Jean Lemieux
Une sentinelle sur le
rempart : parcours d’un médecin
Montréal, Québec Amérique, 2018, 208 p., 21,95 $.
Le voyage
abracadabrant
Je soulignais l’autre jour en
recensant Chez la Reine (Bq, 2018),
roman d’Alexandre Mc Cabe, que les liens entre une fiction et un événement
personnel peuvent déranger. C’était alors un grand-père agonisant là où mon père
est décédé. Maintenant, Une sentinelle
sur le rempart, le récit autobiographique de Jean Lemieux, me rappelle ma
petite enfance passée si souvent auprès d’un grand-père médecin et grand lecteur.
Jean Lemieux a grandi à Iberville,
sur la rive du Richelieu, auprès de Paul et Jeanne, à qui il dédie ce récit. Il
se souvient de l’école Saint-Georges, de l’ennui au fond de la classe, des amis
et du patinage l’hiver, de son besoin de solitude et celui de créer des univers
inspirés par ses lectures. Ado, il arrive au séminaire de Saint-Jean, passage
obligé pour entrer à l’université.
L’image qu’il dessine de lui-même
collégien n’est pas flatteuse, entre un rebelle mou et un artiste rêveur. Faisant
un clin d’œil à Jacques Boulerice et au regretté Jean-Marie Poupart, qui lui
ont enseigné, on le voit hésiter à faire un choix de carrière. Attiré par les
lettres, il se prépare néanmoins aux études en médecine, espérant faire la
double carrière de médecin et d’écrivain comme Jacques Ferron. Même à la
faculté, il ne parvient pas à sacrifier une vie de bohème nonchalante à des
études contraignantes. Comme bien d’autres, il joue avec le temps, préférant le
stress de la dernière heure au labeur quotidien.
Devenu médecin, il relate les
aléas de la profession, dont les contingences de l’internat où il apprend sur
le tas ce que les classes ne peuvent enseigner. Il découvre ainsi préférer la
médecine d’équipe à celle de la clinique privée. Profitant d’un urgent besoin
de médecins aux Îles-de-la-Madeleine, il va y poursuivre son apprentissage. Durant
deux ans, il fait l’expérience de diverses situations qu’un docteur peut
rencontrer sur le terrain. Sa pratique d’une médecine humaniste s’intègre au mode
de vie que les gens des Îles lui inspirent. Puis, il y a la Sirène, cette Madelinienne
dont le chant l’ensorcelle, s’ajoutant à la langue mélodieuse des Îles et à l’écriture
qui ne cesse de le charmer.
À 60 ans et des poussières, sur
le point de prendre sa retraite, Jean Lemieux est médecin généraliste en milieu
psychiatrique. Son amoureuse et leurs enfants l’ayant amené à Québec après 12
ans aux Îles pour simplifier la scolarisation de la progéniture, il a répondu à
nouveau au besoin criant de médecins dans cette zone grise, celle des fous,
comme on stigmatisait autrefois la maladie mentale. Le docteur s’est fait « sentinelle
sur le rempart », veilleur humanitaire sur des esprits aussi troublés que
troublants.
Hélas, il a l’impression d’être
plus un gestionnaire qu’un praticien, le système de santé faisant dans le méga,
des hôpitaux au ministre. Ses veilles de nuit et ce projet de livre l’aident à tenir
la tête en dehors de l’eau trouble qui fait déjà trop de victimes collatérales,
particulièrement ces malades à qui il faut plus qu’un quelconque médicament pour
vivre dignement.
Une sentinelle sur le rempart aurait aussi pu s’intituler « Le
Voyage abracadabrant » ou « La Passe verte », selon les périodes
de la pratique médicale de l’écrivain et tout ce qui compose sa vie personnelle
comme autant de strates existentielles, les unes appuyées sur les autres. Si sa
profession est au centre du récit, le rôle de son esprit de création et son
espoir amoureux sont tout aussi importants. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien
qu’il raconte le cheminement de sa carrière d’auteur, des cahiers Canada de la
petite école au clavier d’ordinateur, de la réalité qui l’inspire aux fictions
qui en découlent. Ce sont là des avenues qui lui redonnent un peu de liberté,
comme ses voyages à l’étranger.
Jean Lemieux est loin de La lune rouge, son premier roman paru en
1991, aussi loin que l’adolescence et l’heure de la retraite. Je constate que
la flamme qui brûlait alors en lui n’a pas vacillé, mais plutôt qu’elle a pris
les tons d’un coucher de soleil par un beau soir d’été aux Îles-de-la-Madeleine
qu’il sait bien mettre en mots pour nous faire ressentir l’intensité de sa
lumière, sans pour autant oublier les délaissés.
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