mercredi 31 octobre 2018


Roxane Desjardins et Jean-Simon Desroches (dir.)
La poésie des Herbes rouges, anthologie
Montréal, Les Herbes rouges, coll. « Poésie », 2018, 460 p., 25,95 $.

La génération invincible

On affiche un air dubitatif quand j’affirme qu’on publie plus de poésie au Québec que de tous les autres genres littéraires confondus. Il est donc remarquable qu’une des maisons d’édition, consacrant la majeure partie de sa production aux poètes, atteigne les 50 ans d’existence la tête haute. C’est cet âge vénérable que les éditions Les Herbes rouges célèbrent en 2018 en publiant La poésie des Herbes rouges, une anthologie telle à une vaste fresque illustrant la pluralité des poètes qu’elles ont fait paraître, un recueil à la fois.



Un peu d’histoire. Les Herbes rouges ont d’abord été une revue de création littéraire —fondée en 1968 par Marcel Hébert et Maryse Grandbois — avec « la volonté de ne pas participer aux débats idéologiques et esthétiques »[1] qui avaient cours à La Barre du jour et à Hobo-Québec tout en reflétant « l’éclatement des formes et des discours qui marque la poésie québécoise des années 1970. »[2]
Dix ans plus tard, la maison d’édition est créée par Marcel et François Hébert qui, tout en dirigeant la revue, s’associent à divers éditeurs en prenant en charge leur collection respective de poésie, dont « Les Poètes du Jour » (Le Jour) et « Lecture en vélocipède » (L’Aurore). Quand ce dernier ferme ses portes, les frères Hébert entraînent avec eux plusieurs poètes y publiant et leur revue se transforme, petit à petit, en une véritable maison d’édition.
Comment mieux célébrer 50 ans de poésies qu’en faisant paraître une anthologie qui reflète l’ensemble des recueils publiés? Projet insensé, si l’on considère l’éclectisme des œuvres et leur évolution, mais néanmoins essentiel pour rappeler et illustrer, en un seul ouvrage, l’étendue des réalisations des créateurs sous la bannière des Herbes rouges. Roxane Desjardins, coéditrice aux Herbes rouges depuis janvier 2017, et Jean-Simon Desrochers ont mené à terme avec succès la réalisation du projet.
En présentation, Desjardins et Desrochers précisent que cette « anthologie présente un texte tiré de chaque livre de poésie publié aux Herbes rouges, dans l’ordre chronologique de leur parution. » Plus loin, ils ajoutent : « Les années ont passé, soit: les textes restent. Nous désirons les offrir à la lecture non pour contempler le chemin parcouru, mais pour voir ce qui, en eux, demeure disponible… Voici donc près de quatre cents poèmes présentés côte à côte, prêts à être actualisés dans une multiplicité de lectures. »
Cette dernière proposition ouvre toutes grandes les pages du recueil dont les textes seront nouveaux pour plusieurs générations, mais aussi pour les gens de mon âge, les baby-boomers, qui n’ont pas toujours su découvrir, puis apprécier ce que les frères Hébert publiaient au fil des ans. Je souligne au passage qu’après le décès de Marcel en 2007, François Hébert est resté à la barre de la maison et qu’il a poursuivi le travail tout en le mettant à jour au fur et à mesure que de nouveaux talents apparaissaient. C’est-là un euphémisme de dire qu’il assure ainsi la continuité, voire même la pérennité des Herbes rouges.
Je suis de ceux qui furent plus attirés vers les poètes du Noroît ou des Écrits des forges, mais qui, devoir de journaliste littéraire oblige, ont posé un regard de plus en plus attentif sur les recueils paraissant aux Herbes rouges, et même du côté de  l’ultra avant-gardisme de La Barre du jour. Je constate aujourd’hui avoir surtout eu de la difficulté à rendre justice au travail des frères Hébert et de leurs auteurs, sinon dans de rares recensions, tard dans leur longue existence. Nulle doute : ils méritaient mieux.
Quand je lis ou relis les premiers poèmes de Roger Des Roches – un indéfectible de la maison –, de Louis-Philippe Hébert – revenu à la poésie après des années à œuvrer en nouvelles technologies –, à François Charron lui-même, et à ces femmes et ces hommes ayant consacré leur plume à l’art premier qu’est la poésie, je regrette ma frilosité d’alors en constatant l’importance de ce carrefour que fut et demeure Les Herbes rouges. Je vous invite à littéralement plonger dans La poésie des Herbes rouges non seulement parce que cette anthologie souligne les 50 ans de la maison d’édition, mais surtout parce que l’ouvrage propose un panorama exceptionnel de l’évolution d’un projet artistique collectif qu’on aurait identifié, jadis et ailleurs, comme étant de plein droit une école littéraire.

Et ça continue…
Je m’en voudrais de terminer cette chronique sans mentionner les derniers recueils publiés aux Herbes rouges. Passez chez votre libraire lire ces vers qui vous séduiront sans aucun doute. Voici ces titres par ordre alphabétique des auteurs :
·         Daphnée Azoulay, Le pays volant
·         François Charron, L’herbe pousse et les dieux meurent vite
·         Carole David, Comment nous sommes nés
·         Roxane Desjardins, Le revers
·         Marcel Labine, Bien commun

[1] Michon, Jacques, Histoire de l’édition au Québec au XXe siècle, Tome 3 : La bataille du livre – 1960-2000, Montréal, Fides, 2010, p. 187.
[2] Michon, op. cit., p.188.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire