mercredi 3 octobre 2018

Virginie Francoeur
Jelly bean
Montréal, Druide, coll. « Écarts », 2018, 184 p., 19,95 $.

Et si c’était vrai

Raconter une histoire dont le cœur de l’action se déroule dans un club de danseuses nues n’est pas simple. Cela implique des choix artistiques, tant du côté langage que de la personnalité des protagonistes et des préjugés sociaux. Il faut jouer de la vraisemblance et de la rectitude politique, cette hypocrisie sociétale crasse. Inévitablement, le roman qui se joue aux frontières de ces eaux-là pourra être reçu avec la même violence qu’il évoque ou, à contrario, avec des éloges de l’ignorance. Comment Virginie Francoeur allait-elle surfer sur ces vagues escarpées dans un premier roman intitulé Jelly bean?




En toile de fond, le Sex Bar, ses danseuses, barmaids, portiers et gérant sortant tout droit de l’univers stéréotypé de ce milieu concurrencé par l’omniprésence de la porno sur Internet. Reste quelques bouges caricaturaux comme des dessins immondes où figurent des naufragés d’une société sexe, drogue et rock and roll.
C’est là l’univers d’Ophélie et Sandra, deux amies d’une enfance petite bourgeoise et d’école privée BCBG. Sandra défendait alors son amie contre l’impétuosité adolescente des camarades, mais rien ne laissait présager leur amitié. Sandra et sa mère monoparentale prostituée, habituée aux blagues salaces des amants de sa génitrice. Ophélie et ses père et mère intellectuels, mise sur le piédestal de la fierté parentale. Bref, l’amitié d’Ophélie et Sandra reposait sur leurs différences, voire leurs contradictions culturelles extrêmes.
C’est la lettrée Ophélie qui raconte leurs folles aventures dans ce milieu sinistre, glauque. Leur travail de serveuse leur permet de choisir comment et avec qui faire des gains supplémentaires pour s’offrir voyages, drogues et éloignements obligatoires.
L’ingénuité des deux jeunes femmes surprend va sans dire. La narratrice tente de museler les élans de son éducation et de sa culture, son amie fait preuve d’une naïveté décuplée par ses allures de nunuche bon enfant. On y croit un peu, beaucoup, comme si trop n’était pas assez. Ce trop, c’est le troisième membre de ces BFF (« best friends forever »), Djamila.
Cette dernière a grandi dans une famille d’immigrants magrébins de tradition musulmane. Ses références culturelles, parfois satiriques, ne sont pas celles de ses amies, pas plus que les combines mafieuses de ses amants. C’est une vamp, la leader du trio, celle qui organise des voyages de dernières minutes, des rencontres subodorant le crime et des coups fumants.
Va sans dire que les amoureux des filles n’ont fait ni HEC ni Crime 101 au collège de la vie. Ils ne sont pas des gentilshommes qui provoquent en duel leurs adversaires, préférant en finir rapidement avec leurs concurrents.
Jelly bean est une charge qui pèse sur l’univers des paumées au racisme primaire, d’une certaine culture populaire jusqu’à celles des intellectuels. Virginie Francoeur ne cache pas sa parentèle — sa mère, la poète et journaliste culturelle Claudine Bertrand; son père, le rocker et poète Lucien Francoeur —, et leurs amis écrivains dont elle évoque des souvenirs. Certains lecteurs le lui reprocheront comme ceux qui avaient critiqué, injustement, sa poésie en disant s’attendre à plus d’une auteure avec un tel patrimoine génétique. Ici, il me semble que faire référence au milieu outremontais d’Ophélie accentue le contraste avec celui de ses camarades.
Et si c’était vrai tout ce que raconte Ophélie? Vrai, le langage déjanté des protagonistes; vrai, l’invraisemblance de certaines péripéties; vrai, la caricature grossière ou grotesque de certains personnages. On dit d’un premier roman qu’il est en réalité la troisième mouture d’un récit sans cesse remodelé, cette version où l’auteur puise sans vergogne dans son propre univers, celui qu’on lui a raconté, ou, peut-être, celui qu’il s’est imaginé. Cela ressemble à Jelly bean, la proposition de Virginie Francoeur qui se réclame d’Anaïs Nin, Nelly Arcan et Josée Yvon. C’est un pari risqué que la romancière a bien relevé en claironnant son droit d’exprimer sa véritable personnalité littéraire.

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