mercredi 5 décembre 2018


Marie-Ève Martel
Montréal, Somme toute, 2018, 208 p., 24,95 $.

Le prix social de la liberté de presse

La presse subit sans cesse l’ire du public, ce n’est pas nouveau. Pourtant, les médias sociaux relaient sans relâche ses contenus. Pendant ce temps, les revenus distribués aux plateformes de nouvelles sont les mêmes, alors que celles-ci se multiplient. On comprend alors que les médias traversent une crise majeure, ce qu’analyse Marie-Ève Martel dans un essai percutant, Extinction de voix : plaidoyer pour la sauvegarde de l’information régionale.




L’enquête de l’essayiste porte sur les journaux, radios et télés en dehors des grands centres, comme Montréal et Québec. À quoi servent les médias locaux, demande-t-elle? Réponse courte: rendre compte de la vie des micros sociétés où ils sont installés. Version longue: ils sont les chiens de garde de la vie démocratique; le ciment de la vie sociale et économique; les partenaires de la vie culturelle et de ses manifestations; la voix des sans voix; la mémoire d’une collectivité.
Ces rôles polarisants ne s’exercent pas à la légère et sont régis par un code d’éthique et une rigueur intellectuelle à toute épreuve. Écrire dans un journal ou traiter d’affaires publiques à la radio ne s’improvisent pas. C’est d’autant plus important, car le « journalisme citoyen » peut aisément sombrer dans un populisme dont le discours s’alimente de fausses nouvelles.
Jadis, la moindre municipalité québécoise avait au moins un hebdo. La liberté de presse était « encadrée » et les publicités, une obligation morale. Sans rouler sur l’or, les journaux étaient rentables en informant la population de la région, la rivalité entre eux équilibrant les opinions. Puis, ces journaux étaient vendus et la population, fière de les supporter.
Autres éléments de leur érosion, sinon d’une destruction massive : l’arrivée de Google, Apple, Facebook, Amazon (GAFA). Ces sociétés ont squatté les communautés en appâtant leurs sources de financement publicitaire. Marie-Ève Martel donne des exemples de cela, entre autres que les divers gouvernements ont fait passer la majorité de leur budget de publicité du côté d’internet, dont GAFA.
Que dire de la gratuité des médias passés sur la toile et cessés d’être imprimés? La gratuité n’est qu’illusion, le consommateur les payant en achetant les produits des publicitaires.
L’essai aborde aussi la situation des journalistes. Devenus les bêtes noires de certains élus qui ignorent tous des relations avec les médias, les journalistes en région, parfois dans les villes, n’ont plus les coudées franches. Leur rôle de conscience sociale est devenu la risée de gens d’influence. Certes, rien n’est parfait au pays de la presse, mais la majorité de celles et ceux qui ont choisi le journalisme comme profession ont d’abord acquis la formation nécessaire pour l’exercer leur indispensable rôle en démocratie.
« Quelles solutions pour l’avenir des médias en région? » demande M.-È. Martel. L’aide financière de l’État est une piste non négligeable à condition d’être sévèrement encadrée pour bloquer toute interférence politique ou autre. Par exemple, cela peut se faire en ramenant l’obligation de publier dans la presse écrite les avis publics, l’abolition de certaines taxes ou des frais postaux.
Si la recherche de nouvelles sources de financement est déterminante, elle doit être accompagnée d’une sensibilisation de la population au rôle des médias régionaux dans la vie sociopolitique, économique et culturelle du milieu. Une bibliothécaire me confiait récemment avoir expliqué aux élèves de son institution qu’il y a plusieurs sources d’information autres que Wikipédia et qu’une information sérieuse et rigoureuse s’appuie sur plus d’une source. Le droit à l’information doit être accompagné du devoir de celle-ci d’être irréprochable. Les journalistes professionnels sont, pour la majorité d’entre eux, encadrés par des règles strictes en démocratie et savent s’autoréguler.
En lisant cet essai, j’ai aussi appris que la société Icimédia, dont Le Canda français est le bateau amiral, est actuellement l’entreprise de presse regroupant le plus d’hebdos régionaux au Québec. Or, quand j’associe toutes les informations relatives à la situation de ces périodiques à la mission que s’est donnée Icimédia, je crois que, partout où cette société opère un journal, la population a des chances d’être bien informée puisque sa première préoccupation est justement de l’informer en tenant compte des réalités du milieu.

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