là, il aperçoit dans le viseur de son appareil un individu au comportement louche; constatant qu’il tient une bombe entre les mains, il accourt pour l’empêcher de tout faire sauter. L’engin explose, tue l’agresseur et blesse gravement le professeur.
Cet événement est une incise à l’histoire principale. On suit cet homme, son épouse et leurs enfants adultes, dans des remises en question très personnelles, mais qui sont aussi compatibles avec celles provoquées sur la société canadienne et québécoise par le référendum dont le OUI est sorti gagnant. C’est là, à mon avis, une image forte et réaliste des conséquences que la victoire référendaire aurait pu avoir sur la population et la suite de l’Histoire du Canada et du Québec.
Grâce à l’écriture maîtrisée du romancier, l’histoire d’Et si le Québec avait dit oui m’a semblé aussi palpitante que, a contrario, la récente campagne électorale fut monotone. Ce roman m’a aussi amené à réfléchir sur le Parti québécois au cœur des référendums sur l’indépendance politique du Québec, du passé et de l’avenir de ce parti. Au lieu de conclure sur cette interrogation, j’ai choisi de rester dans l’imaginaire victoire du roman de Normand Cazelais.

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