Normand Cazelais
Et si le Québec avait
dit oui
Montréal, Fides, 200 p., 24,95 $.
Croire en soi, croire
en nous
Réécrire l’histoire n’est pas que
jongler avec le passé. Les auteurs du Nouveau Testament s’y sont adonnés, au
point où, faute de preuves, ils ont hypnotisé des générations avec leurs récits.
Cela s’appelle une uchronie, la « reconstruction
historique fictive à partir d’un fait historique qui aurait eu des conséquences
différentes si les circonstances avaient été différentes ».
Normand Cazelais s’adonne à une telle reconstruction dans un roman dont
la trame gravite autour du référendum de 1995. Et si le Québec avait dit oui détourne le destin en accordant la victoire aux partisans du OUI.
Je l’ai lu cette histoire en pleine campagne électorale 2018 et j’ai d’abord eu
de la difficulté à me laisser prendre par cette proposition, le contexte ne s’y
prêtant pas. Heureusement, la prose réaliste du romancier a eu raison de ma résistance
passive.
Normand Cazelais décrit ainsi son
projet : « Cet ouvrage est une fiction; c’est un roman qui s’appuie
sur des faits avérés, sur d’autres également qui auraient pu se produire. Il
met en scène des personnes qui ont vécu ou qui vivent encore. Des personnes
qui, par leurs métiers (politiciens, juristes, journalistes), ont eu ou ont
encore une carrière publique. J’ai aussi créé des personnages et imaginé des
situations fictives. » Autre chose, «les propos attribués à des
personnalités publiques, sauf en quelques cas […], sont la transcription fidèle
de ce qu’elles ont dit ou écrit. »
D’une page à l’autre, j’ai
ressenti le trouble dans lequel l’utopie du récit nous laisse, entre
enthousiasme et scepticisme, entre victoire et échec. Cette valse-hésitation
vient de l’immense puzzle imaginé par l’auteur dont chaque fragment provient de
conférences de presse, de bulletins d’informations radio ou télé, de
discussions entre amis animées par la position de chacun dans le débat
référendaire, etc.
Certains discours politiques
m’ont semblé plus troublants qu’au moment où ils ont été prononcés. Je pense, entre
autres, aux « Extraits de l’allocution de Jacques Parizeau devant la
Fédération des chambres de commerce du Québec – Québec, le 3 mai 1996 »
qui, si elles ont été détournées des objectifs d’alors, expriment ce qui fut la
trame originale de l’engagement politique de Monsieur, comme on le nommait
respectueusement. Cela m’a même amené à relire Monsieur Parizeau : la plus haute autorité (Édition
Trois-Pistoles, 2015), un « recueillement » signé Victor-Lévy
Beaulieu.
Outre les analyses et
commentaires des principaux artisans et observateurs du référendum de 1995, les
conversations familières des personnages imaginés par l’auteur tiennent au
point de vue de chacune et chacun, les rapprochant des débats qui ont parfois
fait des victimes collatérales au sein des familles ou des cercles d’amis.
Un personnage permet cependant à
Normand Cazelais de s’aventurer dans des zones plus intimes. Il s’agit d’un
professeur de chimie et amateur de photographie qui participe, avec son épouse,
à un rassemblement pour célébrer la victoire du OUI qui se tient sur les
plaines d’Abraham. Ce jour-là, il aperçoit dans le viseur de son appareil un
individu au comportement louche; constatant qu’il tient une bombe entre les
mains, il accourt pour l’empêcher de tout faire sauter. L’engin explose, tue
l’agresseur et blesse gravement le professeur.
Cet événement est une incise à
l’histoire principale. On suit cet homme, son épouse et leurs enfants adultes,
dans des remises en question très personnelles, mais qui sont aussi compatibles
avec celles provoquées sur la société canadienne et québécoise par le référendum
dont le OUI est sorti gagnant. C’est là, à mon avis, une image forte et
réaliste des conséquences que la victoire référendaire aurait pu avoir sur la
population et la suite de l’Histoire du Canada et du Québec.
Grâce à l’écriture maîtrisée du
romancier, l’histoire d’Et si le Québec
avait dit oui m’a semblé aussi palpitante que, a contrario, la récente
campagne électorale fut monotone. Ce roman m’a aussi amené à réfléchir sur le
Parti québécois au cœur des référendums sur l’indépendance politique du Québec,
du passé et de l’avenir de ce parti. Au lieu de conclure sur cette
interrogation, j’ai choisi de rester dans l’imaginaire victoire du roman de
Normand Cazelais.
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