Dany Laferrière
Autoportrait de Paris
avec un chat
Montréal, Boréal, 2018, 320 p., 32,95 $.
Paris est une fête
Depuis Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, paru chez VLB
éditeur en 1985, Dany Laferrière a pris l’habitude de titres surprenants. Qui
n’a pas souri devant Éroshima (1987),
Cette grenade dans la main du jeune nègre
est-elle une arme ou un fruit? (1993) ou Je suis un écrivain japonais (2008)? Nous voilà maintenant devant
un étonnant cahier de plus de 300 pages, intitulé Autoportrait de Paris avec chat, dont les dessins et le texte sont
de la main de l’Académicien.
Côté calligraphie, tout en
rondeurs, inutile de discuter de ses qualités et de ses défauts. Même les
corrections et les ajouts ont été faits en insérant ou en rayant, comme un pied
de nez aux maîtres d’école.
Côté dessins, l’auteur écrit :
« Tout mon mérite vient du fait que peu de gens qui dessinent aussi mal
que moi ont osé faire un livre de ce genre. » La couverture rappelle l’art
haïtien et Gérald Alexis, « sommité mondiale de l’histoire de l’art des
Caraïbes », écrit à son sujet : « Il me semble qu’il a eu et a
encore un attachement particulier pour la peinture haïtienne dite primitive […]
Cet attachement est sans doute dû à l’aspect narratif des images que proposent
les peintres populaires. Après tout, les écrits de Dany Laferrière ne sont-ils
pas, eux-mêmes, émaillés d’images et de sensations collectionnées depuis
l’enfance? » (Le Nouvelliste, 2
mai 2018)
Qu’est-ce que l’art naïf? Une « des
principales caractéristiques plastiques consiste en un style pictural figuratif
ne respectant pas – volontairement ou non – les règles de la perspective sur
les dimensions, l’intensité de la couleur et la précision du dessin. » (Wikipédia, « Art naïf ») Bien
que la majorité des dessins du livre appartiennent à ce genre, M. Alexis note,
dans le même article, que certains sont de l’art abstrait, « que Dany Laferrière
avait compris qu’une composition faite d’un jeu de lignes et de quelques
petites formes colorées pouvait suffire à représenter Nijinski [p. 234], ce
danseur extraordinaire qui a fait entrer le ballet dans la modernité. »
Halte sur le titre! Comment une
ville se raconte-t-elle? L’auteur esquisse une réponse : « Paris est
une rare des rares villes qu’on connaît avant d’y être. On l’a tant lu. Les écrivains
aiment la décrire. On n’est pas dans une ville, mais dans un roman. » (p. 39)
Rues, places, parcs, cimetières et monuments participent aussi à sa singularité
et en font une ville musée.
Après Haïti, le Québec et la
Floride – où il a écrit « des romans de la Remington 22 » –, le
narrateur s’y installe et découvre « la vie de quartier », « les
paysages » et « les visages », tout en faisant des
allers-retours dans le présent et le passé, ici et ailleurs. S’ajoutent à la
trame l’introduction intitulée « Montréal-Paris », l’élaboration du
« Discours de réception » à l’Académie française et « Comment
faire ce qu’on ne sait pas faire », qui raconte la mise en œuvre du livre
en guise de conclusion.
Impossible d’énumérer tous les
écrivains, dont le narrateur – que l’on reconnaît à sa chevelure jaune, comme
le chat à son nœud papillon –, esquisse le portrait ou dessine des rayons de
bibliothèques où reposent leurs ouvrages.
La littérature étant l’art de
toutes les libertés, Laferrière erre dans les quartiers parisiens en y croisant
Charles Dantzig, son éditeur chez Grasset, son ami Alain Mabanckou et même un Borges
imaginaire. Il s’arrête à L’Écume des pages, une librairie du boulevard
Saint-Germain, et à la terrasse de cafés fréquentés depuis toujours par des
artistes.
Il va de soi que l’auteur fait
souvent référence à Hector Bianciotti puisqu’il doit écrire ce discours qui lui
rend hommage. Selon lui, la « meilleure façon de lire un écrivain c’est
d’arrêter tout esprit critique durant la lecture. Tout doucement le visage de
l’écrivain vous apparaîtra. Il s’était caché derrière les pages. Soudain le voilà
devant vous. »
Que retenir de tous ces « paysages »?
Je ne peux m’empêcher de rappeler le séjour d’Hemingway immortalisé dans Paris est une fête, ce récit posthume,
dont j’emprunte ici le titre, qui dresse un portrait intimiste des années où
tant d’artistes venus des quatre coins du monde s’y sont donné rendez-vous. Comment
oublier le séjour de Malraux en Haïti? « J’ai croisé Malraux à Port-au-Prince
en 1975. J’avais 22 ans. Même malade il était toujours le plus jeune, le plus
vif et le plus curieux de tous les intellectuels de Paris qui nous
visitaient. » Et d’ajouter : « Malraux pense que cet art paysan
si subtil cache en son centre une grande sérénité. »
Dans « Les visages »,
l’auteur explore son fonds culturel et son patrimoine littéraire, et en discute
avec le chat. C’est dans ce contexte qu’il accorde une entrevue où on lui
demande comment le peintre primitif voit son art; sa réponse correspond
parfaitement aux illustrations du livre : « Mettons qu’il doit
peindre une scène banale: deux personnes en train de prendre un verre dans un
bar. Dans le monde rêvé, il y a abondance, et c’est inépuisable. La bouteille
et les verres sont toujours remplis. Dans le monde réel, on mesure les choses
au millimètre près. »
Il est aussi question de Frantz
Fanon et de la question raciale, des cinéastes Godard et Truffaut, de la
comédienne franco-états-unienne Jean Seberg qui écrit : « Ma vie est
partagée entre une passion pour Paris et une angoisse qui ne cesse de
m’étreindre, l’injustice quotidienne faite aux Noirs américains par les gens de
mon pays, par mes voisins, ma famille, mes amis d’enfance. »
« Le discours » raconte
une conversation entre l’écrivain et le chat. Outre un clin d’œil à Murasaki
Shikibu, une dame de la cour japonaise à l’époque du Heian à qui on attribue le
roman intitulé Le dit du Genji, il
est d’abord question d’Hector Bianciotti. Le futur Académicien lit des segments
de son discours de réception et des réflexions que la lecture de son œuvre lui
inspire. Il a même trouvé une ressemblance entre eux : « Surtout les
points d’ailleurs : l’exil, la misère, la grand-mère, une langue
maternelle autre que le français et finalement l’Académie, ce fauteuil numéro 2
qu’ont occupé auparavant Montesquieu et Alexandre Dumas fils. »
Autoportrait de Paris avec chat se conclut par le bref récit du
parcours qui l’a conduit de Petit-Goâve à Paris et qui ne pouvait être traduit
autrement que par cet album dessiné et coloré.
Il faut prendre le temps de
scruter chaque planche, d’y découvrir ce que chacune explore et d’ainsi
appréhender ce qui se cache dans ce musée à ciel ouvert, guidé par un Dany
Laferrière admiratif.
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