Yvon Paré
L’orpheline de visage
Montréal, Pleine lune, coll. « Plume », 2018, 136
p., 21,95 $.
De toi à moi, il y a
nous
Il y a des artistes et artisans
de littérature aux quatre coins de ce pays qui est le nôtre. Yvon Paré est de
ceux-là et tout le Saguenay-Lac-Saint-Jean connaît son œuvre, sa longue
carrière de journaliste et d’animateur culturel. J’ai lu quelques-uns de ses
livres, mais j’ai surtout eu le plaisir de travailler avec lui à Lettres québécoises.
Présentations faites, je vous
propose son plus récent récit intitulé L’Orpheline
de visage. Impossible d’en sortir indemne, tellement il nous transporte
dans le double univers de la réalité et de la fiction. L’auteur joue de cette
dualité en s’adressant à son amie Nicole Houde, écrivaine originaire de sa
région décédée en 2017, et en maillant leur univers littéraire, parfois dans
des dialogues évocateurs.
En ouvrant le récit, j’ai pensé
au Docteur Ferron, le « pèlerinage »
au cœur de l’œuvre de celui-ci entrepris par Victor-Lévy Beaulieu. De tous les
livres consacrés à des écrivains, le Ferron me semble l’ultime exemple de son
art, VLB ayant confié les dialogues à ses propres personnages et à ceux de
celui qu’il considère comme son maître. C’est exactement ce que fait Yvon Paré
en grande conversation avec Nicole Houde ou en laissant leurs personnages
dialoguer avec une rare fulgurance.
Je vous rassure: il n’est pas
nécessaire de connaître les livres de l’une et l’autre si on accepte s’être
attentif au discours des protagonistes. J’ai aimé entrer à l’aveugle dans leur
univers respectif, et d’ainsi connaître et comprendre l’itinéraire de leur vie
qui les a amenés à l’écriture malgré des embûches qui en auraient découragé
plus d’un. Autre temps, autres mœurs de dire le proverbe qui prend tout son
sens dans ce récit et nous amène à comprendre le titre L’Orpheline de visage.
Les émotions sont vives, parfois
déchirantes, peut-être plus du côté des propos de Nicole Houde, mais elles
s’accordent parfaitement avec ce qu’ils ont écrit, aussi bien les trames que les
personnages imaginés. Nous découvrons ainsi la rupture entre le travail des
pères et des mères et les rêves des jeunes de leur époque, celle de la fin des
années 1940. Partir pour Montréal y étudier la littérature n’est rien de moins
qu’un rejet des valeurs traditionnelles qui exigeaient que l’homme trime dur
pour gagner le pain familial. Quant aux jeunes filles, l’horizon n’allait pas
beaucoup plus loin que la terre familiale et l’obligation canonique de la
maternité annuelle. Y.P. et N.H. ont refusé de tels destins et choisi de forger
leur propre avenir, coûte que coûte.
Yvon Paré raconte tout cela et
encore plus en étant généreux de confidences que des personnages de ses
ouvrages corroborent. Il est d’une infinie délicatesse quand ce sont les
personnages de Nicole Houde qui entretiennent le dialogue, mais aussi quand il
rappelle des jours qu’elle a passés chez lui à écrire dans le calme de la
maison de campagne.
Il y a une forte dose d’humanisme
dans ce livre qui, somme toute, est écrit à quatre mains, un peu comme l’a fait
Danielle Dubé dans Entre toi et moi
(Pleine lune, 2017), un recueil d’haïkus dont les poèmes alternent entre ceux
de Nicole Houde et les siens, et devient ainsi un dialogue poétique. Puis, le
récit d’Y. Paré illustre que la solitude de l’écrivain peut parfois être
partagée et créer des univers où l’écho de l’une répond à celle de l’autre en
une parfaite harmonie.
La lecture de L’Orpheline de visage est une aventure
de l’intelligence et de l’émotion d’une grande sensibilité qui rassure sur la
nature humaine trop souvent mise à mal. L’écriture de l’auteur est sobre, sans
autre artifice que celles qu’exige le discours littéraire dont il connaît très
bien les arcanes et les règles. Puis, quand on referme le livre, des phrases,
des images, des lieux, des personnages continuent d’habiter notre propre imaginaire
et de nourrir notre vie intérieure. Un beau voyage, vous l’ai-je dit?
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