Virginie Francoeur
Jelly bean
Montréal, Druide, coll. « Écarts », 2018, 184 p.,
19,95 $.
Et si c’était vrai
Raconter une histoire dont le cœur
de l’action se déroule dans un club de danseuses nues n’est pas simple. Cela implique
des choix artistiques, tant du côté langage que de la personnalité des
protagonistes et des préjugés sociaux. Il faut jouer de la vraisemblance et de
la rectitude politique, cette hypocrisie sociétale crasse. Inévitablement, le
roman qui se joue aux frontières de ces eaux-là pourra être reçu avec la même
violence qu’il évoque ou, à contrario, avec des éloges de l’ignorance. Comment
Virginie Francoeur allait-elle surfer sur ces vagues escarpées dans un premier
roman intitulé Jelly bean?
En toile de fond, le Sex Bar, ses
danseuses, barmaids, portiers et gérant sortant tout droit de l’univers
stéréotypé de ce milieu concurrencé par l’omniprésence de la porno sur Internet.
Reste quelques bouges caricaturaux comme des dessins immondes où figurent des
naufragés d’une société sexe, drogue et rock and roll.
C’est là l’univers d’Ophélie et
Sandra, deux amies d’une enfance petite bourgeoise et d’école privée BCBG.
Sandra défendait alors son amie contre l’impétuosité adolescente des camarades,
mais rien ne laissait présager leur amitié. Sandra et sa mère monoparentale
prostituée, habituée aux blagues salaces des amants de sa génitrice. Ophélie et
ses père et mère intellectuels, mise sur le piédestal de la fierté parentale.
Bref, l’amitié d’Ophélie et Sandra reposait sur leurs différences, voire leurs contradictions
culturelles extrêmes.
C’est la lettrée Ophélie qui
raconte leurs folles aventures dans ce milieu sinistre, glauque. Leur travail
de serveuse leur permet de choisir comment et avec qui faire des gains supplémentaires
pour s’offrir voyages, drogues et éloignements obligatoires.
L’ingénuité des deux jeunes
femmes surprend va sans dire. La narratrice tente de museler les élans de son
éducation et de sa culture, son amie fait preuve d’une naïveté décuplée par ses
allures de nunuche bon enfant. On y croit un peu, beaucoup, comme si trop
n’était pas assez. Ce trop, c’est le troisième membre de ces BFF (« best
friends forever »), Djamila.
Cette dernière a grandi dans une
famille d’immigrants magrébins de tradition musulmane. Ses références culturelles,
parfois satiriques, ne sont pas celles de ses amies, pas plus que les combines
mafieuses de ses amants. C’est une vamp, la leader du trio, celle qui organise des
voyages de dernières minutes, des rencontres subodorant le crime et des coups
fumants.
Va sans dire que les amoureux des
filles n’ont fait ni HEC ni Crime 101 au collège de la vie. Ils ne sont pas des
gentilshommes qui provoquent en duel leurs adversaires, préférant en finir
rapidement avec leurs concurrents.
Jelly bean est une charge qui pèse sur l’univers des paumées au
racisme primaire, d’une certaine culture populaire jusqu’à celles des
intellectuels. Virginie Francoeur ne cache pas sa parentèle — sa mère, la poète
et journaliste culturelle Claudine Bertrand; son père, le rocker et poète Lucien
Francoeur —, et leurs amis écrivains dont elle évoque des souvenirs. Certains lecteurs
le lui reprocheront comme ceux qui avaient critiqué, injustement, sa poésie en disant
s’attendre à plus d’une auteure avec un tel patrimoine génétique. Ici, il me
semble que faire référence au milieu outremontais d’Ophélie accentue le contraste
avec celui de ses camarades.
Et si c’était vrai tout ce que raconte Ophélie?
Vrai, le langage déjanté des protagonistes; vrai, l’invraisemblance de
certaines péripéties; vrai, la caricature grossière ou grotesque de certains
personnages. On dit d’un premier roman qu’il est en réalité la troisième mouture
d’un récit sans cesse remodelé, cette version où l’auteur puise sans vergogne
dans son propre univers, celui qu’on lui a raconté, ou, peut-être, celui qu’il
s’est imaginé. Cela ressemble à Jelly
bean, la proposition de Virginie Francoeur qui se réclame d’Anaïs Nin,
Nelly Arcan et Josée Yvon. C’est un pari risqué que la romancière a bien relevé
en claironnant son droit d’exprimer sa véritable personnalité littéraire.
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