mercredi 28 novembre 2018


Jean Lemieux
Une sentinelle sur le rempart : parcours d’un médecin
Montréal, Québec Amérique, 2018, 208 p., 21,95 $.

Le voyage abracadabrant

Je soulignais l’autre jour en recensant Chez la Reine (Bq, 2018), roman d’Alexandre Mc Cabe, que les liens entre une fiction et un événement personnel peuvent déranger. C’était alors un grand-père agonisant là où mon père est décédé. Maintenant, Une sentinelle sur le rempart, le récit autobiographique de Jean Lemieux, me rappelle ma petite enfance passée si souvent auprès d’un grand-père médecin et grand lecteur.




Jean Lemieux a grandi à Iberville, sur la rive du Richelieu, auprès de Paul et Jeanne, à qui il dédie ce récit. Il se souvient de l’école Saint-Georges, de l’ennui au fond de la classe, des amis et du patinage l’hiver, de son besoin de solitude et celui de créer des univers inspirés par ses lectures. Ado, il arrive au séminaire de Saint-Jean, passage obligé pour entrer à l’université.
L’image qu’il dessine de lui-même collégien n’est pas flatteuse, entre un rebelle mou et un artiste rêveur. Faisant un clin d’œil à Jacques Boulerice et au regretté Jean-Marie Poupart, qui lui ont enseigné, on le voit hésiter à faire un choix de carrière. Attiré par les lettres, il se prépare néanmoins aux études en médecine, espérant faire la double carrière de médecin et d’écrivain comme Jacques Ferron. Même à la faculté, il ne parvient pas à sacrifier une vie de bohème nonchalante à des études contraignantes. Comme bien d’autres, il joue avec le temps, préférant le stress de la dernière heure au labeur quotidien.
Devenu médecin, il relate les aléas de la profession, dont les contingences de l’internat où il apprend sur le tas ce que les classes ne peuvent enseigner. Il découvre ainsi préférer la médecine d’équipe à celle de la clinique privée. Profitant d’un urgent besoin de médecins aux Îles-de-la-Madeleine, il va y poursuivre son apprentissage. Durant deux ans, il fait l’expérience de diverses situations qu’un docteur peut rencontrer sur le terrain. Sa pratique d’une médecine humaniste s’intègre au mode de vie que les gens des Îles lui inspirent. Puis, il y a la Sirène, cette Madelinienne dont le chant l’ensorcelle, s’ajoutant à la langue mélodieuse des Îles et à l’écriture qui ne cesse de le charmer.
À 60 ans et des poussières, sur le point de prendre sa retraite, Jean Lemieux est médecin généraliste en milieu psychiatrique. Son amoureuse et leurs enfants l’ayant amené à Québec après 12 ans aux Îles pour simplifier la scolarisation de la progéniture, il a répondu à nouveau au besoin criant de médecins dans cette zone grise, celle des fous, comme on stigmatisait autrefois la maladie mentale. Le docteur s’est fait « sentinelle sur le rempart », veilleur humanitaire sur des esprits aussi troublés que troublants.
Hélas, il a l’impression d’être plus un gestionnaire qu’un praticien, le système de santé faisant dans le méga, des hôpitaux au ministre. Ses veilles de nuit et ce projet de livre l’aident à tenir la tête en dehors de l’eau trouble qui fait déjà trop de victimes collatérales, particulièrement ces malades à qui il faut plus qu’un quelconque médicament pour vivre dignement.
Une sentinelle sur le rempart aurait aussi pu s’intituler « Le Voyage abracadabrant » ou « La Passe verte », selon les périodes de la pratique médicale de l’écrivain et tout ce qui compose sa vie personnelle comme autant de strates existentielles, les unes appuyées sur les autres. Si sa profession est au centre du récit, le rôle de son esprit de création et son espoir amoureux sont tout aussi importants. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’il raconte le cheminement de sa carrière d’auteur, des cahiers Canada de la petite école au clavier d’ordinateur, de la réalité qui l’inspire aux fictions qui en découlent. Ce sont là des avenues qui lui redonnent un peu de liberté, comme ses voyages à l’étranger.
Jean Lemieux est loin de La lune rouge, son premier roman paru en 1991, aussi loin que l’adolescence et l’heure de la retraite. Je constate que la flamme qui brûlait alors en lui n’a pas vacillé, mais plutôt qu’elle a pris les tons d’un coucher de soleil par un beau soir d’été aux Îles-de-la-Madeleine qu’il sait bien mettre en mots pour nous faire ressentir l’intensité de sa lumière, sans pour autant oublier les délaissés.

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